Sonia la « sorcière blanche », Hécate la « luciférienne » ou Véronique, youtubeuse magie, vendent leurs sorts. Mais dans le petit monde de la magie, les mauvais tours sont monnaie-courantes et certaines affaires se règlent au tribunal.
Paris, 16e – La sorcière apparaît derrière un rideau de velours rouge. Du salon privé avec moulures au plafond s’échappe une odeur étouffante d’encens. Perchée sur des escarpins noirs, Hécate est vêtue d’une robe en cuir noir, agrémentée de bijoux en argent. Quelques mois plus tôt, un homme « inquiétant » passe la porte de cet appartement aux allures de cabinet de curiosité. « Il a posé la photo de son fils et m’a sommé de l’éliminer », rembobine la vieille dame. Si l’inconnu souhaite déchaîner les forces maléfiques contre le fiston, c’est pour une histoire de gros sous. Il veut léguer en bonne et due forme toute sa fortune à sa nouvelle compagne. Hécate, cheveux de jais coiffés en chignon bouffant, refuse :
« Je n’ai pas réussi à le faire changer d’avis alors je l’ai renvoyé. Il a insisté en me disant qu’il avait beaucoup d’argent, mais ça ne marche pas avec moi. »
La doyenne des sorcières
Hécate l’assure :
« Je reçois de plus en plus de gens qui me demandent de tuer quelqu’un, mais je m’y refuse. Aujourd’hui, ça va extrêmement loin. Certaines personnes n’ont pas d’état d’âme. »
Sur les murs jaunis de l’appartement, sont accrochés des masques africains, une chauve-souris empaillée et un tableau de la Grande Faucheuse. Dessous un crâne humain, une boule de cristal, des cristaux grisés par la poussière et une coupe en argent sont posés sur une table recouverte d’un drap noir. C’est l’autel de la sorcière Hécate, du nom de l’ancienne déesse grecque de la Lune noire.
Ne pas toucher, kit de rituel satanique fragile / Crédits : Michela Cuccagna
Comme Hécate, elles sont une poignée à avoir fait de la sorcellerie leur fonds de commerce. A 65 ans, cette dernière est la doyenne des sorcières de France depuis le décès récent d’une de ses consœurs à l’âge de 82 ans. Elle revendique le titre de sorcière luciférienne depuis plus de 35 ans. « Lucifer est un ange déchu parce qu’il a voulu apporter la connaissance aux Hommes, explique-t-elle avec sérieux. Dans le luciférisme, il n’y a donc pas la dimension mauvaise qu’il peut y avoir chez les satanistes. Nous ne prônons pas le mal pour le mal. »
À l’école des sorcières
Ancienne avocate, Hécate n’est pas née sorcière. Son vrai nom, c’est Annie. La sorcellerie, elle l’a découverte à l’adolescence. « Je ne me reconnaissais plus dans la religion catholique, alors je me suis mise en quête d’un nouvel être supérieur », se remémore-t-elle. Elle intègre différents groupes, « tous plus sectaires les uns que les autres, voire dangereux ». Elle soulève sa manche et dévoile une large cicatrice :
« Lors d’une initiation par le sang, j’ai reçu un coup de poignard. »
Elle finit par rencontrer Yul Rugga, l’un de ses « maîtres suprêmes » et fondateur du cercle initiatique de la Licorne, dite « Wicca occidentale ». « Ce ne pouvait pas être une secte puisque je pouvais partir à tout moment », juge-t-elle. Après 10 ans d’initiation, elle devient maître à son tour. « On ne m’a pas légué des pouvoirs, mais un savoir », insiste Hécate, pour qui la sorcellerie ne s’apprend pas dans les livres mais sur le terrain.
Un avis que partage Sonia Lazareff, appelée la « sorcière blanche » :
« Les seuls livres valables ce serait, à la limite, le Petit et le Grand Albert qui sont deux traités de sorcellerie écrits au Moyen-âge. »
Sonia Lazareff, prête à lire votre avenir dans ses cartes / Crédits : Michela Cuccagna
Mais suivre leur recette serait un peu difficile : « Où trouver des cils de biches, et surtout un coeur de dinosaure ? » Effectivement. D’abord danseuse dans la compagnie du célèbre chorégraphe, Roland Petit, comédienne puis illusionniste à La Vallée des Peaux Rouges, l’un des premiers parcs d’attractions français, c’est en Afrique que cette femme aux cheveux rouges flamboyants est initiée à la sorcellerie :
« J’ai appris pendant 14 ans auprès des plus grands maîtres et féticheurs. »
De l’or contre un sort
Pour Hécate, les affaires se portent bien. Chaque semaine, elle reçoit entre 3 et 5 visiteurs pour une première consultation facturée 80 euros :
« J’évite les mineurs, les gens en détresse, les gothiques et les paranos. »
Ambitieux en quête de succès ou de vengeance, amoureux éconduits et même, nous confie-t-elle des politiques qui souhaiteraient se faire réélire. Tous passent la porte de son cabinet. Selon le souhait et la « quantité de travail » à effectuer, elle établit un devis. Son tarif de base : 2.500 euros.
