13/02/2017

Arrêtez d’emmerder les « beurettes »

Par Doria Nour Attia ,
Par Sarah Lefèvre

Passer le terme "beurette" au scalpel revient à décortiquer l'ensemble des préjugés qui stigmatisent, non seulement les Arabes, mais surtout les femmes arabes. Parce qu'il y a du boulot pour combattre les raccourcis, Doria prend la plume !

Non, tous les Arabes ne sont pas croyants, et non, ils ne sont pas tous musulmans. Recevoir une éducation musulmane ne fait pas d’eux des religieux en puissance, et ô, miracle, il arrive même que certains d’entre eux parviennent à se forger leur propre opinion, et qu’ils se construisent indépendamment des us et coutumes qu’on leur a inculqués.

La femme arabe est aujourd’hui le sujet de bien des débats, et nombreux sont ceux qui pensent être en mesure de décider pour elle de sa façon de s’habiller, de penser, de ses croyances, ou encore du sens qu’elle doit donner à sa vie.

Fantasme sexuel

L’un des premiers points importants à aborder est d’ordre sémantique. A l’ère de l’extension de la conscience féministe, le terme « beurette » semble désuet, et pourtant, il reste encore fréquemment utilisé. Il désigne, de la manière la plus dégradante qui soit, les jeunes femmes issues de l’immigration maghrébine. Selon la croyance populaire, la beurette est une jeune femme vulgaire, fanatique de Jul, passionnée de chicha et au teint orangé.

La beurette est devenue un fantasme sexuel, et si on tape ce terme sur Google, on peut tomber sur des résultats assez sympas.

Bien évidemment, les rappeurs et les starlettes de télé-réalité ne sont pas étrangers à la propagation de ce stéréotype.

Cette jeune femme est donc réduite à son origine, et est concrètement décrite comme une personne de petite vertu aux mœurs d’une grande légèreté.

En revanche, notons que la version masculine de ce terme n’est pas sujette à controverse puisqu’elle désigne simplement un jeune homme aux origines maghrébines : la beurette n’est pas son ersatz, mais une « putain », parce qu’elle a fait le choix de vivre sa vie comme elle l’entend.

Le monde entier sur le dos

Cette dévalorisation de la beurette est étroitement liée au fait que cette dernière soit croyante ou non, et qu’elle soit pratiquante ou pas. La corrélation entre religion et femme arabe se fait toujours spontanément dans l’esprit de nombreuses personnes et ainsi, si une femme est issue d’une famille maghrébine, on aura tendance à penser qu’elle est donc nécessairement musulmane.

La jeune beurette est scrutée et jugée par ses pairs, par la société, par les politiques, par les autres jeunes femmes, par les hommes et enfin par sa famille. Tous s’imaginent en droit de lui imposer leurs opinions, et de lui dicter sa conduite.

Insultes et contre-attaques

Peu importent les débats, la jeune Arabe n’est que très rarement valorisée.

Si elle est croyante, elle devra subir sans broncher toutes les allusions au terrorisme, à Daesh et tutti quanti et se retrouvera bien malgré elle en train de défendre sa religion, à tenter de prouver par a+b que non, l’islam ce n’est pas ça, que ce n’est pas une bande de sauvages frustrés et assoiffés de sang ne désirant rien d’autre que semer guerre et chaos autour d’eux.

Si en plus elle porte le voile, ce sera la cerise sur le gâteau : une vie de regards en biais, de personnes gênées, pensant savoir de quoi elles parlent tout en multipliant les amalgames et les stéréotypes. Sans oublier parfois les actes de violence dont ces femmes peuvent être victimes : crachats, insultes et j’en passe.

Les débats concernant les jeunes musulmanes ne sont pas rares et sont même monnaie courante dans le paysage politique. Un débat sans mention au voile ou à l’islam n’en serait pas un. Les commentaires islamophobes et racistes pullulent sur les réseaux sociaux, et j’ai personnellement cessé de répondre aux commentaires des petits pouilleux frustrés et sans éducation.

« Comment ça se fait que tu bois de l’alcool ? »

Mais on demandera aussi d’elles au sein de leur sphère privée et familiale (lorsqu’elles sont issues d’une éducation musulmane) une certaine rigueur dans leur croyance et d’être sérieuses. D’ailleurs, même les personnes étrangères à elle peuvent se permettre de la juger. Je tombe régulièrement sur des vidéos dénonçant les musulmanes qui s’amusent. Récemment, la vidéo d’une jeune femme twerkant dans une chicha est devenue virale. Bien évidemment, la jeune voilée ne faisait pas l’objet de compliments.

A contrario, si elle est athée, mieux vaut pour elle éviter d’en faire mention : elle risquerait le mépris et le rejet de sa famille. Elle serait considérée comme une vendue et une ingrate, mais aussi comme une personne ayant totalement renié ses origines.

En société, ce n’est guère mieux. Les questions fusent, toutes plus gênantes les unes que les autres: « Mais tu es de quelle origine ? Comment ça se fait que tu bois de l’alcool ? Tes parents le savent ? Et tu manges du porc ? Tu vas souvent au bled ? » Blablabla.

Droit de parole restreint

Quand ta seule envie était de boire tranquillement ton petit pinard, la déception est grande. Devoir constamment se justifier et expliquer qu’en tant qu’être humain, doté d’une conscience et d’un cerveau, tu es capable de grandir dans un environnement croyant tout en te forgeant ta propre opinion, devient extrêmement fatigant à la longue. Alors tu finis par sourire, et par t’extraire gentiment d’une de ces conversations pénibles et fastidieuses qui t’ennuient profondément.

Concrètement, peu importe ce qu’elle fait, la beurette fait mal. Sa simple existence est sujette à de multiples controverses et jugements de valeurs. Son droit de parole est restreint, puisque chacun s’imagine pouvoir parler pour elle et comprendre le problème. En réalité, cette jeune femme ne cherche qu’une chose : qu’on lui lâche la grappe une bonne fois pour toutes et qu’on la laisse profiter de sa vie comme elle l’entend, comme n’importe quelle femme.