A deux pas de la Chapelle, trois rues concentrent les épiceries et restos soudanais de la capitale. Le mini-quartier est devenu the place to be pour les réfugiés de passage, comme pour la diaspora installée.
Paris 18e – « Ici c’est le centre de la communauté », explique Monsieur Osman, polo bleu et chevalière dorée à la main droite. Accoudé à une table du resto de son pote Omar, au coin de la rue Pajol et de la rue du Département, il poursuit :
« Dans le quartier, il y a trois restaurants soudanais, deux épiceries, deux marchands de téléphones et un bar. »
A sa droite, Omar reste impassible. L’homme a enfilé un tablier de chef en 2013, après plus d’une décennie de galère en France. « Quand je suis arrivé, il n’y avait aucun restaurant soudanais à Paris », explique-t-il, les yeux dans le vague. Depuis, son troquet à l’insigne lumineuse Chez Tony fait le plein chaque midi. Il est même devenu un point de rendez-vous pour la diaspora. En cette fin d’après-midi ensoleillée, ils sont une dizaine de réfugiés à discuter en terrasse autour d’un petit noir.
Omar et Ousman / Crédits : Tomas Statius
Little Soudan
Aussi loin que Monsieur Osman s’en souvienne, le triangle formé par les rues Pajol et Philippe de Girard a toujours été un point de rendez-vous pour les réfugiés soudanais de passage à Paris :
« Quand je suis arrivé en France en 2000, on se donnait déjà rendez-vous dans le jardin en face de la Chapelle. »
En 2012, il a même installé les bureaux de son asso (Association Communauté Soudanaise en France) au pied du métro aérien. « Quand on arrivait à Paris, que ce soit à Roissy, à Orly, ou à la Gare du Nord, les policiers nous donnaient l’adresse de France Terre d’Asile dans le 18e. Rapidement le quartier est devenu un point de rendez-vous », précise Ali. Le quinqua’, chemise à carreau sur le dos et cheveux coupé ras, est le patron des Délices du Soudan, la première épicerie communautaire à avoir ouvert en 2010, rue Philippe de Girard :
« Les Soudanais qui habitent en région parisienne viennent faire leurs courses dans le coin. Ici c’est un peu comme Khartoum. »
Toute la journée, immigrés et réfugiés défilent dans son échoppe à la recherche de produits du pays mais aussi de conseils pour leurs démarches administratives. « Les Soudanais ne parlent pas français comme les Sénégalais ou les Maliens », poursuit Ali, tout sourire :
« Ils viennent parfois me voir pour que je leur traduise un document. »
Felix Potin version Khartoum / Crédits : Tomas Statius
Le business ne connaît pas la crise
« Le premier magasin soudanais qui a ouvert ici, c’était un marchand de téléphones en 2007 », se rappelle Monsieur Osman, tout en gardant un œil sur son portable. Depuis, à Little Soudan, les petits commerces communautaires ne connaissent pas la crise. Sur les bords du boulevard de la Villette, ils gagnent même du terrain sur les échoppes indiennes de Little Jaffna, le quartier tamoul installé de l’autre côté du métro aérien.
La preuve avec l’épicerie de la famille d’Abdelaziz. Ouverte en 2013 en bas de la rue Pajol, elle ne cesse de pousser les murs. « Au début, on voulait juste essayer. On ne savait pas si ça allait marcher », explique le jeune homme bien installé derrière sa caisse enregistreuse :
« Dans le même espace, il y avait un salon de coiffure et une petite épicerie. On a fini par fermer le salon. Puis on a ouvert un magasin de téléphone juste à côté. »
Le magasin d'Abdelaziz / Crédits : Tomas Statius
Sur ses étales, de nombreux produits soudanais introuvables en France : des sodas, du thé, des épices, des sapes, des boîtes de conserve de foul (des fèves), du sirop en poudre et même du parfum soudanais à 25 euros la petite fiole. « Je fais souvent des allers-retours pour aller voir des fournisseurs », explique Abdelaziz, né en France il y a 33 ans de parents soudanais :
« Parfois des gens nous ramènent des produits du pays. »
« Tout le monde vient chez nous »
Ali, Osman, ou Abdelaziz sont formels : si une grande partie de leur clientèle est formée par les Soudanais de passage à Paname, impossible de rester ouverts sans les riverains qui les ont soutenus depuis le début. « Tout le monde vient chez nous : Soudanais, Arabes, Français », tient à préciser Ali, dressé derrière son comptoir.
En bas de la rue Pajol, la sandwicherie où travaille Driss est la petite dernière de Little Soudan. L’enseigne ne paie pas de mine, coincée entre un taxiphone et un coiffeur indien. Il est 11h30 et le resto affiche déjà complet. « Souvent, il y a du monde jusqu’à 23h », crâne Driss, la clope au bec. Le trentenaire « from Khartoum » bosse là depuis sept mois. Son restaurant affiche deux cartes. Au menu ce midi, hamburgers ou paninis pour les néophytes et plats typiques soudanais pour les habitués. Mais Driss l’assure :
« Ici, les gens viennent surtout manger soudanais. »