Les villes sont faites par les hommes pour les hommes, selon Audrey Noeltner, urbaniste. Des places assises dans le métro pour les femmes enceintes aux graffs féministes, manuel de bonnes pratiques qui pourraient changer la donne.
Les villes sont-elles bienveillantes à l’égard des femmes ? En tant qu’urbaniste, je me suis rendue compte à quel point l’espace public était défavorable à l’épanouissement des femmes. Ces inégalités dans l’appropriation de l’espace urbain se manifestent autant sur les politiques d’aménagement du territoire que sur le plan de la sécurité et de l’accès aux transports. Il faut repenser nos villes.
Avec Womenability, nous voulions mettre en lumière ces discriminations communes à toutes ces grandes agglomérations. Pendant sept mois, nous avons parcouru treize villes de plus de 200.000 habitants dans tous les continents, à l’exception de l’Océanie. Nous sommes allés à Cape Town en Afrique du Sud, Mumbaï en Inde, Prague en République Tchèque ou encore Yokohama au sud de Tokyo.
Dans chacune de ces villes, nous réalisions des marches exploratoires avec des habitantes en leur demandant de répertorier, à partir des cinq sens, toutes les discriminations observées en une heure. Nous leur soumettions ensuite un questionnaire qui permette d’identifier d’autres formes d’agressions urbaines que le harcèlement. Ces femmes prenaient le temps de raconter ce qu’elles aimaient ou pas dans la ville, et surtout pourquoi.
Nous nous sommes rendus compte à quel point leurs vécus et leurs observations se rejoignent lorsqu’il s’agit d’espace public. Nous avons identifié des exemples concrets d’inégalités subies par les femmes et proposé de bonnes pratiques, applicables dans tout contexte. Les voici.
1 Élire des femmes à la tête de nos villes
D’abord, dans toutes les villes que nous avons choisies, les maires sont des femmes. Nous voulions interroger des femmes politiques qui puissent inspirer les femmes du monde et qui donnent envie de s’engager. Depuis quelques années, il y a eu des évolutions notables sur le plan politique. Paris, Madrid, Barcelone, Tokyo, de plus en plus de femmes sont maires de grandes villes.
Il faut continuer sur cette lancée et créer un cadre propice pour que de plus en plus de femmes franchissent le pas. L’ancienne maire de Wellington en Nouvelle-Zélande, Celia-Wade Brown en est la parfaite illustration. Lorsqu’elle est devenue maire, elle a voulu introduire des silhouettes de femmes dans les feux piétons de sa ville. Les ingénieurs ne comprenaient pas l’utilité de cette démarche. Le deuxième exemple illustre en partie les solutions qui peuvent être mises en oeuvre : Fatimetou Abdel Malik, première maire femme de Mauritanie, a décidé de monter une caravane et de parcourir son pays pour donner aux femmes le goût de la politique et des moyens pour réaliser leurs projets. La politique, ça demande du temps et de l’argent.
Marche exploratoire, Le Cap, Afrique du Sud. / Crédits : womenability
2 Renommer les stations de métro avec des noms de femmes
Les problèmes liés au transport sont nombreux. Par exemple, les femmes enceintes n’ont pas de places réservées partout. 60% des femmes que nous avons interrogées pensent que la ville n’est pas adaptée aux femmes enceintes. A Tokyo, ils ont développé un système de badges pour les femmes enceintes. Quand elles l’activent, une sonnette retentit et les gens comprennent qu’il faut libérer une place. C’est bien pour les femmes timides qui n’oseraient pas demander de concéder la place, car tout le monde n’est pas extraverti.
« Seulement trois stations de métro (Louise Michel, Pierre et Marie Curie et Barbès-Rochechouart) sur 301 portent le nom d’une femme, dont deux partagent l’affiche avec un homme… »
Audrey Noeltner, urbaniste
Il est aussi difficile d’accéder aux transports avec des poussettes. On pourrait dire que ce n’est pas un problème exclusivement adressé aux femmes ? Pourtant en France, 70% des parents qui accompagnent les enfants à l’école sont des femmes. Une simple rampe suffirait dans ces transports en commun. En Suède, il y en partout et cela fonctionne très bien.
Par ailleurs, il faut aussi rendre visible la présence de la femme dans les moyens de transport. Je demande souvent aux gens : « Quels arrêts de métro portent des noms de femmes ? ». Il y a toujours un long moment de flottement. Difficile de répondre, pas vrai ?
Seulement trois stations de métro (Louise Michel, Pierre et Marie Curie et Barbès-Rochechouart) sur 301 portent le nom d’une femme, dont deux partagent l’affiche avec un homme… C’est là que tu te dis : les villes ont été faites par des hommes pour des hommes. Quand la RATP a lancé la ligne de tramway T3a, Annick Lepetit, adjointe de la mairie de Paris m’expliquait à quel point il était difficile de réaliser le projet, car les noms de stations correspondent le plus souvent à des noms de rues, qui elles, portent des noms d’hommes. Je ne vous explique pas la galère.
3 Des bancs réservés aux femmes qui allaitent
Quand une femme a un enfant en bas âge et qu’il demande à être nourri, elle subit le regard malveillant des gens autour. Et pour cause, 85 % des femmes de notre étude pensent que la ville n’est pas adaptée pour allaiter. Dans l’imaginaire collectif, on cantonne l’allaitement à l’espace privé. Pourtant les choses ont changé. C’est une problématique qui se pose quotidiennement pour les femmes.
Il y a un réel manque d’infrastructures. Là aussi, il est facile d’imaginer des solutions simples. A l’aéroport de New York, il existe des petits cabinets pour allaiter. Nous pouvons aussi penser à réserver des bancs à cet effet dans les parcs ou dans des espaces où on pourrait lire : « Ici tu peux allaiter ».
4 Lutter contre le harcèlement de rue avec des pistolets à eau
D’après notre étude, 58% des femmes subissent le harcèlement verbal dans l’espace public et ce, chaque semaine. Trois solutions existent pour lutter contre le harcèlement : sur le plan politique, les mairies peuvent lancer des campagnes de sensibilisation.
De plus en plus de villes le font comme à Paris avec « Ma jupe n’est pas une invitation ». Du côté des associations, l’avantage est qu’elles peuvent s’adapter au contexte socio-culturel du pays. L’une d’elles, en Inde, s’appelle « Safe Cities- Pin The Creeps ». Ses membres, des étudiants, ont développé une application qui permet aux femmes de géolocaliser leurs agressions et de les répertorier ensuite sur leur site. En Inde, les harceleurs de rue prennent généralement des photos de leurs victimes. Nous ne savons pas vraiment ce qu’ils en font mais c’est un phénomène assez courant. Lorsque les agressions se répètent dans un même lieu, les membres de l’association peignent sur les murs du quartier ciblé des messages de dissuasion tel que : prendre une photo de moi est puni par la loi.
« Les hommes ne s’attendent pas à une réponse lorsqu’ils harcèlent les femmes. La réponse aux agressions verbales est une solution simple mais efficace au phénomène. »
Audrey Noeltner, urbaniste