Qu’est ce qu’il s’est passé ce soir-là ?
Le 17 octobre, après une soirée chez des amis dans la vallée de la Roya, je passe à Saint Dalmas de Tende, à 80 kilomètres de Nice. Là-bas, des associatifs me demandent si ça ne me dérange pas de ramener des réfugiées à Nice, où elles devaient prendre un train pour Marseille. On me présente 3 filles. Elles viennent d’Erythrée, elles ne parlaient ni français, ni anglais. Elles avaient froid, elles étaient fatiguées et elles étaient blessées. L’une d’elles avait un pansement à la main. Elles devaient voir un médecin.
On se met en route. Arrivés au péage, des gendarmes m’arrêtent. Je pense qu’ils ont vu les filles dans ma voiture. Ils demandent mes papiers ainsi que celle des jeunes filles. Elles n’en ont pas. Un des gendarmes m’explique qu’ils vont nous emmener à Nice, « que c’est à l’OPJ de décider de ce qu’il va se passer ». Dans le fourgon, j’essaie de rassurer les filles.
Comment te traitent les policiers une fois arrivé à Nice ?
Arrivé dans les locaux de la Police aux Frontières, l’ambiance est toute autre. Ils me mettent les menottes, me prennent mon téléphone, ma montre et me notifient ma garde à vue pour « aide au séjour et au transport de personnes en situation irrégulière ». Je l’apprends plus tard mais c’est l’article de loi qui vise les passeurs. « Vous vous rendez compte de ce que vous avez fait » me dit même un des policiers. Je suis séparé des trois filles. Je n’aurais plus de leur nouvelles. On m’a dit que l’un d’elles, mineure, aurait été renvoyée en Italie.
Je fais 36 heures de garde à vue. Pendant tout ce temps, j’ai consulté ma conscience, et j’ai essayé de faire de la méditation pour passer le temps.
Comment ont réagi les gens à ta sortie du commissariat ?
Ils étaient d’abord soulagés. Pendant 36 heures, j’ai disparu de la circulation. Des collègues, ma famille mais aussi des membres de plusieurs associations étaient inquiets. Ils pensaient même qu’on m’avait envoyé en Italie. Au bout de 24 heures J’ai quand même pu prévenir la mère de mes enfants que je ne pourrais pas aller les chercher à l’école.
Puis j’ai décidé de parler de mon histoire à tout le monde. Au bar, au garage où je fais réparer mon scoot, à la fac, c’est l’unanimité… Ils me soutiennent tous. Sur internet, 53.000 personnes ont signé une pétition demandant ma relaxe. J’ai reçu beaucoup de messages de soutien. Des membres de ma famille en Corse m’ont dit que j’avais de l’honneur, que j’étais un héros.
Est-ce que tu appréhendes ton passage devant le tribunal ?
Cela fait 4 jours que je ne dors plus. J’ai pris des congés pour me préparer. Je sais que je vais dans l’arène et ce n’est pas mon métier. Je ne sais pas comment cela va se passer.
Avant cet épisode, avais-tu déjà aidé des migrants ?
Je ne suis pas militant et je ne fais pas parti d’une association mais ça faisait plusieurs mois que la situation des migrants dans les Alpes-Maritimes me tarabustait. Il y avait eu des conférences à l’université sur ce sujet.
Le 16 octobre, la veille de ma mésaventure avec la police, j’étais avec ma fille, on revenait d’une fête pastorale. On a croisé une bande de jeunes, en bermuda, sur le bord de la route. C’étaient des Soudanais du Darfour. Il voulait aller prendre le train à Cannes pour Marseille mais ils marchaient dans le mauvais sens. Ils étaient épuisés. Je leur ai proposé de venir chez moi. Le lendemain, je les ai emmenés à la gare. Ils ont pris le train. Depuis, ils me donnent des nouvelles. Cela faisait quatre fois qu’ils essayaient de passer en France. A chaque fois, la police les a renvoyés en Italie. Ces mecs m’ont expliqué leur détresse sans demander de l’aide. Et moi, ça ne m’a pris que 45 minutes de changer leur vie. On peut tous faire quelque chose. Et c’est fou qu’on doive se cacher.