02/02/2017

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Les jeunes loups de la finance « refont le monde » au Cigar Social Club

Par Félix Lemaître

Jeunes loups de la finance, avocats d’affaire et chroniqueurs de BFM business se pressent aux soirées du banquier Florian Rey. Avec le Cigar Social Club, il veut uberiser la bourgeoisie.

Paris 9e — 18 heures, au bar du luxueux hôtel Scribe. Florian Rey sirote un thé avant de retourner à son travail dans une banque d’investissement de la capitale. Blond, yeux bleus et costume impeccable, il fait penser à Barney Stinson de How I Met Your Mother. Le fondateur du Cigar Social Club se dit « fumeur occasionnel ». Mais l’ambition du gus n’est pas seulement de partager sa passion du barreau de chaise :

« Le but du Cigar Social Club, c’est de créer une grande communauté. »

Leur devise : « Refaire le monde ». Mais quel monde ? Fondé en 2013, ce club est vite devenu un haut lieu de réseaux pour les acteurs de la finance.

Oklm. /

Du beau linge

Au début, le groupe est virtuel, fruit d’échanges entre Florian Rey et une dizaine de twittos liés aux secteurs de la banque et de la finance qui cherchent à se rencontrer. Florian Rey pense aux cigares cubains comme prétexte. Ils se retrouvent pour une première réunion au Cubana Café et décident d’officialiser le club. Dès leur troisième événement, ils sont une centaine à faire des ronds de fumée sur la terrasse privatisée du Batofar.

Trois ans plus tard, le club revendique 600 membres actifs. La raison de cette croissance express, c’est l’influence des membres de la première heure. Florian Rey les nomme ses « ambassadeurs ». Parmi eux, on trouve Jean-Charles Simon, économiste écrivant pour Les Echos ou Le Figaro et inscrit au Who’s who, le chroniqueur pour BFM Business Fabrice Pelosi ou le magnat du secteur de l’épargne salariale Jérome Dedeyan. Des hommes d’influence.

Jeunes et ambitieux

Le but du club est de créer une communauté jeune et influente, assume Florian Rey :

« On vise des personnes de 25 à 45 ans maximum, CSP +, au statut social “avancé” donc. Issus de la finance principalement mais pas que. Il s’agit de passer de bons moments et s’entraider. Au club, on peut trouver son avocat, son stagiaire, des gérants d’actifs ou recevoir des propositions de job. »

Fin 2016, dans un loft sur les Champs-Elysées, loué pour l’occasion. Une trentaine de personnes, barreau de chaise à la main, participent à cette masterclass Luxe à la française, organisée par le club. Même si le descriptif de l’événement annonce un dress-code « casual », tout le monde est sur son 31. Entre deux petits fours, on fixe des rendez-vous, on s’échange des cartes de visite.

Cosy. /

Nathalie, 29 ans, est credit manager. Elle est venue pour se faire des contacts hors de sa boîte :

« C’est primordial de resauter dans ce milieu, pour être au courant des opportunités d’emploi. C’est mieux que Linkedin ! »

Uberiser la bourgeoisie

C’est sa première fois. Les cigares, d’habitude, elle n’en fume que pour les grandes occasions, mais il faut ce qu’il faut. Séduite par la modernité du club, elle a sauté le pas :

« C’est moins contraignant, moins Rotary. Ça m’a décidé. »

La bourgeoisie de salon, très peu pour elle. Un modèle en déclin pour Florian Rey. « Il faut uberiser ce carcan rigide », assène-t-il. Au Cigar Social Club, pas de frais à l’année :

« C’est comme pour le forfait de votre téléphone, c’est la liberté qui plaît aujourd’hui. »

C’est ce qui a motivé Guillaume, 33 ans, commissaire aux comptes :

« Je fais partie du club de cigare des anciens de Dauphine. Les autres ont tous au moins 50 ans. C’est trop protocolaire et technique. Je voulais changer d’air.»

Fumeurs d’élite

Florian Rey se défend d’avoir créé une organisation élitiste :

« Je veux changer l’image du fumeur de cigares, opulent, chauve, bedonnant, occupant un poste dans la finance ou la banque. »

Un avis partagé par Guillaume. « Le Cigar Social Club, c’est démocratique », s’exclame-t-il accoudé au balcon d’où l’on peut voir la cime de la Tour Eiffel. « C’est vrai, on peut être banquier et fumeur de havane sans être un salaud », renchérit son voisin, DRH. Le boss du club de cigares assure ne pas « faire partie de la haute bourgeoisie » :

« On ne se sent pas au-dessus des autres. Tout le monde peut venir grâce au net. »

Encore faudrait-il être au courant des activités du club dont l’existence n’est relayée que dans les médias économiques ou le Figaro. Sans compter les 50 euros pour un événement auxquels s’ajoutent les 15 euros, en moyenne, pour un cigare.

Petit commerce

Le Cigar Social Club est devenu récemment une micro-entreprise. Si le club n’a pas pour vocation de faire des bénéfices, Florian Rey multiplie les partenariats pour pérenniser et faire grandir le club. Les quatre évènements annuels sont de véritables vitrines pour toute sorte de marques et prestataires. A la masterclass, on assiste à une réunion Tupperware ultra-chic.

Ca se met bien. /

Les intervenants se succèdent sur l’estrade sur un fond de cool jazz. Un expert en gestion du patrimoine ouvre le bal. « Malheureusement, l’ISF n’a pas encore disparu. Mais moi, je peux vous aider à optimiser vos biens. », lance-t-il à une assemblée conquise. Puis, c’est au tour du représentant en Armagnac de vanter ses meilleures bouteilles dont le prix peut monter jusqu’à 150 euros.

Mais le clou du spectacle, c’est l’arrivée de Luca. Il est venu présenter un cigare 100% français, fabriqué à Pau. Plantes nourries à l’eau minérale, champs suivis par satellites, séchage photovoltaïque… Ses arguments sont aiguisés. Il s’agit de convaincre son public de payer un cigare 20 euros pièce. Luca fait régulièrement le tour des clubs de cigares de France. Il leur propose même des bagues personnalisées voire un cigare à tirage limité.

Smoke cig’ every day

S’il veut chouchouter les clubbers, c’est que le marché est porteur :

« Il y a environ 200.000 fumeurs de cigares réguliers en France. C’est un marché de 14 millions par an. ».

Les marques de cigares sont des gros soutiens du Cigar Social Club. « C’est un moyen détourné de faire de la publicité parce que c’est très encadré, quasi-impossible. L’industrie veut sortir de “La Civette”, ces tabacs où il y a des caves à cigares ! », explique Florian Rey. Mais le patron du club veut élargir ses partenariats. Il prépare une association avec la marque de costumes Scabal, « celle que porte Obama » précise-t-il avec un sourire.

18 heures, Guillaume est déjà pompette, il est temps de quitter le loft. Il s’engouffre dans un taxi pour retourner à son duplex de Boulogne-Billancourt, une poignée de cartes de visite dans la poche de son costard. Florian Rey, de son côté, fait le bilan :

« L’event est complet, on a refusé du monde. Beaucoup de contacts se sont noués. ».

Mission accomplie.