La nouvelle loi sur le devoir de vigilance des multinationales est une première dans la protection de l’environnement et des droits des travailleurs à l’étranger. Mais elle est insuffisante. La faute à un lobbying féroce, et à certains politiques.
Ce mardi 21 février a été voté une loi importante et pionnière, car elle met fin à la scandaleuse impunité des multinationales françaises.
Malheureusement, elle n’est pas aussi ambitieuse que voulue : elle ne comporte pas de volet pénal. Les milieux économiques s’y sont férocement opposés, et ont bénéficié de l’oreille très attentive de Bercy quand Macron était ministre.
Que dit la loi ?
Jusqu’à maintenant, il n’y avait pas de possibilité de remonter jusqu’à la maison-mère ou au donneur d’ordre lorsque leur activité créait un dommage à l’étranger, directement ou via leurs sous-traitants.
La mondialisation a créé cette opportunité, pour les entreprises multinationales, de réaliser du profit presque sans entrave, aux dépens de l’environnement et des droits fondamentaux des personnes. On parle ici de travail des enfants, d’exploitation des travailleurs, de sols pollués, de destruction de l’écosystème, de déplacements de populations et autres violations.
Cette nouvelle loi oblige les très grandes entreprises à surveiller et éviter les risques de violation des droits fondamentaux et de dommages à l’environnement qu’elles pourraient causer en France et partout dans le monde. Elles doivent publier un plan de vigilance et le mettre en oeuvre.
Un juge pourra prononcer une sanction contre une entreprise si elle n’a pas assez surveillé son activité. Dans le cas où il y a dommage grave (une marée noire par exemple), il pourra imposer jusqu’à 30 millions d’euros d’amende, si le juge considère que son plan de vigilance n’était pas adéquat ou correctement mis en oeuvre.
Pourquoi n’est-ce pas suffisant ?
En premier lieu, un seuil a été introduit pour ne concerner que les très grandes entreprises. Il s’agit des groupes de plus de 5.000 salariés en France ou 10.000 à l’étranger, dont le siège social est présent en France. L’introduction de ce seuil exclut beaucoup d’entreprises du périmètre de la loi (seules 150 entreprises environ sont concernées).
Ce seuil, souhaité par Bercy, le ministère de l’Economie et des finances, exclut des entreprises qui pourraient avoir des activités dommageables socialement ou écologiquement.
Une société de distribution et de production de gaz comme Prenco, accusée dans plusieurs pays d’Amérique latine de violer les lois locales ou dégrader l’environnement n’est pas concernée par exemple.
Ensuite, cette loi est très modérée parce qu’elle ne comprend pas de volet pénal et ne crée pas de nouveau régime de responsabilité.
Il n’y pas d’obligation de résultats par ailleurs : si, en cas de dommage, le juge considère que le plan de vigilance a bien été mis en œuvre, la responsabilité de la maison-mère ou de la multinationale ne sera pas engagée.
Surtout, l’accès des victimes à la justice est loin d’être garanti. C’est aux populations ou personnes qui verraient leurs droits bafoués qu’incombe toute la charge de la preuve. Cela veut dire qu’elles devront prouver à la fois la faute et le lien de causalité entre la faute et le dommage pour obtenir réparation, ce qui relève du parcours du combattant.
Ces populations n’ont ni l’accès à l’information ni les moyens techniques ou financiers pour se défendre. En face, vous avez une multinationale puissante et juridiquement sur-armée. En l’état, la loi ne prend pas en compte ce déséquilibre.
Bref, le risque pour une multinationale d’être réellement condamnée pour des dommages est assez faible, contrairement à ce que le Medef ou l’Afep — l’organisation qui représente plus ou moins le CAC 40 — prétendent. Mais son intérêt central réside dans le volet « prévention ». C’était l’objectif que nous visions.
Quels étaient les arguments des grosses entreprises ?
Malheureusement, et même si les dérives des multinationales à l’étranger choquent la plupart des citoyens français, elles ont mené un lobbying puissant, et efficace, auprès du ministère de l’Economie et des Finances et ont un accès privilégié à la majorité sénatoriale, de droite, qui s’est opposé de façon systématique au texte.
Le Medef et l’Afep, ainsi que certaines multinationales, individuellement, ont tout fait pour enterrer la loi, auprès des pouvoirs publics comme des parlementaires, mais aussi des médias.
« On sait que les droits fondamentaux ne passent jamais avant la recherche du profit »
Nayla Ajaltouni, coordinatrice d’Ethique sur etiquette
Leurs arguments sont clairs et parfois malhonnêtes. Il y a celui des “initiatives volontaires” : la responsabilité sociale doit selon eux relever de la seule volonté des entreprises, il y a une opposition de principe à toute imposition de règles. Mais on sait que les droits fondamentaux ne passent jamais avant la recherche du profit : le Rana Plaza a eu lieu après 20 ans de mesures « volontaires ».
Le deuxième argument est celui de la compétitivité. Cette loi entraverait la compétitivité des entreprises françaises parce qu’on leur impose des règles strictes et pas aux autres. Cette affirmation n’est corroborée par aucun chiffre : il n’existe pas d’information étayée sur le lien entre les normes et la perte de compétitivité. C’est de l’idéologie. Il faut au contraire considérer ces obligations comme un argument de compétitivité à l’international.
Par ailleurs, cela voudrait-il dire qu’il y a un avantage compétitif à violer les droits humains et à détruire l’environnement ? il faut sanctuariser ces droits fondamentaux de tout individu.
Pourquoi le lobbying des multinationales est plus fort ?
Ces arguments ont porté. Le lobbying des ONG, notre « plaidoyer citoyen », qui vise à défendre l’intérêt général n’a pas le même poids que le lobbying des acteurs économiques, bien plus puissants. C’est une question de rapport de force, et bien entendu de puissance économique.
« Macron a vraiment protégé les intérêts économiques des grands groupes »
Nayla Ajaltouni, coordinatrice d’Ethique sur etiquette