Anouch, obèse depuis l’enfance, a subi tous types de violence, mais les plus dures sont venues du corps médical. Elle raconte.
Chers médecins, pas la peine de me sermonner sur mon poids à chaque grippe ou angine pour laquelle je viens vous consulter. Je sais déjà que vous voudriez que je maigrisse « pour mon bien », dites-vous.
Merci, mais je suis au courant que je suis grosse, obèse même. Depuis mon enfance, à chaque fois que je fais un pas hors de chez moi, les regards, les discours, de proches ou d’étrangers, ne cessent de me le rappeler.
C’est déjà difficile à vivre. Mais vos mots et vos regards font plus mal que ceux des autres. Quand je viens vous voir vous, je suis malade et donc vulnérable. En plus, vous êtes une « autorité médicale », normalement digne de confiance : le médecin est un sachant. Sa parole est d’or.
La première fois qu’un médecin m’a insultée, j’avais cinq ans
Les premières violences grossophobes (c’est comme ça qu’on appelle les discriminations que subissent les personnes grosses) que j’ai rencontrées dans un cabinet médical venaient d’une nutritionniste.
J’y suis allée jeune, beaucoup trop jeune, dès l’âge de cinq ans. Mes parents étant tous les deux obèses, ils ne voulaient pas que je subisse ce qu’ils ont subi eux-mêmes. Ils ont fait ce qu’ils croyaient le mieux.
Je devais noter dans un carnet ce que je mangeais. Je le ramenais d’une séance à l’autre. Ma nutritionniste n’arrêtait pas de me traiter de « menteuse ». J’avais cinq ans ! Elle me réprimandait :
« Comment peux tu grossir si tu ne manges que ça ? »
Je suivais les indications qu’elle m’avait données. Ma mère, qui savait comment je m’alimentais, me défendait mollement. Elle aussi respectait bien trop les médecins.
J’attendais d’aller à Marseille pour consulter
Tous les médecins ne sont pas violents. Dans ma ville natale, Marseille, j’ai eu l’immense chance d’avoir un médecin de famille non-grossophobe, très respectueux.
« Les médecins adorent culpabiliser les gros, c’est une sorte de jeu national. »
Anouch, militante anti-grossophobie
Quand j’ai déménagé à Paris, j’ai dû me frotter à d’autres cabinets. Ce sont des souvenirs douloureux. J’ai subi les discours habituels :
« Vous avez vu votre poids? C’est inadmissible. C’est très dangereux ! »
Du coup, quand j’étais malade, pour éviter ça, j’attendais d’aller à Marseille et de voir mon généraliste.
Les médecins adorent culpabiliser les gros, c’est une sorte de jeu national. On t’explique que tu vas mourir, on t’infantilise. On te traite comme si tu étais responsable de ton poids. L’idée qu’il suffirait de volonté pour atteindre un poids normal est très ancrée dans les croyances collectives, comme chez les médecins. Alors que c’est simplement faux.
Un peu de sport, des régimes et ça ira. Mais les régimes ne marchent pas. Ils peuvent te faire perdre 10 kilos à tout casser, et encore ! Les médecins doivent croire que ces discours culpabilisants peuvent motiver les gros à faire un régime, mais c’est tout l’inverse.
Je redoute mes visites chez le gynéco
Le gynéco, c’est encore une autre épreuve. Je n’y vais que quand – vraiment – je ne peux plus attendre. Ces consultations, très intimes, sont celles que je redoute le plus. J’en ai vu plusieurs et j’ai eu le droit à des remarques très déplacées. Un jour, l’un d’eux m’a signifié par ses mots et ses gestes que mon corps le dégoûtait, littéralement.
Les gynécos refusent aussi régulièrement de prescrire la pilule aux personnes trop grosses, parce que certaines ne marchent pas à partir d’un certain poids. Mais au lieu de me proposer de faire des tests, par exemple, on m’a rétorqué : « De toute façon, vous n’en avez pas besoin ». Sous-entendu : tu es grosse, donc tu n’as forcément aucune vie sexuelle.
A force de tout relier au poids, vous pouvez vous tromper de diagnostic
Parfois, la grossophobie médicale peut avoir des conséquences plus importantes sur le plan de la santé. À force de relier toutes les maladies au poids, les médecins peuvent se planter de diagnostic.
J’ai eu des problèmes gastro-intestinaux pendant trois ans. Je ne pouvais avaler que des pâtes et du riz sous peine de vomir. Je suis allée voir trois médecins différents, tous m’ont répété que mes problèmes étaient liés à mon poids, et tous ont refusé de me prescrire des examens pourtant simples, comme une échographie. Ça a duré un an et demi.
J’avais mal et j’allais de cabinet en cabinet, sans avoir de réponse. Comme ça ne passait pas, et que je n’avais perdu que cinq kilos en ne mangeant pourtant pas grand chose, ils ont fini par me traiter. Ils ont cru que c’était une maladie de Crohn. Mais ce n’était pas ça.
Ça a fini par passer naturellement au bout de trois ans, j’ai pu réintégrer petit à petit les légumes, mais uniquement cuits. Cette histoire m’a vraiment mise en colère parce que ma santé était en jeu. Ç’aurait pu être beaucoup plus grave et mal finir.
Le féminisme m’a aidé à ne plus finir en larmes à chaque consultation
Quand j’avais 18-19 ans, je prenais les critiques en pleine face. Je me retenais de pleurer pendant la consultation, par fierté. Puis, je craquais dès la sortie de son cabinet et j’étais en larmes pour la journée.
« Grâce à internet, j’ai pu me rendre compte que je n’étais pas seule à subir ces violences. J’ai démystifié la figure de l’autorité médicale. »
Anouch, militante anti-grossophobie