Au lendemain de la défaite, les partisans de Mélenchon l'ont mauvaise. Le rêve de certains d'entre eux ? Faire annuler le premier tour émaillé de nombreuses irrégularités. « La France insoumise n’a pas dit son dernier mot ! Résistance ! » lâche Virginie.
« Ce premier tour est une supercherie. » Virginie, insoumise de la première heure, fulmine. Cette assistante maternelle de 41 ans, qui vit dans le Tarn, n’a toujours « pas digéré » quatre jours après, le résultat du 1er tour. « Beaucoup d’irrégularités ont été mises en lumière. » Et d’énumérer les anomalies, radiations intempestives et doubles votes en pagaille. « JLM aurait pu avoir un nombre suffisant de voix pour dépasser Marine Le Pen. » La jeune femme espère encore que le scrutin soit purement et simplement annulé.
La psychologie nous apprend qu’il y a cinq étapes au deuil. La première phase est toujours le déni. Et au 23 avril 2017 à 20h, Jean-Luc Mélenchon a lui aussi un bon pied dedans. A la tribune, costume sombre et éternelle cravate lie-de-vin, la réaction initiale du leader de la France insoumise est de contester les chiffres : « En toute hypothèse, ce ne sera pas (le résultat) annoncé qui sera le bon. » A minuit, les chiffres officiels tombent, cruels. Et les cadres de la France insoumise ont bien dû se résoudre.
Un étrange appel à témoins
Sur internet, les militants de Mélenchon sonnent la charge. En moins de 24 h, pas moins de trois pétitions différentes sont lancées pour faire annuler le scrutin et réclamer une pétition d’enquête sur ce 1er tour (en tout, plus de 200.000 personnes). On fait feu de tout bois pour le renvoyer aux enfers.
Sur les pages Facebook de soutiens insoumis, entre deux appels à prendre à rue ou à excommunier ceux qui appellent à voter Macron au second tour, de drôles de messages circulent. Souvent en lettres capitales, et attribués à Mélenchon lui-même.
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Le post a été épinglé sur la page « Je vote Mélenchon au 1er ET au 2e tour », suivie par plus de 65.000 personnes. Joint par Streetpress, Raquel Garrido, porte-parole du mouvement, explique que la France insoumise n’est pas à l’origine de cet appel. Ce qui n’empêche pas le hoax de tourner en boucle, commenté et liké par des dizaines d’internautes. Les couacs de cette élection sont brandies comme des preuves accablantes que cette élection est non seulement décevante mais surtout illégale.
Et des couacs, il y en a eu un paquet. Chez les jeunes, le nombre de mal-inscrits est de 40%. A Strasbourg, 15.000 personnes ont été ainsi radiées des listes électorales (elles ont déposé un recours, mais ont été déboutées). D’après Le Monde, d’autres villes sont concernées: Nancy, Clichy ou encore La Queue-en-Brie. Une carte participative des empêchés de vote a été éditée. Des photos circulent, comme celle d’un bureau de vote où on voit une petite fille participer au dépouillement.
Du coup, en plus de protester « contre Le Pen, Macron » un nouveau mot d’ordre est venu s’ajouter au rassemblement du 1er mai organisé place de la République : dénoncer « toutes les anomalies de ces élections ».
