12/04/2017

La lutte contre la fraude fiscale est un enjeu démocratique

Par Dominique Plihon ,
Par Aladine Zaïane

L’évasion fiscale est au minimum de 80 milliards d’euros par an en France. Les responsables : des contribuables voyous, des multinationales malhonnêtes et des politiques laxistes. La démocratie est en jeu.

Le déficit public francais est d’environ 75 milliards d’euros par an. Lutter efficacement contre l’évasion fiscale pourrait combler intégralement ce gouffre, si on s’en tient aux plus basses estimations de l’évasion fiscale.

Dans notre campagne “Rendez l’argent” on estime même à 200 milliards par an les fonds qui pourraient être récupérés chaque année. Alors oui, la lutte contre l’évasion fiscale est une priorité qui dépasse la simple question de la bonne tenue des finances publiques.

Ce sont nos droits qui sont bafoués et l’Etat de droit qui est affaiblie face à ces multinationales

Oui l’Etat de droit est affaibli voire remis en cause par le comportement de ces multinationales qui mettent en concurrence les pays européens qui cherchent à être plus compétitifs fiscalement, ce qui entraine une course dangereuse à la baisse des impôts qui est à l’origine des déficits publics. A partir du moment où les multinationales se jouent des frontières et peuvent les mettre en concurrence dans leur système fiscal c’est une atteinte à leur souveraineté fiscale.

C’est une situation ubuesque. On déroule un tapis rouge pour ces multinationales. On pourrait penser, comme on l’a démontré précédemment, que les Etats, et les citoyen.n.es, sont perdants au final face à ce manque à gagner. Mais tout dépend d’où on se place. La doctrine néolibérale sur laquelle s’appuient ces multinationales pousse à la concurrence les entreprises entre elles, ainsi que les Etats.

Des citoyens et des salariés de plus en plus affaiblis

Cette vision est extrêmement dangereuse pour les citoyens qui, eux aussi, sont mis en concurrence. Qui sera la main d’oeuvre la plus attractive ? A ce petit jeu, il n’est pas sûr que les ouvriers en ressortent gagnants. C’est donc une course vers le bas en terme de fiscalité mais aussi dans d’autres domaines comme la protection sociale, le droit du travail, la protection judiciaire…

Ces politiciens qui poussent en faveur de cette fiscalité “attractive”, qu’ils soient irlandais ou hollandais tirent leur pouvoir des multinationales qui les soutiennent. Jean-Claude Juncker en est le bon exemple.


«Ces politiciens qui poussent en faveur de cette fiscalité attractive tirent leur pouvoir des multinationales qui les soutiennent. Jean-Claude Juncker en est le bon exemple.»

Dominique Plihon, ATTAC France

Il était 15 ans à la tête du principal paradis fiscal européen et il est maintenant à la Commission européenne. Un capitalisme de connivence où le personnel de ces multinationales et celui du monde politique s’entendent pour faire perdurer le système.

Le lobby bancaire : un exemple de ce capitalisme de connivence

Le recrutement des élites, en France, se fait essentiellement par l’ENA et l’inspection générale des finances. Ils représentent la plupart des dirigeants de Bercy. Les mêmes qui pantouflent par la suite dans les banques.

Macron en est un bon exemple. Il a été Inspecteur des finances à Bercy avant de rejoindre la banque Rothschild. Il est arrivé à l’Elysée comme secrétaire adjoint, puis ministre de l’Economie et aujourd’hui il est candidat à la présidence se présentant comme indépendant et anti-système !

C’est une supercherie monumentale. Ce ne sont certainement pas des gens comme lui qui vont durcir les règles contre les banques pour lutter contre l’évasion fiscale.


«Macron indépendant et anti-système ! C’est une supercherie monumentale»

Dominique Plihon, ATTAC France

Les forces politiques seules ne pourront pas inverser le rapport de force

En France, les politiques même les plus à gauche ne pourront pas imposer des mesures importantes pour faire respecter la justice fiscale et lutter contre l’évasion fiscale. Ils doivent s’appuyer et articuler leurs stratégies avec le mouvement sociale au sens large.

C’est à nous de faire pression sur ces personnalités politiques pour qu’ils prennent en considération l’évasion fiscale dans leur programme.

Face à la force que déploient les lobbies on constate que les propositions des candidats sont légères. En même temps ils n’ont pas pris la mesure de ce que représente l’évasion fiscale. C’est plus qu’un problème de finance publique. Il touche à la démocratie, à la citoyenneté car l’impôt est un pilier de la démocratie moderne.

Des institutions qui font passer l’intérêt des citoyens après celui des multinationales

La loi Sapin II sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique est une avancée dans la lutte contre la fraude fiscale. Le reporting [La communication de données] sur les activités des multinationales dans les paradis fiscaux a été adopté par
les député-e-s en Commission des lois.

Le Conseil Constitutionnel a censuré cette mesure au motif qu’elle nuirait à la libre entreprise. Ces institutions politiques rétrogrades sont un obstacle pour la lutte contre la fraude fiscale. Pour elles, il y a des normes, des principes, et la libre entreprise vient au-dessus des finances publiques et de l’Etat de droit.

On veut un reporting qui soit public et non pas cantonné aux bureaux de l’administration fiscale. Cela exercera une pression sur les gouvernements d’un côté et les multinationales de l’autre. Soucieuses de leur image, ces multinationales en souffriront.

Les citoyens pourront savoir publiquement et de source officielle qu’elles font de l’évasion fiscale. C’est une bataille qu’on n’a pas encore gagné mais on a marqué des points.