Dans un café à deux pas des Galeries Lafayette, des touristes livrent par dizaines les fringues et sacs de luxe achetés dans les grands magasins voisins. Ils seront ensuite revendus en Chine où ces produits sont hyper-taxés.
Installés dans un café branché des Galeries Lafayette, un mercredi après-midi de début de soldes d’été, quatre Chinois sirotent des smoothies tout en rigolant. Jusqu’ici, rien d’extraordinaire. Soudainement, une poignée de jeunes, Chinois également, passent la porte, les bras chargés de sac à l’effigie de marques de luxe. L’ambiance devient plus studieuse. Les hommes attablés extraient la marchandise de chacun des paquets : sacs à mains, portefeuilles… Au total des milliers d’euros de marchandise défilent en quelques dizaines de minutes à peine.
Les quatre hommes assis derrière la table de bistrot photographient et notent minutieusement prix et caractéristiques de chaque produit sur un cahier. Puis les rangent dans une grande valise qu’on imagine achetée pour l’occasion. Ils adressent quelques mots à leurs livreurs avant que ces derniers ne disparaissent. Quelques minutes plus tard, un autre groupe les remplace. La scène se répète. Au total, en 2 heures, nous verrons défiler une dizaine d’acheteurs et plusieurs dizaines de milliers d’euros de marchandise de très grandes marques. StreetPress a tenté de savoir quelle était l’origine de cette fièvre acheteuse savamment orchestrée.
Installés dans un café des Galeries Lafayette, ils listent les produits achetés. / Crédits : Maxime Reynié
Jusqu’à 30 fois moins cher qu’en Chine
Direction les grands magasins du boulevard Haussmann pour interroger le personnel des stands de luxe. Devant la boutique Louis Vuitton, des centaines de touristes chinois patientent derrière des cordons de sécurité en velours rouges. Quelques vigiles, Talkie à la main, régulent le flux de clients et les font entrer au compte de gouttes. « Nous avons beaucoup de clients chinois toute l’année et encore plus au moment de leur Nouvel An », précise le responsable de la boutique. Et au moment des soldes ? « Nous n’en faisons jamais ! » On aurait pu s’en douter. Par rapport aux achats massifs de sacs griffés LV, l’homme en costume ne semble pas inquiet :
« S’ils ont de mauvaises intentions, ils n’ont pas besoin de venir jusqu’en France dans la mesure où nous avons également des magasins Louis Vuitton à Pékin et à Shanghai. »
Seulement voilà, ce que le responsable de la boutique ignore ou omet tout du moins de préciser c’est qu’ « en Chine les produits Louis Vuitton sont énormément taxés et les boutiques sont quasiment vides », explique Françoise Nicolas, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (Ifri), à la tête du Centre Asie. Selon l’étude, citée par Slate, « les touristes chinois et les produits de luxe Français », menée par James Brodie et Sham Sharif, le prix peut-être « 20 à 30 fois plus élevé en Chine qu’à Hong Kong et qu’en Europe ».
Le prix des produits de luxe peut-être « 20 à 30 fois plus élevé en Chine qu’à Hong Kong et qu’en Europe ». / Crédits : Maxime Reynié
Incroyable mais vrai, il serait donc moins cher de venir jusqu’à chez nous pour acheter des produits de luxe que de les acheter directement dans l’empire du milieu. « Le régime chinois n’aime pas trop que ces concitoyens consomment étrangers et a donc trouvé un moyen de les en dissuader», lâche l’un de nos spécialistes ès Chine.
« Importations parallèles »
On comprend mieux pourquoi dans la très raffinée boutique Louis Vuitton, les quelques clients chinois repartis sur les deux étages auscultent chaque étiquette, calculatrice à la main, pour savoir quel sera le prix du produit une fois les 12% de TVA soustraits. Selon une autre étude, citée par People.cn, en 2015 les Chinois ont acheté hors de leurs frontières pour 105 milliards d’euros de produits de luxe. Si les touristes chinois reviennent les valises pleines de vêtements et maroquinerie de luxe, c’est selon le sinologue émérite Guilhem Fabre, pour rentabiliser le voyage :
« Dans la mesure où les taxes sont très élevées dans leur pays, ils achètent un maximum de sacs pour rembourser le voyage et se faire quelques extras. »
Le spécialiste est le premier à évoquer le système « d’importations parallèles ». Pour rappel, les importations parallèles concernent des biens qui n’ont pas subi de contrefaçon mais qui sont importés d’un autre pays sans l’autorisation du détenteur de la propriété intellectuelle. Un petit business pour payer ses vacances en revendant des produits de luxe aux copains ? Peut-être pas uniquement. Ces biens sont souvent écoulés sur le marché gris organisés via des canaux de distributions légaux, en opposition au marché noir. En claire, les produits sont achetés légalement en France, puis importés sous le manteau avant d’être revendus dans des boutiques qui ont pignon sur rue.
« Ils achètent un maximum de sacs pour rembourser le voyage et se faire quelques extras. » / Crédits : Maxime Reynié
Une mécanique comparable à celle des « fourmis » envoyées du Japon par des réseaux mafieux pour contribuer à du blanchiment d’argent. Un système mis en évidence par Nicolas Glimois dans son excellent documentaire intitulé : « Argent sale, le poison de la finance ». « Je ne doute pas que depuis quelques années, avec l’explosion du tourisme chinois, adossé à la prospère mondialisation des organisations criminelles, ils aient aussi pu adopter le système. Et sans doute l’améliorer », commente ce dernier, tout en insistant sur son absence de connaissances quant à ces filières.
