Dans un monde où prospèrent fake news et versions alternatives, le journalisme « neutre » n’a plus de valeur. Je suis journaliste, et je pense que l’objectivité, c’est fini. Au contraire, devenons moins honteux, plus bruts et honnêtes avec nous-mêmes.
Comme beaucoup de monde, les dernières nouvelles [aux États-Unis] m’ont empêché de dormir. J’ai d’abord profondément remis en question notre rôle à nous, journalistes professionnels, dans un moment pareil. Mais aussi la manière dont nous devons changer nos pratiques pour nous adapter à un gouvernement qui croit aux « faits alternatifs » et prospère sur des mensonges, y compris celui de la suprématie blanche.
J’ai aussi l’immense privilège de travailler pour un média de service public, un média dont la mission est d’être au service de ses auditeurs. Et non au service d’entreprises privées ou à la merci de la dictature du clic ou du like.
L’un des sujets les plus cruciaux est de reconsidérer notre rapport à l’« objectivité ». Certains prétendent que si nous abandonnons notre posture de neutralité journalistique, ce sera le camp de la « post-vérité » qui aura gagné.
Au contraire, je réponds que nous, comme nos lecteurs, sommes largement capables d’assumer un regard, et en même temps de nous en tenir à la vérité.
C’est d’autant plus nécessaire que nous, journalistes, allons bientôt devoir, plus que jamais, nous battre pour défendre un journalisme au service des citoyens.
Voici 5 réflexions sur l’objectivité et l’engagement, dans le contexte politique actuel :
1. La neutralité n’existe pas
La neutralité n’existe pas : elle est impossible à atteindre pour moi, et vous devriez admettre qu’elle l’est aussi pour vous.
Exemple : Personnellement, je suis membre d’un groupe marginalisé, les transgenres, et n’ai jamais eu l’occasion de prétendre que je pouvais être « neutre ». Après des années de silence et de déni, les médias se sont finalement mis à raconter des histoires trans. Mais le débat porte sur notre droit à faire partie de la société, à utiliser les infrastructures publiques et à vivre sans nous faire harceler, virer ou même tuer.
Évidemment, je ne peux pas être neutre ou me positionner au centre d’un débat qui touche à ma propre humanité. L’idée selon laquelle je n’aurais pas le droit d’exister n’est pas une opinion. C’est une idée fausse.
De la même manière, est-ce qu’on peut attendre des personnes non-blanches qu’elles accordent du crédit aux arguments d’un suprémaciste blanc – quelqu’un, donc, qui soutient une position à la fois non-scientifique et moralement répréhensible quant à l’humanité même ? Qui parmi nous devrait lui accorder du crédit ?
Un dernier point sur ça : La posture centriste, modérée, que l’on considère comme neutre, se déplace en fonction du cours des événements. L’histoire du journalisme est d’une grande aide pour comprendre que cette fameuse posture centriste tient davantage d’une tactique marketing pour toucher de larges audiences, que d’une neutralité effective.
« La posture journalistique centriste, modérée, que l’on considère comme neutre tient plus d’une tactique marketing pour toucher de larges audiences que de la neutralité »
Lewis Wallace, journaliste @lewispants
Beaucoup de journalistes qui ont dit la vérité lors de moments clés de notre histoire sont sortis de cette neutralité et ont été membres de l’opposition – ici [aux États-Unis] comme ailleurs.
Aujourd’hui, le gouvernement [des Etats-Unis] est train de faire un pas de côté et de rendre mainstream une vision du monde où la « post-vérité » s’immisce partout. Voilà pourquoi plus aucun journaliste qui compte rapporter des faits réels ne peut plus rester neutre.
2. La question de qui prend les décisions éditoriales est cruciale
Les journalistes issus de communautés marginalisées doivent être autour de la table quand les décisions éditoriales sont prises. Ils doivent façonner les histoires que les médias d’information diffusent.
Je suis convaincu que les lecteurs désirent ardemment lire des articles qui intègrent un vrai point de vue, avec ce que cela charrie d’honnêteté, d’originalité et de profondeur.
« Les lecteurs veulent des articles qui intègrent un vrai point de vue, avec ce que cela charrie d’honnêteté, d’originalité et de profondeur »
Lewis Wallace, journaliste @lewispants