Dans ce fablab toulousain, on crée des drones agricoles et on utilise des algues et bactéries pour produire de la lumière : bienvenue chez les bidouilleurs du vivant.
StreetPress publie son mini-mag’ papier consacré au collaboratif à Toulouse. Dans les ruelles de la capitale de l’Occitanie, des petites fourmis s’activent et innovent. Elles concoctent des alternatives. Certaines bichonnent des bactéries étincelantes qui pourraient ringardiser les ampoules classiques quand d’autres créent un nettoyeur aquatique. Bref, à Toulouse, ça fourmille sévère et personne ne s’y trompe : c’est ici qu’à lieu cette année le festival européen des fablabs !
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Un savant capharnaüm règne au fond du FabLab Artilect. Un amas de fioles, flacons et cultures aux contenus numérotés, inconnus pour le profane. Alignés contre une paillasse, une triplette de fessiers dépasse d’une grande boîte recouverte d’un épais drap sombre.
Le trio serré dans cette chambre noire improvisée semble fasciné par le spectacle. Une fablabeuse agite d’une main experte un erlenmeyer. La fiole en verre resplendit d’une lumière bleutée. « C’est notre projet de bioluminescence, sourit Diane Trouillet, salariée d’Artilect. On utilise la capacité d’algues et de bactéries à produire de la lumière pour créer des alternatives à l’éclairage électrique.»
C’est l’un des projets phare du BFL, le Biofablab d’Artilect. Les membres de cette section dédiée à la biologie se réunissent chaque lundi à deux pas du métro Patte-d’Oie. Dans les locaux du Multiple (voir carte), la bande de Bio Trouvetou invente des alternatives écolos et économiques.
Du bio-tissu
19 heures, à l’exception des observateurs d’algues bleutées, les paillasses sont encore vides. « C’est très libre. On ne sait jamais qui vient le lundi soir », commente Diane en refermant sa caverne aux merveilles. Écharpe verte autour du cou, cette Parisienne arrivée à Toulouse en 2014 est l’un des piliers du BFL. Biologiste de formation, l’artiste plasticienne de 36 ans fabrique à présent un biomatériau en cultivant des bactéries et des champignons dans du thé de kombucha fermenté. Après traitement et séchage, le biofilm sécrété par ces petites bébêtes lui permet de produire un fin papier bactérien marron et translucide.
Réunion au sommet /
Crédits : Fanny Moulin
Avec la graphiste Louise Devalois, croisée au fablab, elle confectionne un livre de six pages format A5. « Cela nous a demandé neuf mois de travail », sourit la créatrice. Les usages de ce cuir naturel biodégradable sont nombreux. Il permet de créer des bijoux, découpés au laser dans l’atelier voisin. À la fois souple, léger et résistant, il sert aussi de voilure pour des micro-drones conçus par un autre groupe du Biofablab.
Un bio-drone-agricole
« Quand Diane nous a montré son cuir naturel, on s’est aperçu qu’on pouvait l’utiliser sur des armatures de bambou, apprécie Jean-Michel Rogero. Une fois cassé, on peut recycler le drone après en avoir retiré les éléments électroniques. » Télécommande en main, l’ingénieur aéronautique ne perd pas des yeux l’engin qui vadrouille entre les étagères du labo.
« Là où je travaille, les ingénieurs n’ont qu’une façon de penser. Ici, chacun fait les choses à sa manière et cela apporte énormément à tout le monde », assure le salarié d’Airbus de 42 ans. Le droniste collabore avec ses voisins biologistes à un nouveau projet : concevoir un drone agricole. « Ça coûte normalement dans les 10 000 ou 20 000 euros. On voudrait en faire un pour moins de 1 000 euros afin qu’il soit utilisable dans les pays en développement », détaille-t-il. Toutes les pièces sont prêtes. Il ne reste plus qu’à assembler pour faire voler la bio-machine.
Un bio-matériau à base de bactéries et champignons /
Crédits : Fanny Moulin
Un bio-Camping-Gaz
Le BFL recèle de réalisations aux applications bien concrètes. Vous ne savez que faire de vos épluchures de légumes et votre facture de gaz grève vos fins de mois ? Leur idée : recycler les unes pour réduire les autres. « Une famille de quatre personnes produit 4 kg de déchets organiques par jour », souligne Pierre Delrez, le porteur du projet biogaz. Dans un compost, les bactéries transforment les déchets biologiques en engrais et produisent de l’énergie sous forme de biogaz. « Et après la méthanisation, on utilise l’engrais pour cultiver un potager. »
Le trentenaire aux cheveux en pagaille partage son temps entre le labo du fablab et l’animation de l’association Picojoule, dédiée aux énergies renouvelables. Lancé en 2012, son projet d’unité de méthanisation miniature va être testé cet été dans un camping de Ramonville. Objectif : alimenter la cuisinière d’un bloc sanitaire grâce au biogaz produit par les déchets alimentaires.
Si Pierre voit aujourd’hui ses efforts se concrétiser, c’est parce que son projet a été porté par la communauté du fablab. « Tout le monde se l’est approprié en fonction de ses compétences. Il n’y avait pas que les aspects biologiques et chimiques à gérer. J’ai appris par exemple à faire de l’électronique et à utiliser des outils d’organisation collective », explique-t-il. Le spécialiste en énergies renouvelables raconte les soirées à discuter tous ensemble. « T’as l’impression de ne pas avoir avancé, mais ce sont en fait ces échanges qui te font gagner du temps. L’efficacité du fablab, ce sont tous ces petits soutiens ponctuels. »
Cultiver local
Plus facile à mettre en application : installer des champignonnières sous chaque toit. Encore une histoire de recyclage et de valorisation des déchets. Un peu de sciure de bois, un peu de marc de café, des spores, un mois d’obscurité et autant à la lumière permettent à chacun de faire pousser un beau pied de pleurotes fait maison. Pauline Mouly étale justement sa dernière récolte sur l’une des tables du BFL. En service civique dans l’entreprise le Café des spores, la jeune femme s’assure de la croissance des champignons cultivés dans deux grands conteneurs à l’extérieur du bâtiment.
« Nous vendons la majeure partie de notre production aux membres du fablab. Être installés ici nous permet de centraliser la collecte de marc et d’avoir une belle visibilité. »
Le cuir naturel et bio-dégradable /
Crédits : Fanny Moulin
Réintroduire les cultures vivrières au cœur des zones urbaines, c’est aussi l’ambition de Fabrice Galinier. Un documentaire d’Arte lui a fait découvrir l’aquaponie en 2015. Depuis, il bichonne avec application les fougères et les poissons rouges qui ornent l’un des recoins du laboratoire. « Les déjections des poissons nourrissent les plantes qui elles-mêmes purifient l’eau de l’aquarium », expose-t-il.
Après avoir démontré l’efficacité du système, Fabrice et ses collègues Benoît, Ugo, Yann et Pierre ont complexifié leur montage en y mêlant guppys et poissons rouges pour cultiver des radis, de la mâche et des fraises. Un petit succès que Fabrice veut à présent reproduire en dehors du labo. L’an dernier, il a rejoint l’Association toulousaine d’aquaponie. Son rêve : créer un réseau de fermes aquaponiques dans les friches industrielles toulousaines. Quand le collaboratif rejoint l’urbanisme.