Comme François Hollande en 2012, plusieurs candidats à la primaire socialiste promettent de mettre en place une traçabilité des contrôles d’identité pour lutter contre le contrôle au faciès. Au vu de leur bilan, Nassim Lachelache n’y croit plus.
Pendant cinq ans, on s’est battus pour que François Hollande agisse concrètement contre ces contrôles abusifs et discriminatoires de la police contre les minorités, qu’on appelle « contrôles au faciès ».
Bien que l’Etat ait été condamné pour ces pratiques discriminatoires et que notre mouvement ait imposé le débat dans les arènes médiatique, judiciaire, politique et législative, cinq ans plus tard, les contrôles abusifs et les violences policières perdurent, sans réel contrôle de l’activité des policiers.
En 2016, la Cour de cassation confirme la condamnation de l’Etat pour des contrôles au faciès
C’était historique. Le 9 novembre 2016, la France a été définitivement condamnée pour faute lourde du fait de sa pratique discriminatoire de contrôles au faciès, dans une action en justice collective sans précédent.
Désormais, il y a une jurisprudence : si on arrive à montrer qu’on a été contrôlé pour rien, c’est reconnu comme une discrimination et on peut recevoir 1.500 euros de dédommagement. En gros, un contrôle au faciès, ce n’est pas gratuit et les policiers doivent s’en expliquer.
Mais ces contrôles sont difficiles à prouver sans récépissé
Seulement, l’un des meilleurs moyens de prouver ces contrôles au faciès était la fameuse politique de traçabilité des contrôles, avec notamment des récépissés — un procès verbal en gros — remis aux citoyens lors d’un contrôle. Sans trace, c’est difficile de prouver que le contrôle a existé, mais aussi et surtout, il n’y a pas de moyen d’évaluer l’efficacité des contrôles, leur coût et leurs abus, ni d’identifier les agents qui discriminent de manière systématique.
Mais voilà, la question du récépissé a été vite réglée. Le gouvernement ne s’est pas embêté à la garder sous le bras, en se disant qu’il allait la régler plus tard, en fin de mandat. Dès septembre 2012, Valls, ministre de l’Intérieur, a dit que ça ne se ferait jamais. Et là, il a tenu parole.
Le PS a baladé les quartiers populaires… encore une fois
On ne l’avait pas vu venir. L’action en justice juste avant la campagne présidentielle de 2012 et notre campagne de sensibilisation ont conduit à ce que le sujet « contrôle au faciès » soit repris par tout le monde. Le PS était obligé de se positionner. On venait avec des propositions claires et travaillées qu’on soumettait aux politiques, après un travail de fond avec les acteurs concernés, de la police aux citoyens.
Moi je faisais partie de ceux qui, assez naïvement je le reconnais, pensaient qu’on était à un tournant dans le rapport de force, qu’on avait réussi à imposer cette question même chez eux. La dynamique s’était traduite par des propositions de loi chez EELV, au PC, à l’UDI. Au PS aussi, du moins c’est ce qu’on croyait. Mais le récépissé est très vite devenu un élément de langage à ressortir dès qu’on parle à la banlieue, un truc pour balader les gens.
Un peu de naïveté
Avec du recul, je pense qu’au sein du collectif Stop le contrôle au faciès, on avait tellement avancé de manière inédite qu’on n’a pas bien anticipé le blocage de Valls.
Et on avait des raisons : Valls était seul, vraiment seul, à s’opposer à la mesure qu’on proposait. Même des policiers étrangers sont venus défendre notre proposition auprès du Défenseur des droits. Il y avait tellement de soutiens de toute part, de membres du gouvernement, du Premier ministre de l’époque, mais aussi d’autres partis politiques et d’institutions que nous n’avons pas su anticiper un recul sur la question.
« La réalité, c’est que Valls s’est opposé au récépissé de contrôle d’identité »
Nassim Lachelache, Stop le contrôle au faciès
Mais la réalité, c’est que Manuel Valls se foutait de tout le monde. Il n’a même pas fait semblant d’avoir une raison valable de refuser la mesure. Il s’en foutait.
Coup de force à l’assemblée lors du vote sur l’amendement
Le pire je crois, c’est quand les contrôles au faciès ont été définitivement enterrés par le PS à l’Assemblée, en juin 2016. C’était au moment du vote des amendements sur la loi Urvoas : Pouria Amirshahi, qui avait quitté le PS, et Noël Mamère, EELV, ont failli faire voter la politique du récépissé du contrôle d’identité en sous-amendement. Et là, comme Frank Underwood dans House of Cards, Razzy Hammadi, PS, a demandé une suspension de séance… et il est revenu 15 minutes plus tard en disant qu’il annulait son amendement, et que ça annulait donc tous les sous-amendements débattus. Fin du game, en mode Hollywood.
Il y a bien eu l’interdiction du contrôle au faciès dans le nouveau code de déontologie de la police, et l’obligation de faire figurer le matricule sur leur uniforme, mais on voit que très peu le font et que les syndicats s’y opposent. Et pourtant cette règle est contraignante par la loi.
Tout ça, c’est le symbole d’une trahison générale du vote des quartiers populaires par le PS : certains parlent et font, d’autres font sans parler, mais le PS surfe sur les demandes pour trahir dans la foulée.
« Il y a une trahison générale du vote des quartiers populaires par le PS »
Nassim Lachelache, Stop le contrôle au faciès