La youtubeuse publie « Très intime », une série d’entretiens de femmes racontant leur vie amoureuse et sexuelle. Des témoignages qui montrent que tout est politique, surtout l’intimité.
On voudrait avoir envie de sexe. Ce serait bien, mais on n’a pas envie. Alors plutôt que d’expliquer ou d’imposer ça à l’autre, on laisse faire. J’appelle ça les petits arrangements avec soi-même. Dans les rapports amoureux et sexuels, on fait en permanence des choses, non pas pour soi, mais pour l’autre. Pour que ça passe. Pour le statu quo.
Ce problème du consentement. Pourquoi on dit oui quand on n’en a pas envie ? C’est quelque chose de permanent dans les témoignages que j’ai recueillis pendant deux ans et demi.
La sexualité féminine a beaucoup subi
J’ai interviewé des femmes de 18 à 46 ans, de la jeune fille à peine majeure à la femme nouvellement ménopausée. Je suis littéralement entrée dans la chambre à coucher de vingt inconnues, prenant trois heures pour chaque entretien. J’ai choisi de parler de sexualité féminine, plutôt que de sexualité masculine, parce que j’avais envie de prendre soin de cette part-là. De l’écouter, de l’accueillir, car elle a beaucoup subi jusqu’ici.
Les femmes ont une propension à se mettre volontairement en retrait, à mettre leur désir et leur plaisir en dessous de celui de l’autre. C’est clairement l’effet d’un processus de domination. C’est grave, c’est banal, et c’est chiant parce que ça fait longtemps.
Questionner des femmes plutôt que des hommes, au-delà de l’aspect politique, était aussi un choix stratégique. Avec des hommes, parce que je suis une femme notamment, mais pas seulement, je n’aurais pas eu cette qualité de confidence.
Revenir sur des comportements qui nous semblent naturels
Dans ces entretiens, les femmes mettent sur la table de manière distanciée des choses qu’elles font ou ont faites. Tous ces comportements qui leur semblent naturels et qu’elles n’avaient jamais auparavant remis en question. Elles en parlent parfois pour la première fois.
La sexualité est le lieu d’une vérité. Parler de sexe, c’est un moyen de rencontrer des gens pour de vrai. De ne pas entendre un discours réflexe, tout fait. C’est aussi un lieu profondément traversé par des rapports de force.
Ce qui m’a le plus impressionné, c’est la clairvoyance et l’honnêteté des femmes rencontrées : elles ne se mentent pas à elles-mêmes et elles ne me mentent pas non plus. Elles ont accompli ce travail comme un devoir. Elles veulent toutes aller vers le mieux, se prendre en charge.
Un tiers de viols ou d’abus
Un tiers des personnes que j’ai interrogées ont vécu des abus, des viols. Quand je m’en suis rendue compte, c’était un choc. Il faut savoir que le viol par un inconnu dans une ruelle sombre c’est 3,7% des viols (je tiens mon chiffre de « Les crocodiles »), c’est ridiculement minime.
« Il insère son pénis dans un vagin et fait des va-et-vient jusqu’à ce qu’il jouisse, peu importe le vagin et peu importe si le vagin est d’accord »
Solange te parle, artiste
L’histoire de Gabrielle par contre est banale, tristement. Ce garçon gentil, mignon, qui la raccompagne chez elle. Et puis ce viol. Elle raconte très bien ce que c’est : « Il insère son pénis dans un vagin et fait des va-et-vient jusqu’à ce qu’il jouisse, peu importe le vagin et peu importe si le vagin est d’accord ». L’impression d’être un trou. Ensuite la victime de viol ne sait pas toujours comment nommer ce qu’elle a vécu, minimise souvent ce qui est arrivé. J’espère que ça change, justement parce qu’on en parle de plus en plus. Je me suis sentie investie d’une sorte de mission, même si ça peut paraître prétentieux de dire ça.
J’ai interrogé des femmes relativement privilégiées. Qui ont toutes un toit, un réseau. Mais je pense que sur les 3,5 milliards de vulves de la terre, une majorité souffre énormément comparée aux pénis. D’où ce besoin de mettre le pied dans la porte, de dire « il faut y réfléchir, en parler ».
J’aime le mot « sororité »
Il y a déjà beaucoup de bruit ambiant sur la sexualité. Mon objectif n’était pas de rajouter du bruit au bruit. Mais je pense que cette lecture peut faire du bien, aux hommes et aux femmes. Modifier des trajectoires individuelles.
Pour un homme, lire ce genre de témoignages a un côté voyeur. Mais voyeur pris au piège. Du style « je veux rester et regarder, même si ça fait un peu mal ». Sauf pour celui qui se protège en disant « non moi je ne ferais jamais ça ».
« Suis-je normale ? Suis-je aussi bonne que les autres ? On cherche à savoir et à se classer dans la hiérarchie des êtres. »
Solange te parle, artiste