Les sondages le montrent, les homos sont de plus en plus nombreux à faire le choix du FN. Qu’a bien pu leur dire Marine Le Pen pour les séduire? … et pourquoi, son parti n’est pas celui qui défendra la communauté LGBT.
Que peuvent craindre les LGBT si Marine Le Pen devient présidente?
Sans avoir l’impression de vendre mon âme et sans me faire d’illusion, je voterai Macron au second tour. Le FN, c’est le parti dont le leader affirmait à une époque que le sida se transmettait par la sueur ou par contact. N’oublions pas que la lutte contre le sida est directement liée à la lutte contre les discriminations. Avec Marine Le Pen comme présidente, les actions de prévention ne seront plus soutenues. Quid des étrangers LGBT et de leurs droits, des demandeurs d’asile LGBT, des couples binationaux? C’est suffisamment effrayant pour voter contre Marine Le Pen, même si certains disent que ça ne fait que repousser l’échéance et qu’elle sera de nouveau au second tour en 2022. Ça veut dire qu’on a cinq ans pour lutter contre les discours réactionnaires et leurs origines.
En 2012, une étude Cevipof montrait que 19% des homos votaient Marine Le Pen. Lors des régionales de 2015, 32,45% des couples homos mariés ont voté FN. Comment expliquer cette progression?
Il y a eu en 2012 le livre de Didier Lestrade « Pourquoi les gays sont passés à droite », mais on ne dispose pas aujourd’hui d’études sociologiques à proprement parler pour expliquer les raisons de leur adhésion au FN. On doit donc se contenter d’hypothèses. Déjà, le succès du FN chez les LGBT s’explique pour les mêmes raisons que celui qu’il a globalement dans la société. En ce qui concerne la communauté LGBT, c’est un succès qu’on retrouve principalement chez les gays, et qui consiste en une inversion de la lutte contre l’homophobie. Ça signifie qu’elle ne passe plus par une lutte pour l’égalité.
Lors des régionales, plus de 30% des couples homos mariés ont voté FN. / Crédits : Pierre Gautheron
Récemment, Le Monde a publié une série de témoignages sur le sujet. On ne peut pas le généraliser, mais quelques-unes des personnes interrogées affirment qu’elles n’ont jamais été victimes d’homophobie, en dehors peut-être de quelques insultes. Pourtant, elles savent que l’homophobie existe. Quand Marine Le Pen leur dit que l’homophobie vient des musulmans et des immigrants, quand elle leur dit « je vous empêcherai de vous faire agresser », ce discours fonctionne sur eux. C’est avant tout beaucoup d’ignorance. Mais la communauté LGBT a aussi une responsabilité parce qu’on a laissé véhiculer certaines idées comme étant acceptables et Marine Le Pen a été la première à s’en emparer. Elle surfe sur une réalité : la montée de l’islamophobie.
Il y a donc des homos pour qui il serait prioritaire d’être protégé des musulmans, plutôt que d’obtenir l’égalité des droits ?
C’est une hypothèse, mais on peut se dire que les gays qui votent FN s’imaginent que le mariage pour tous est finalement un progrès mineur, ou en tout cas, qu’ils peuvent le mettre en balance avec l’envie de se sentir en sécurité. Les réflexes de peur sont plus puissants que ceux qui consistent à rappeler que maintenir l’inégalité des droits, c’est de l’homophobie. Au moment du mariage pour tous, certains ont réussi à réintroduire l’idée que l’homophobie ne se résumait qu’aux insultes et aux agressions physiques. Le problème c’est qu’à partir du moment où on laisse s’installer cette idée, on en revient à la même logique qu’il y a vingt ans au moment des débats sur le pacs. Aujourd’hui, il faut comprendre que l’homophobie, en tant que discrimination, c’est aussi la défense d’une hiérarchie sociale, elle a aussi ses mécanismes structurels. Quand on voit que l’ancienne présidente d’Act Up-Paris, Laure Pora, a été condamnée en appel en novembre dernier pour injures pour avoir affirmé que « La Manif pour tous est homophobe », cela montre que quelque chose n’est pas intégré.
« Les réflexes de peur sont plus puissants que ceux qui consistent à rappeler que maintenir l’inégalité des droits, c’est de l’homophobie. »
Jérôme Martin, militant LGBT
Pourquoi l’entretien d’une peur de l’islam pour gagner le vote gay suscite aussi peu d’opposition ?
Peu de personnes s’interrogent réellement sur l’homonationalisme, et notamment le fait de désigner l’islam comme une menace pour les homosexuels. En France, on a laissé monter un discours stigmatisant. Quand le cardinal André Vingt-Trois fait clairement allusion au mariage pour tous durant la messe en hommage au père Hamel, il y a très peu de voix de la part de la classe politique en général pour s’indigner et parler d’homophobie. L’homophobie est plus acceptable quand elle vient d’un homme blanc catholique, alors que les réactions étaient plus vives et plus nombreuses quand il s’agissait de s’indigner contre les propos de l’imam de Brest, par exemple. Il y a un « deux poids deux mesures » sur ce sujet.
Les homos sont-ils les seuls à faire les frais de cette manœuvre?
Non, ce ne sont les seuls concernés, Marine Le Pen utilise la même stratégie pour convaincre qu’elle défend les femmes : d’un côté, elle va compliquer l’accès à l’avortement, de l’autre elle exploite l’angoisse sécuritaire autour des étrangers qui menaceraient les droits des femmes.
On ne compte plus le nombre de propos homophobes de la part d’élus ou militants FN. Là aussi, ça ne rebute pas certaines personnes LGBT. Pourquoi?
Ce genre de propos est effectivement très concentré au FN, mais on en retrouve aussi chez Les Républicains, voire même au PS. Je pense que c’est aussi lié à une forme de banalisation de l’homophobie. On l’a même vu il y a deux ans, quand un élu PS d’Hénin-Beaumont a glissé un sous-entendu assimilant de façon évidente homosexualité et pédophilie à propos du maire FN Steeve Briois. Ce n’est pas parce qu’on lutte contre le FN qu’il faut utiliser ses méthodes.
En termes de visibilité, le FN est plutôt « bon élève ». Est-ce que ça joue en leur faveur ?
Il y a une forme de récupération de nos luttes en faveur de la visibilité, car pour certains de ces cadres, être out n’est pas vraiment de leur fait : L’homosexualité de Steeve Briois a été évoqué fin 2013 dans le livre d’Octave Nitkowski, Florian Philippot a été outé un an plus tard en Une de Closer. Cela a des conséquences sur nos combats, mais il ne faut pas non plus le regretter. Le problème, c’est qu’on n’a jamais été capable de dépasser la contradiction que représente un membre du FN homosexuel. Ça a été fait de façon ironique, ou bien à travers une analyse qui reliait ça à quelque chose de strictement individuel. Mais cette contradiction n’a jamais été montrée par rapport à l’homophobie qui existe au FN.