La chaîne ouvrière s’est transformée mais n’a pas disparu. Une fois les produits commandés, le préparateur de commandes s’affaire à charger sa palette. 13% des ouvriers français assurent ces jobs invisibles, solitaires et numérisés.
Tout le monde a été surpris de constater qu’Amazon fonctionnait avec des gros entrepôts où les conditions de travail sont très difficiles. Mais on s’imaginait quoi ? Que les colis arrivaient comme ça chez nous, grâce à un seul livreur pour nous l’amener ?
Tout ce que l’on achète dans la grande distribution passe par ces usines, où il faut trier les colis, les préparer, les mettre en paquet et les envoyer. Des métiers qui usent et qui isolent ces nouveaux ouvriers.
Ça ne concerne pas qu’Amazon
La logistique ne concerne pas qu’Amazon, mais de nombreux secteurs d’activités : Il y a la section commerce alimentaire que j’ai observée, avec toutes les grandes enseignes comme Super U, Leclerc, Carrefour, ou bien leurs sous-traitants, des entreprises comme XPO (ex-Norbert Dentressangle), Kuehne-Nagel, Geodis… Et tous les autres secteurs de la grande distribution avec le textile, le bricolage, les produits culturels, les matières premières aussi… Puis la partie industrielle qui stocke les pièces avant de les amener dans les usines automobiles, par exemple.
Enfin, la partie messagerie regroupe de gros sous-traitants de la logistique qui reçoivent des produits pour les dispatcher ailleurs. Ce sont tous ces camions floqués « DHL » ou « TNT » que l’on voit sur les autoroutes.
Au total, ils sont 700.000 en France, soit 13% des ouvriers du pays, une part en constante augmentation depuis les années 1980.
La grande distribution recourt à ces usines à colis
L’industrie se transforme. On ne produit plus chez nous. La grande distribution a donc besoin de ces usines à colis pour concentrer ses achats.
Elle crée en même temps un nouveau monde ouvrier que nous ne voyons pas.
/ Crédits : Hortense Soichet / WORKLOG
Les délocalisations et la division internationale du travail produisent d’autres types de métiers ouvriers et nous n’en sommes pas conscients, car la grande distribution ne met en avant que sa vitrine, le grand magasin. Elle ne montre pas son back office, l’entrepôt. Ce monde est invisibilisé.
Ces grands hangars pourraient fonctionner de manière artisanale, mais les nouvelles technologies les ont transformés depuis une dizaine d’années. L’outil informatique organise, catégorise, contrôle et impose un scénario de travail aux ouvriers.
C’est la même chose que dans les call centers où la personne suit tout le schéma de conversation sur son ordinateur, selon ce que lui répond le client.
Un taylorisme, version numérique
Le préparateur de commande reçoit les informations d’une voix numérique dans son casque qui lui dit point par point ce qu’il doit faire. C’est du taylorisme version numérique ! Il évolue dans une bulle au sein de son lieu de travail et n’a plus besoin de poser de question ou de discuter avec un collègue, encore moins de travailler en équipe. Dès qu’il prononce un mot, comme un « bonjour », la machine l’entend et rétorque : « Répétez, ce mot n’est pas compris »…
« Dès que l’ouvrier prononce un mot, la machine l’entend et rétorque : “Répétez, ce mot n’est pas compris !” »
David Gaborieau, sociologue
Le préparateur devient un ouvrier spécialisé, ce qu’il n’était pas quand il n’avait pas de casque sur les oreilles.
Second effet de l’informatisation : L’automatisation du fonctionnement à l’intérieur de l’entrepôt et la disparition de tout un ensemble de tâches administratives, de contrôle de qualité. Il y a donc de plus en plus d’ouvriers dans l’entrepôt et moins de professions d’encadrement.
Le secteur s’ouvriérise. Certaines tâches disparaissent. D’autres sont de plus en plus répétitives.
C’est un travail répétitif et pénible
Dans ce monde industriel de nouvelles technologies, les métiers dont on a besoin sont des métiers physiques pénibles et répétitifs. Toute la journée, le préparateur de commandes monte et descend de son chariot. Les fourches qui transportent la charge sont fixes sur le chariot.
C’est à lui de tout faire : poser une palette vide, circuler dans les rayonnages, s’arrêter quand la voix numérique l’indique. Descendre du chariot, prendre le paquet, le poser sur la palette.
Même chose pour tout le reste des colis de la commande du supermarché en question. L’ouvrier ne cesse de monter et descendre du chariot, de se baisser ou de grimper pour atteindre le paquet, puis de le hisser sur la palette.
Toujours le même geste et un effort physique très important !
Une personne déplace jusqu’à 12 tonnes chaque jour
J’ai fait le cumul de tout ce que porte un préparateur de commandes en une journée. On atteint très rapidement des poids impressionnants.
Trois à quatre tonnes soulevées dans un entrepôt de produits de quincaillerie. Pour des produits comme les boissons, on atteint rapidement six ou sept tonnes par jour et par personne. Et jusqu’à dix tonnes dans les hangars dédiés aux fruits et légumes.
Si on ajoute des heures supplémentaires, on transporte douze tonnes.
Les accidents arrivent vite
Le plus souvent ces emplois du temps sont fixes : On travaille sept ou huit heures avec une pause de 20 ou 25 minutes au milieu pour le repas. Un repos court qui arrange tout le monde. Moins on reste à l’usine, plus on garde du temps pour soi.
« Quatre, cinq, six ans… Les durées maximales avant de ressentir l’usure et d’enchaîner les accidents de travail »
David Gaborieau, sociologue