Le made in France a la cote
« Quand je vais en Chine, mes tantes me demandent de leur ramener des sacs à main achetés à Paris », raconte Sophie. D’origine Chinoise, la jeune étudiante alsacienne se rend à Pékin une année sur deux pour rendre visite à sa famille :
« C’est en partie pour faire des économies mais aussi avoir la certitude de ne pas porter de contrefaçon. »
Même en Chine, les fausses maroquineries estampillées « made in China » n’auraient plus la côte. « Il y a tellement de faux sur le marché, que certains n’ont même plus confiance dans les produits vendus dans les boutiques officielles », se marre Sophie. « Les Chinois sont envahis de contrefaçons donc il y a toute sorte de trafic assez amusant de contre contrefaçon parce qu’il faut avoir du vrai », acquiesce Jean-Vincent Brisset.
Les files d’attente ne désemplissent pas devant la boutique Louis Vuitton. / Crédits : Maxime Reynié
Les files d’attente ne désemplissent pas devant la boutique Louis Vuitton des Galeries Lafayette. A l’intérieur, les Chinois de passage, se délectent de ce luxe à la française. La brigade de vendeurs à laquelle on m’a gentiment priée de ne pas poser de questions ne laisse rien au hasard. Dans un mandarin parfait, ils accueillent les touristes avec des boissons et se plient en quatre pour satisfaire leurs désirs.
Puis avec le reste de leur groupe, Ils sont généralement conduits vers le nouvel espace des Galeries dédié à la clientèle asiatique. Un sanctuaire de la consommation accessible par le métro où tout, de la signalétique aux prix est écrit en mandarin. Baptisé « Galeries Lafayette Shopping & Welcome Center » ce drôle d’endroit aux allures de duty free d’aéroport met des dizaines de bancs à la disposition de sa clientèle. Des grappes de touristes, épuisés d’avoir arpenté la capitale au pas de course, somnolent ou baillent en marmonnant des choses à leur voisin. « On a ouvert cet espace en mars pour leur faciliter le shopping et depuis on voit passer des milliers de touristes asiatiques par jour », sourit un vendeur d’origine asiatique :
« Ils adorent rapporter des produits français et ils sont devenus la première clientèle des Galeries Lafayette devant les Français et les Japonais alors nous sommes heureux de leur faciliter la vie avec un endroit comme celui-ci».
« On a ouvert cet espace en mars pour leur faciliter le shopping. » / Crédits : Maxime Reynié
Entre deux demandes de renseignements, ces privilégiés photographient les sacs et échangent des informations sur WeChat – le facebook chinois – avec les proches restés au pays. Puis après mûre réflexion entre les différents modèles, ils passent à la caisse. Ils se dirigent ensuite vers l’un des bureaux, situé au fond de ce nouvel espace. A l’abri des regards, les clients viennent un à un récupérer un bordereau qui leur permettra ensuite de se faire rembourser la TVA à une borne prévue à cette effet dans les aéroports. Un dispositif qui facilite ce système « d’importations parallèles ».
« L’argent n’a pas d’odeur »
Personne ne semble faire quoique ce soit pour lutter contre ces petits trafics? « Ca pourrait poser un problème juridique si ça prenait des proportions énormes ce qui n’est pour l’instant pas le cas », explique Françoise Nicolas, chercheuse à l’Ifri. « A l’heure actuelle, ça fait juste rentrer des fonds en France donc c’est plutôt une bonne chose». Même son de cloche du côté des douanes françaises :
« L’argent n’a pas d’odeur, l’état et le gouvernement ont tout intérêt à ce qu’un maximum de touristes chinois viennent dépenser leur sous chez nous. »
Le service presse renvoie la balle à leurs homologues chinois :
« Au départ de Paris, nous ne limitons pas le nombre de sacs ni le montant des achats, après c’est au service des douanes chinoises de faire leur travail. »
S’ils ne s’intéressent pas trop à ce qui sort de notre territoire, « aux arrivées, nous effectuons beaucoup de contrôles y compris sur les liquidités et c’est vrai que les Chinois en ont souvent beaucoup mais généralement ils les déclarent ».
« Assez souvent ils paient en cash », confirme Françoise Nicolas. Le jour où nous visitons la boutique LV, les Chinois étalent de grosses liasses de billet sur le comptoir avant de repartir avec leurs sacs à main. Mais pour Jean-Vincent Brisset, membre de l’Observatoire des stratégies chinoises et asiatiques (OSCA), il ne faut pas tomber dans la légende urbaine. « Les Chinois n’ont pas d’autres choix pour voyager tant tout est contrôlé et règlementé chez eux ».
Pour ce spécialiste, il s’agit d’un « petit business de petites gens » qui ne rivalisera jamais avec celui de la contrefaçon.
« Au départ de Paris, nous ne limitons pas le nombre de sacs ni le montant des achats. » / Crédits : Maxime Reynié
Contacté par StreetPress, le Comité Colbert, association qui représente les principales enseignes de luxe en France et le service presse du groupe LVMH (Louis Vuitton, Kenzo, Marc Jacobs…) n’ont pas donné suite à nos demandes d’interviews.
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