Il ne manque que la combinaison jaune. / Crédits : Michela Cuccagna
Et côté pratique ? Exit les baguettes et les amulettes ! Des potions, peut-être ?
« Ah non, pas ça !, s’exclame-t-elle. C’est de l’exercice illégal de la médecine. »
Si la sorcière a recours à des objets occultes, il s’agit la plupart du temps de bougies – une rouge pour le retour d’affection, par exemple – ou des statuettes de cire. Elle en sort deux d’un coffre en bois :
« Ce sont des dagydes. Avant de leur donner vie, je les personnalise avec des cheveux, des rognures d’ongles ou de la salive. Je convoque ensuite les puissances occultes et je les pique avec des clous d’envoûtement. »
Au dessus de son grimoire, Hécate nous raconte ses meilleurs tours.Pour déclencher une impuissance, elle plante le sexe. Un accident ? Les jambes. Et « pour que quelqu’un ne voit plus que vous, ce sera les yeux ». Sur la toile, un anonyme témoigne :
« J’ai consulté Hécate pour un rapprochement amoureux, et jusqu’à présent, aucun résultat. Je l’ai contactée il y a un mois pour l’en informer, mais elle me répond que c’est normal et que cela peut prendre du temps. »
« Il n’y a pas 100% de réussite », se défend Hécate. Pour la sorcière, c’est avant tout une question d’état d’esprit. Les sorts ne marchent que sur ceux qui y croient :
« La sorcellerie, c’est beaucoup de psychologie, vous savez. »
Contactée par StreetPress, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) précise qu’à ce jour, « ce phénomène n’a pas fait l’objet de signalement de dérive sectaire. Ce constat n’équivaut pas à un certificat d’innocuité ou d’honorabilité et il convient de rester vigilant. »
Miroir, mon beau miroir... / Crédits : Michela Cuccagna
Les youtubeuses magie
Mais tout n’est pas rose à l’école des sorcières. Si Hécate et Sonia Lazareff ont toutes deux un site internet, elles voient plutôt d’un mauvais œil les sorcières qui montent des business sur le toile. Dans ses vidéos ambiance girly, Lana Corvus, qui se présente comme une sorcière païenne, propose aux apprentis sorciers des tutos pour exorciser leur maison, réaliser un sortilège de protection contre les mauvais rêves, ou confectionner un médaillon afin d’attirer l’amour à soi. Pour cette trentenaire, le web est « un grimoire collaboratif » et commun à toutes les sorcières :
« Ma chaîne Youtube permet de trier et d’échanger les connaissances. »
Véronique alias « L’ange de Gaia » est elle aussi une Youtubeuse magie et une « sorcière chrétienne ». Pour schématiser, Véronique fait appel non pas à de méchants démons mais à de gentils Saints. Cela fait plus de 15 ans qu’elle pratique la sorcellerie :
« En plus d’avoir des prédispositions pour l’ésotérisme, je suis tombée sur les ouvrages qu’il fallait. »
Un savoir qu’elle partage dans ses vidéos mais qu’elle met aussi « au service des autres ». On peut la consulter par mail, skype ou via les réseaux sociaux, contre 20 euros.
Combien le gramme de poudre… de perlimpinpin ?
Sur la toile, plusieurs sorciers et autres magiciens font commerce d’élixir et autre poudre de perlimpinpin. Un dénommé Rehold vendait sur le site de son école de sorcellerie, Azraald, du fluide de l’esprit d’Einstein ou encore de la poudre de fées. Une pratique qui a mené le petit chimiste devant les tribunaux. Ouvert en 2008, l’établissement situé dans leur manoir à Thizy-les-Bourgs, dans le Rhône, proposait des séminaires pour enseigner la tarologie, les sorts de défense et les rituels.
