Que sont devenues les personnes interpellées en marge du mouvement contre la loi travail ? Loïc a été arrêté aux abords de la Bastille en septembre dernier et a écopé d’une amende 1 100 euros pour « rébellion ».
Le 15 septembre dernier, à Paris, un peu avant la manifestation contre la loi travail, je vois une nasse policière devant la place de la Bastille vers 13h30. Parmi les 40 personnes dans la nasse, je vois l’une d’entre elles, d’un coup, se faire interpeller et menotter. Surpris de cette répression policière, je m’indigne de cette atteinte à la liberté de manifester et lance le slogan : « Libérez nos camarades » pour éveiller l’attention collective des personnes aux alentours.
Tout à coup, alors que cela ne fait même pas deux minutes que je suis arrivé, trois gendarmes sortent de la nasse. Ils me prennent et me tirent. Je tente de reculer, mais ces derniers me plaquent contre le sol violemment. L’un d’entre eux empoigne mes cheveux avec force, jusqu’à m’en arracher. Un autre me frappe au visage. À terre, un gendarme se met en équilibre debout, ses deux pieds sur mes deux genoux. Je saigne du nez, le sang coule sur mon visage et colore le sol bétonné de Paris.
Je suis sous la pression du poids des gendarmes. Mon bras droit se retrouve écrasé entre mon corps et le sol, les gendarmes n’arrivent pas à le prendre et le tire de plus en plus fortement. Dans la confusion et la douleur, je n’arrive pas à m’exprimer pour leur faire comprendre qu’ils me bloquent le bras, en m’écrasant le dos. Finalement, je suis menotté, relevé et plaqué contre le mur dans la nasse. La personne menottée est libérée, la nasse se rétrécit, je me retrouve seul. Tout le monde est en liberté, sauf moi.
« Tais-toi ou je te pète les poignets »
J’essaye de questionner les gendarmes sur les motifs de mon interpellation. Je n’ai pas de réponse. Je continue de m’indigner. Le gendarme à lunettes qui me tient les menottes me dit :
« – Tais-toi ou je te pète les poignets ».
Je répète ce qu’il m’a dit à voix haute pour que les gens autour de la nasse entendent cette menace. Le gendarme exerce une forte pression sur les menottes. Je crie de douleur et lui et son collègue disent haut et fort :
« – Arrête de jouer la comédie ». Je décide, pétrifié, de me taire.
Une dizaine de minutes plus tard, une voiture de police banalisée m’amène au commissariat du 19e arrondissement. Je ne sais toujours pas le motif de mon interpellation. Finalement, on me signale que je suis en garde à vue pour des faits d’« outrage » et « rébellion ». On me dit que la motivation de mon interpellation, ce sont des insultes prononcées à l’égard des forces de l’ordre.
Ayant clairement souvenir que je n’ai pas insulté la police, je mets en avant que, de toute façon, la scène entière a été filmée par plusieurs caméras et journalistes.
Arrestation de Loïc à partir de 4’35
Sous contrôle judiciaire avec interdiction de me rendre à Paris
Après cinq heures de garde à vue, celle-ci est requalifiée avec, en plus de « l’outrage » et la « rébellion », « l’incitation à la rébellion ». Deux heures plus tard, elle sera requalifiée une troisième fois, cette fois-ci sans l’« outrage ». Du coup, sans le motif de mon interpellation.
Je passe en comparution immédiate, on est trois à être ici. Suite à la manif, on demande le renvoi, sauf l’un d’entre nous qui accepte la comparution. On essaye de le convaincre avant l’audience de refuser, mais il est confiant. Il prendra 6 mois ferme, accusé de jet de projectile, ce qu’il nie.
Je me retrouve sous contrôle judiciaire avec interdiction de me trouver à Paris et je dois pointer une fois par semaine au commissariat de Nancy. Le procès se tiendra le 14 octobre.
« Bande de petits merdeux »
Je vais rester 24 heures en garde-à-vue (GAV) dans le 19e arrondissement de Paris. Le 15 septembre, je partage ma cellule avec un syndicaliste SUD qui vient aussi de la manif. Son crime ? Il s’est fait contrôler à l’entrée de la manif avec trois fumigènes dans son sac à dos. Il est toujours venu en manif avec des fumigènes. C’était une tradition pour lui et il n’a jamais eu de problème avec ça.
Dans les couloirs du commissariat, pour aller de ma cellule de GAV à la pièce où l’on fait les auditions, je passe à côté de trois policiers debout, autour de deux jeunes de banlieue, assis sur des chaises. Je précise que les trois policiers sont blancs, les deux jeunes noirs. J’entends un policier au crâne rasé finir sa phrase (je n’ai pas bien entendu le début, mais il semble qu’ils parlaient d’un vol) : « Vous le [d’être des voleurs] transpirez, ça se voit ! Vous avez pas honte ? Bande de petits merdeux ».
Puis le policier gifle violemment un des jeunes. Je suis à deux mètres de la scène. C’est plus fort que moi :
« – Et vous, vous n’avez pas honte de le frapper comme ça ? ».
Tous les regards convergent vers moi, le policier qui me tient les menottes me pousse en avant, en disant :
« – Vous n’avez pas à intervenir ».
