Aux Minguettes, au sud-est de Lyon, « des Théo il y en a plein » raconte Mamar. Pourtant, plus rien ne choque les habitants : ni Mehdi qui s’est tué en essayant d’échapper à la police, ni une descente bien musclée au milieu des familles.
Vénissieux (69) – « Ici la police, tu les vois plus que ton père et ta mère. » Lorsque Mamar parle des Minguettes, il est à la fois las et cynique. Le trentenaire, sweat noir aux manches grises et rouge, connaît bien ce quartier de Vénissieux, au sud-est de Lyon. Il y est né et y a grandi. Assis à la terrasse de La Darnaise, le snack du boulevard Lénine, Mamar déroule les histoires d’interpellations. Les siennes, celles de voisins, il parle de routine. Comme à Aulnay-sous-Bois, il décrit des scènes de dérapage :
« Des Théo il y en a plein et ils ne passent pas tous à la télé. »
Ici, ni Théo ni Adama n’ont soulevé les foules. Depuis décembre, quelques marches blanches ont été organisée pour Mehdi, un homme de 28 ans décédé dans les rues des Vénissieux. Mais elles n’ont pas fait le plein, selon les militants.
Cheez. /
Mehdi, mort en scooter
Décembre 2016. Mehdi est sur son scooter avec deux amis. Un casque pour trois. Repéré par une patrouille de police, il tente d’échapper à un contrôle. Il ne lui faudra que quelques mètres pour se prendre le terre-plein d’un rond-point de plein fouet. Les deux passagers sont grièvement blessés. Mehdi perd la vie.
Pour la police, c’est un banal accident de la route. La famille, elle, réclame l’ouverture d’une enquête. Pour médiatiser l’affaire et mobiliser l’opinion publique sur ce qu’elle considère être une bavure, elle s’est d’abord tournée vers des militants anarchistes, très actifs sur Lyon et sa banlieue. « Nous sommes les seuls à parler des violences policières », assure Thomas*, un militant anar’. Si à l’échelle nationale Urgence la police assassine s’est saisi de l’affaire, localement la mobilisation est moindre.
En bas des tours, Mamar hausse les épaules :
« La police fait tomber des petits en scoot tout le temps. Ils se mettent à côté, ouvrent la portière, les font tomber et contrôlent ensuite. »
Deux mois plus tard, rebelotte. En plein barbecue dans le parc des Minguettes, la police tire des grenades lacrymogènes et des flash-balls sur des femmes et des enfants. A l’évocation de l’affaire, Mamar ne tique toujours pas.
"Ici on ne rêve plus." /
Ni lui, ni aucun des copains à sa table n’a jamais haussé la voix contre les violences policières. « A quoi bon », répètent-ils. Ils s’y sont juste faits. Avec le temps, Mamar raconte qu’il a appris à esquiver les contrôles :
« On baisse les yeux, on fait mine de rentrer chez soi. »
« Les marcheurs ont marché et puis quoi ?! »
Les habitants des Minguettes ont pourtant été à bonne école. Dans le quartier, le souvenir de la marche pour l’égalité et contre le racisme est encore vivace. « Les marcheurs étaient des héros, on était impressionnés », se souvient Ali, 41 ans. « Tout de même, toute une génération de militants s’est formée ici autour des bavures policières », rappelle Djida Tazdaït, militante de l’époque, ex-députée européenne et candidate aux législatives sur une liste UDI. En 1983, la Marche traverse toute la France pour sensibiliser les populations à cette question. Mais selon Abdelaziz Chaambi, ancien marcheur aujourd’hui engagé à la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI), « depuis 83, la dynamique est cassée » :
« N’ayant pas obtenu l’égalité des droits et le droit de vote pour nos parents, les générations suivantes n’ont pas cru à ce combat »
A l’époque, mise à part la création d’une carte de résident de dix ans, les marcheurs n’obtiennent aucune des revendications qu’ils ont déposées sur le bureau de François Mitterrand. « Les marcheurs ont marché et puis quoi ?! Super ils ont marché. Mais rien n’a changé depuis 1983, depuis 2005 et je ne pense pas que ça changera », lâche Mamar.
« Ici c’est Gaza »
Abdel, 27 ans, lève les yeux au ciel. Il se lance dans le décompte des appartements de la tour d’en face :
« Je compte 16 étages et je sais qu’il y a 5 appartements par pallier. Ca fait… 80 apparts’ par tour. »
Certains dénoncent le manque de perspective que l'on donne à la population. /
Toutes ne sont pas si hautes, mais les jeunes du quartier ont l’impression de vivre « dans une prison à ciel ouvert », selon Ali. Outre les contrôles au faciès – « et ici toutes les têtes sont bonnes », rigole Mamar – le petit groupe dénonce le manque de perspective que l’on donne à la population. Ce que Kamel, 36 ans, regrette :
« On ne rêve plus ici, on vit. Point barre. »
Pourtant, l’énorme quartier a bonne mine. Les tours sont d’un blanc irréprochable, les équipement et les parcs pour enfants semblent flambant neuf. Mamar roule des yeux :
« Elles sont belles nos tours, hein. Refaites à neuf il n’y a pas si longtemps. Mais ça n’est que de la façade. Ici, rien n’a changé. C’est Gaza. »
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