Depuis l’école a fermé ses portes et son alchimiste de directeur a été condamné, en 2014, à 3.000 € d’amende par le tribunal correctionnel de Villefranche, pour avoir vendu ces produits, sans les autorisations nécessaires. La Direction départementale de la protection des populations (DDPP) a détecté des taux d’allergènes très forts.
En transe. / Crédits : Michela Cuccagna
Le magicien n’est pas pour autant rangé des voitures. « Il officie désormais à Roussay, dans le Maine-et-Loire, en tant qu’évêque de la Petite église Apostolique Vieille Catholique. Il propose des exorcismes et retraites spirituelles, à partir de 380 euros », nous informe l’Association de défense des Familles et de l’Individu (ADFI) Nantes qui a suivi l’affaire. Prudent, il a retenu la leçon. Il vendrait toujours des produits, mais cette fois à disperser autour de soi.
Un contrat paranormal
Des sorcières ont également eu des démêlées avec la justice. Le soir d’Halloween, Cynthia* décide de faire appel à une sorcière pour faire revenir son Jules. Elle prend contact par mail avec Danaé, basée à Marseille qui se décrit comme la « seule sorcière de France à pratiquer la magie blanche et rouge ». Sur la page d’accueil de son site web, elle précise aussi (en lettres capitales pour que tout le monde comprenne) qu’elle « rembourse à 100% la somme versée au départ en cas d’échec », selon les termes d’un contrat « établi par son avocat, au barreau de Marseille ».
Une promesse qui rassure Cynthia. La sorcière lui assure un résultat, dans un délai de huit mois, contre la modique somme de 1 990 euros :
« Le soir même, j’ai envoyé par Chronopost, comme elle me le demandait, ma photo, le chèque et le contrat signé. »
Mais au bout de quelques jours, la jeune femme se rétracte :
« Mes revenus sont maigres, mais j’étais tellement désespérée sur le moment, que je n’ai pas réfléchi à ce que je faisais. C’était un coup de folie, que je regrette aujourd’hui. »
Problème : le contrat stipule que « si le consultant décide d’arrêter les travaux avant le terme de huit mois, il n’y a pas de remboursement ».
Il y a neuf mois, Martin* a lui aussi consulté Danaé. Il a signé deux contrats et dépensé deux fois 1 800 euros. Sans résultat : « Mon ami n’est jamais revenu ». Selon lui, la sorcière serait même allée plus loin :
« Danaé m’avait aussi recommandé de ne plus consulter mon médecin m’affirmant qu’elle pouvait me guérir. Mais mon état de santé s’est dégradé. »
Les victimes des sciences occultes
Passé le délai des huit mois, le jeune homme demande donc à récupérer son argent. Danaé lui rétorque qu’elle doit d’abord voir avec son assurance. Mais le remboursement traîne et Martin décide de contacter l’Institut national des arts divinatoires (Inad), association qui vient aide aux victimes dans le domaine des sciences occultes. Cynthia en fait de même :
« Je n’ai pas pensé à aller voir la police, confie-t-elle. Par crainte, sans doute, de ne pas être prise au sérieux. Et puis, surtout, j’avais signé un contrat… »
L'indémodable boule de cristal / Crédits : Michela Cuccagna
Contrat que le président de l’Inad, Youcef Sissaoui, qualifie de « grande supercherie ». « Cette prestation ne peut qu’être une obligation de moyen, sans garanti aucune d’un résultat obtenu, soutient-il. Le fait d’obtenir la remise de sommes d’argent en persuadant des personnes crédules de ses pouvoirs divinatoires constitue une escroquerie, selon le Code pénal. » Depuis, Martin a récupéré une partie de son argent, et souhaite tourner la page. Le dossier de Cynthia est désormais entre les mains de l’Inad qui fait son possible pour trouver « un accord à l’amiable pour ne pas aller jusque devant les tribunaux ».
Les sorcières ont la peau dure
Malgré les deboires judiciaires de certaines de ses adeptes, d’après la docteure en ethnologie Déborah Kessler-Bilthauer, la sorcellerie n’est pas prête de disparaître dans un nuage de fumée :
« Elle évolue avec son temps puisque les nouvelles technologies investissent même les pratiques magiques. »
Et surtout, les gens veulent continuer de croire au merveilleux. Dominique Camus, ethnologue et auteur de Sorciers au cœur du paranormal (éd. Ouest France), « s’il y a demande, c’est, au fond, parce qu’il y a un manque, qui naît de l’insatisfaction des réponses apportées à des questions fondamentales par la science comme par la métaphysique ».
* le prénom a été modifié
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