« Pourquoi vous venez à quatre dans ma cellule ? »
De retour en cellule, je dors à même le sol. Nous nous retrouvons finalement à trois dans la pièce, avec un seul matelas. Le nouveau est arrivé avec une autre personne pour trafic de stupéfiants. Son ami est dans la cellule d’à-côté. Ils viennent de banlieue. En pleine nuit, nous sommes tous les trois réveillés par des cris. C’est son ami :
« – Oh pourquoi vous venez à quatre dans ma cellule ? Pourquoi vous venez à quatre ? Pourq… ».
Il ne peut plus parler, il semble suffoquer, je suis tétanisé. Celui qui est dans notre cellule se jette contre la grille en la frappant :
« – OH ! Laissez-le tranquille bande de fils de pute ! ».
Les quatre policiers ressortent de la cellule, on entend à nouveau crier avec une rage, une détresse et une rapidité :
« – Pourquoi vous m’avez frappé ? Pourquoi vous m’avez frappé ? POURQUOI VOUS M’AVEZ FRAPPÉ !? Oh mais, c’est fou ici, c’est fou, vous êtes fous… »
Un des policiers vient devant notre cellule. Il demande qui l’a insulté de « fils de pute ». La personne assume :
« – C’est moi ! Laissez le tranquille, bande de fils de pute ! ».
Le policier semble n’avoir rien à faire de l’insulte. Il a l’air de comprendre la rage, vu ce qu’il vient de faire avec ses collègues. Son regard se perd et il s’en va.
« Peut-on aimer la fonction policière lorsque l’on voit son vrai visage ? J’aime l’homme, mais je hais l’uniforme, cette légitimation de la domination et de l’impunité. »
Loïc Schneider, 21 ans
Je n’arrive plus à trouver le sommeil. Je ne pensais pas avant cette expérience que c’était horrible à ce point, que la police faisait vraiment n’importe quoi, mais c’est ce qui se passe quotidiennement dans les commissariats. Et je me dis que je n’ai encore rien vu, qu’il doit y avoir bien pire. Et ça me donne vraiment la haine, une haine légitime.
Peut-on aimer la fonction policière lorsque l’on voit son vrai visage ? J’aime l’homme, mais je hais l’uniforme, cette légitimation de la domination et de l’impunité. Il faudrait récupérer les images des caméras dans les commissariats. Il faut que les images sortent. La vérité doit éclater.
14 Octobre 2016 : renvoi
Le procès est renvoyé au 21 Février à 9 h 00 à la 24e Chambre 1 du TGI de Paris. Le policier qui porte plainte, absent ce jour-là, devra être présent. « Allègement » du contrôle judiciaire avec au lieu de l’interdiction de Paris que j’avais jusque-là, interdiction de « République » et de « Nation » (Je me suis fait arrêter dans une ruelle à côté de Bastille, allez comprendre le lien). Ou comment interdire subtilement de manifester.
Le juge appelle l’avocat de la « victime », parce que dans cette affaire, entendez bien, je suis l’agresseur. Le pauvre policier qui m’a arraché les cheveux sur ces photos lors de l’interpellation, qui m’a dit : « Tais-toi ou je te pète les poignets ! »… ce policier est la victime ! Et il me demande 500 € de préjudice moral pour « rébellion » !
21 Février 2017 : audience
Le procès d’aujourd’hui sur « rébellion » et « incitation directe à la rébellion » est en délibéré pour le 21 Mars. Le policier qui devait comparaître en qualité de témoin n’a pas daigné faire le déplacement, ce qui n’a pas plus au procureur. C’était une audience très intense [de 3h].
Le procureur a reconnu avec le visionnage de la vidéo ci-dessus qu’il n’y a pas de quoi caractériser une « incitation directe à la rébellion ». Je n’ai pas dit « on leur rentre dedans pour libérer nos camarades », ce qu’affirmaient pourtant les différents témoignages policiers. La rébellion violente est tout de même retenue par le procureur. On plaide la rébellion passive, nous verrons ce que décideront les juges le 21 mars.
Quoiqu’il en soit, je me retrouve finalement jugé sans motif d’interpellation, si ce n’est la « rébellion » qui devient légitime face à une interpellation aux motifs inexistants. Il n’y a plus d’outrage, comme les policiers l’avaient inventé au début, ni d’incitation directe à la rébellion.
S’il y a condamnation, nous nageons en plein délire. Malgré tout, le procureur demande 600 euros d’amende pour la rébellion. Et l’avocat du policier reste sur la ligne des 500 euros en préjudice moral (plus 500 euros pour les frais de justice du même policier). Je risque donc quand même 1 600 euros mais je suis confiant, cela sent bien la relaxe !
23 Mars 2017 : délibéré
Condamné à 1 100 euros sans AUCUN motif d’interpellation valable ! Ce qu’il faut comprendre c’est que sans aucune vidéo, je serais encore resté à l’outrage et rébellion. Un classique chez les forces de l’ordre qui leur permet de faire du fric, également pour les avocats des policiers.
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« On ne peut donc pas condamner la police à cause du double mensonge ? Elle a le droit de faire ça tranquillement ? »
Loïc Schneider, 21 ans