411 personnes sont mortes dans la rue en 2016 selon le Collectif des Morts de la Rue. Christian Page, SDF, raconte comment il y survit.
Là, c’est ma chambre à coucher avec mes quatre couvertures, mon duvet [Christian montre la grande poche de son sac à dos kaki, puis ouvre une petite poche intérieure]. Là c’est mon bureau avec mes papiers, mes stylos. Tout en bas, j’ai la salle de bain avec le déo, le gel douche, les cotons-tiges. Et puis ici [il sort une gourde de la pochette du dessus], c’est le bar : elle est vide, mais c’est dans celle-ci que je mets de l’eau et je précise bien, que de l’eau ! Sinon la bière, elle perd son gaz.
J’ai toujours tout sur moi. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Comme ça, si je me retrouve à l’autre bout de Paris, je peux dormir sur place. Car le vrai problème, c’est le logement. J’ai un petit endroit où je dors avec Ervé et les copains. Si t’es tout seul, tu peux te faire dépouiller. On a trouvé un coin à l’abri du vent, au bord du canal Saint-Martin, quai de Jemmapes. C’est l’entrée d’un centre de loisirs de la ville de Paris [Espace Jemmapes]. Parfois le personnel apporte du café au réveil. Pas tout le temps… Mais on ne peut pas demander aux gens de remplacer l’Etat ! J’aimerais bien qu’Emmanuelle Cosse m’apporte mon petit café le matin, en admettant : « Excuse-moi, je suis ministre du logement et je n’ai rien pour toi ! ».
« J’aimerais bien qu’Emmanuelle Cosse m’apporte mon petit café le matin, en admettant : “Excuse-moi, je suis ministre du logement et je n’ai rien pour toi !”. »
Christian Page, sans-abri
Si j’ai choisi ce quartier c’est parce que c’est un vrai quartier populaire, où les gens veillent encore les uns sur les autres. Quand ça a commencé à faire frisquet, une dame est descendue et m’a donné une couverture. Il y a l’épicier de la rue Bichat qui nous file toujours un truc en plus quand on va faire nos courses et le gars qui nous ramène les pizzas qui lui restent après la fermeture du restaurant. Ils ont peur de devenir comme nous. Ils se disent : « Si je l’aide à s’en sortir, si un jour je me retrouve à sa place, quelqu’un m’aidera. »
Droit au logement opposable et hébergement d’urgence
Il y a bien l’hébergement d’urgence. T’appelles le Samu social à 6h du mat’. Tu tapes le 115… Une fois que tu auras passé le quart d’heure de disque – « You’re phoning le 115… » – ils répondent : « Rappelez à partir de 19h parce qu’on n’a plus de place. » A 19h, ils te disent rappelez à partir de 21h. A 21h : « Écoutez, allez vous mettre à Nation, quai du RER A, direction Boissy-St-Léger. » A cet endroit, alors que le dernier bus est passé, les mecs du Samu arrivent et annoncent : « Bon, les gars, il y a neuf places… » Voilà. Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’il y a aussi le DAHO, le droit à l’hébergement opposable. Si au bout de six mois, on ne t’a pas trouvé un hébergement, alors t’as le droit de porter plainte contre l’Etat. T’es seul, t’es à la rue, tu déposes plainte contre l’Etat… C’est bien, mais en gros t’as aucune chance. J’en suis là.
« Le DAHO ? T’es seul, t’es à la rue, tu déposes plainte contre l’Etat… C’est bien, mais en gros t’as aucune chance. J’en suis là ».
Christian Page, sans-abri