« Résistance ! »
Julie, 23 ans, étudiante en sciences politiques à Rennes 1 a fait sa part du travail. Mélenchoniste forcenée, elle a fait tourner des appels à témoins, collecté sans relâche les images et fait des captures d’écran des anomalies partagées ça et là sur les différentes pages de soutien à JLM. Puis elle a tout envoyé à l’adresse mail de la France insoumise, en croisant les doigts. Tous les non-votants n’auraient pas mis un bulletin Mélenchon dans l’urne, certes, mais cette dernière explique à Streetpress que « 40% des jeunes n’ont pas pu voter » et « quand on sait que les jeunes sont les plus nombreux adhérents de la France insoumise, ça laisse songeur… »
Lise s’est résignée au scrutin. Cette enseignante de 30 ans qui vit en région parisienne a quand même envoyé son témoignage de radiée des listes à la France insoumise. Elle était inscrite en Normandie et a été prévenue à la dernière minute qu’elle ne pourrait finalement pas s’exprimer. Lise ne croit pas à l’annulation du scrutin « du tout », « mais je pense que oui, il fallait l’annuler. L’idée du vote est que tout le monde qui le souhaite puisse s’exprimer. »
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Virginie, qui ne veut voter ni Le Pen, ni Macron au second tour reste optimiste. Elle lance :
« La France insoumise n’a pas dit son dernier mot ! Résistance ! »
« Les élections sont truquées ! »
Pour certains militants, ça va plus loin. Pour ces mélenchonistes hardcore, des forces souterraines sont à l’œuvre. Sur les groupes de soutien à la campagne insoumise, les résultats des dépouillements par commune sont comparés aux résultats publiés sur le site officiel du gouvernement. Ils trouvent que des voix pour Mélenchon ont mystérieusement disparues. C’est sûr désormais : « Les élections ont été truquées ! »
Sur Facebook, un certain Jean-Pierre détaille un « coup d’Etat pro-Macron », long et complexe processus dont l’étape 3 serait :
« On supprime les Commissions de Contrôle dans les communes de sorte que les listes soient traitées par l’Insee, ce qui garantit la mainmise de l’état sur ces listes, et lui permet d’effectuer dans l’ombre des radiations en masse dans les quartiers les plus populaires, et ce qui est encore une manière d’écarter Mélenchon ! »
Les conspi de l’UPR s’engagent dans la brèche pour soutenir les mélenchonistes, et réalisent une vidéo de démonstration du trucage sur fond de musique dramatique.
Pour Julie aussi, l’étudiante, le scrutin pue le coup monté : « C’est trop gros, il y a trop d’anomalies repérées et comme par hasard elles tombent sur JLM et Fillon », explique-t-elle. Elle donne à Streetpress l’exemple du bureau de vote de Blanc-Mesnil où les deux candidats auraient perdu des voix au profit des autres. 1436797403060430
Pas peur de passer pour des mauvais perdants ? « A partir du moment où il y a des preuves je ne vois pas de quoi on aurait peur. Il faut bien faire éclater la vérité. » Et la vérité est toute trouvée : « Macron/Le Pen c’est la meilleure configuration possible pour les oligarques, la victoire de Macron est “presque” assurée. »
« Les gens ne veulent pas retourner au petit monde d’avant »
Selon la loi, une telle contestation du scrutin doit s’effectuer dans les 48h après le vote. Mélenchon et ses acolytes de campagne y ont-il songé sérieusement ? « On y a porté attention évidemment », confie Raquel Garrido jointe par Streetpress :
« Mais on n’y a pas mis une équipe à temps plein ».
Cette figure du mouvement rappelle que pour que la contestation aie une chance d’aboutir, il faut que la quantité d’anomalies ait une chance de modifier les résultats. Il en faudrait 500.000 pour la France insoumise. On est loin du compte. « Il y a eu beaucoup d’anomalies sérieuses, à Asnières (92) par exemple, et c’est très grave, mais ramené à un niveau national, ce n’est pas grand chose », relève Raquel Garrido qui ménage la chèvre et le chou. Elle les comprend, ces insoumis en plein déni. Elle compatit, même :
« On est passé si près. Les gens ne veulent pas revenir au petit monde d’avant. Ils sont déterminés, ils ne veulent pas arrêter l’action. »
Elle-même n’avait pas abandonné tout espoir le 25 avril. Un de ses confrères juristes, Tanguy Barthouil lui a envoyé un mail après avoir vu passer l’info sur Facebook que « M.Mélenchon chercherait à réclamer contre le 1er tour ». Il s’agit de faire un recours sur le nom de Marine Le Pen, qui n’est pas son nom d’état civil. Ce qui rendrait les élections illégales. Une contestation de ce type a été rejetée déjà en 2012 par le Conseil constitutionnel.
Raquel Garrido ne veut pas s’en emparer. Mais enjoint Streetpress à enquêter, quand même. Entre-temps, les 48h légales pour déposer un recours sont passées, et aucune contestation n’a été émise par le candidat. Mais la France insoumise n’a pas dit son dernier mot. Elle regarde désormais vers les législatives.
Bon à savoir. Avec 4,75 M de signatures et 185 parlementaires, on peut obtenir une Constituante. https://t.co/5XmopewkSL #legislatives2017
— Raquel Garrido (@RaquelGarridoFI) 24 avril 2017
« Maintenant qu’on a sept millions de votants et qu’on dépasse les 12,5% (c’est le seuil pour être au second tour) dans 452 circonscriptions ça devient envisageable de convoquer une Constituante dans les prochaines années, grâce au référendum d’initiative populaire. » En psychologie, cette dernière étape du deuil s’appelle reconstruction.