We Save Homeless, une appli géolocalisée pour mieux aider les SDF, présentée à Las Vegas, a rendu le blogueur de Mais où va le web mal à l’aise. Il explique pourquoi ce type d'applis est le degré zéro de la politique.
Comme l’enfer, le business du numérique est pavé de bonnes intentions — une entreprise comme Google se targue de « faire du monde un endroit meilleur ».
L’application We Save Homeless illustre bien ce problème. Cette dernière a été présentée en février au CES de Las Vegas, la grande messe des nouvelles technologies, avec l’appui du député Frédéric Lefebvre.
Sur le principe : pourquoi pas une appli ?
Au départ, il y a une association d’aide aux sans abris et des étudiants en école d’ingénieur plein de bonne volonté qui veulent s’attaquer ensemble à un sujet très sérieux : les sans-abris, dont le nombre de cesse de croître, avec des centaines de morts par an dans les rues. Pourquoi pas, sur le principe.
Du coup, ils font une application pour rendre les maraudes plus efficaces, grâce à une carte qui géolocalise les SDF, avec une mise à jour de leurs besoins. En gros, il s’agit pour les associations et les pouvoirs publics d’avoir une trace des actions en cours ou passées auprès des sans-abris. Les particuliers eux, peuvent signaler les SDF. Le tout avec trois interfaces différenciées.
Un Uber des SDF, qui facilite le travail des associations
C’est à la fois une rationalisation classique du travail des associations et des pouvoirs publics et une incitation à la charité, inspirées par les cartes géolocalisées à la Uber.
La présentation du fonctionnement de l'appli We Save Homeless / Crédits : We Save Homeless
Un peu comme une technologie qui trierait les mails et courriers à la place des bénévoles pour leur donner plus de temps sur le terrain. Ici, il s’agit de faire en sorte que les bénévoles de différentes associations ne passent pas deux fois au même endroit et aident le plus de sans abris possibles. Rien de mal à cela, me direz-vous ?
Mais l’appli met mal à l’aise
Sauf que plusieurs choses sont gênantes ici. D’abord, il y a le côté un peu flippant de la géolocalisation et de la signalisation des SDF. Certes, il s’agit de carte à puces donc pas d’une localisation en temps réel, mais elle existe. Avec l’idée derrière que les SDF, comme les pots de fleur, restent au même endroit.
« Avec la géolocalisation des sans-abris, il y a l’idée que les SDF, comme les pots de fleurs, restent au même endroit »
Irénée, blogueur technocritique @MaisOuVaLeWeb
Dans le signalement du SDF déjà, il y a un potentiellement un aspect « délation » qui me met mal à l’aise. Si un SDF est en danger, on peut déjà appeler les pompiers et le samu social. Sinon, pourquoi le faire ? Et même, qu’est-ce qu’un sans-abri et comment le reconnaître : en allant le voir pour lui poser la question ou en jugeant au faciès ?
La question du fichage et des données personnelles
Ensuite, il y a la question des données. Comment sont-elles protégées et qui y a accès ? Une mairie peu compatissante comme celle du 16e arrondissement de Paris, qui s’est opposée au nouveau centre pour sans abris dans son quartier aisé, pourraient les utiliser à mauvais escient.
On pourrait envoyer les flics aux sans-abris plutôt que le samu social par exemple. D’autre part, ces informations peuvent être détournées. Par exemple, si je suis agent immobilier, ça m’intéresse de savoir dans quelles rues se trouvent les SDF.
Il y a surtout des implications éthiques et politiques
Sans parler du côté infantilisant de l’application, qui va du haut vers le bas (les individus et les associations s’occupent des SDF, qui n’ont pas leur mot à dire. A-t-on testé le niveau d’acceptation par les sans-abris de ce « fichage » ?). Bref, les personnes qui ont conçu cette application, avec des compétences techniques certaines et une envie de bien faire, ne semblent pas avoir réfléchi à toutes ses implications politiques et éthiques. Mais vue l’urgence de la situation, comment leur en vouloir, pourrait-on dire ? (Au moins, ils agissent).
On ne sauvera pas le monde avec des applis
En fait, cette application nous dit surtout que la vie politique est gravement touchée par un virus. Ce virus, c’est le “solutionnisme technologique”. C’est la croyance moderne,
« On croit qu’on va résoudre tous nos problèmes sociaux à coup d’applications et de gadgets technologiques. »
Irénée, blogueur technocritique @MaisOuVaLeWeb