Un label qui collectionne les disques d’or, du sponsoring de clubs de foot et un long métrage en salles le 12 octobre: Dawala est plus que jamais le producteur le plus bankable du rap français. Pour StreetPress il revient sur son ascension.
Une grande brune dressée sur ses talons hauts fend le hall d’entrée de Sony Music, des ballons d’hélium dans les mains. Dans les locaux de la major, on prépare un anniversaire surprise. Sûrement un ponte de la maison. Un indice : les lettres blanches inscrites sur des mains en mousse rouges à la mode américaine posées un peu partout :
« Welcome to the WA »
Comprendre Wati B, le label de la Sexion d’Assaut et de ses têtes d’affiches Maître Gims et Black M. . Et aujourd’hui, c’est Dawala, le patron du label, qui fête ses 42 ans. Pas de chance pour nous, on avait rendez-vous avec le wati-boss. Il faudra repasser le lendemain et attendre une petite heure de retard réglementaire. Le temps qu’il finisse une écoute d’album.
Le faiseur de disques d'or. / Crédits : Michela Cuccagna
Arrivé en France à 11 ans après une enfance passée au Mali, Badiri Diakite a fondé l’empire le plus prospère du rap français. Des dizaines de disques d’or et de platine décrochés par ses artistes décorent les murs de Sony. Et les business du boss ne se limitent pas à la musique. Wati B est aussi une marque de fringues distribuée aux 4 coins de l’hexagone. Avec Wati Sport, il s’est même mis au sponsoring : les clubs de foot de Caen, Montpellier et Tours ont le WA sur leur maillot. Le bonhomme est insatiable. Il produit La Pièce, un premier long métrage made in Wati B, inspiré d’une chanson du rappeur Dry, en salles le 12 octobre. Dawala a le sens de la punchline :
« Je ne veux pas boire une bouteille d’eau alors que je peux avoir une fontaine. »
Quand on tape Dawala sur Google, parmi les recherches les plus populaires il y a « argent » et « fortune ».
Les gens auraient dû regarder impôts et taxes aussi ! Ce n’est pas facile d’avoir une société. Beaucoup de gens ont touché de l’argent. Mais au bout d’un an, tout s’est évaporé. Le but du Wati B, c’est de durer. On a la chance d’avoir une boîte de production, de pouvoir investir sur Wati Sport, de faire un film… Il faut construire sur une vie, installer un business réel.
Dans une chanson, Maître Gims disait « Y’a pas l’choix, c’était soit les soirées bédo, tise, meufs ou devenir multimillionnaire comme Dawala ».
Ah mais il parle en franc CFA lui ! (rires) Être un vrai millionnaire, ça veut dire que tu as un million dans les poches. Donc il faut faire 4 ou 5 millions ! Ce n’est pas mon cas.
Il parait que tu roules en Twingo ?
J’ai roulé en Twingo à une époque. Avant on vendait nos K7 Pur Son Ghetto dans une 405. Après j’ai eu une Audi. Rouler en grosse caisse, ça ne sert à rien si tu ne dures pas. Il y a eu de grosses chutes dans le rap français. Certains font semblant, mais c’est cramé. Ce n’est plus la belle vie.
Tu n’as même pas acheté quelque chose de symbolique avec ton premier gros salaire ?
J’ai donné de l’argent à mon père. C’est une coutume chez nous. Mais l’argent part vite. On est une famille de 12 frères et sœurs. C’est lui qui doit gérer tous les problèmes. Il partait tôt le matin, rentrait tard le soir. On lui massait les pieds quand il revenait du travail. Quand t’as grandi dans cet environnement, tu ne peux pas oublier la réalité.
Casquette pailletée / Crédits : Michela Cuccagna
Tu as passé ton enfance au Mali. Quels souvenirs tu en gardes ?
C’était la brousse. Je me rappelle de la rivière, des petits caïmans. Maintenant je pense qu’il n’y a plus d’eau, ça doit être sec là-bas. De chez ma grand-mère, on allait aux champs avec les vaches, c’était vraiment la nature. C’était Tom Sawyer ! Nioro [ville proche de la Mauritanie où Dawala a grandi, ndlr.], ce n’était pas comme la capitale Bamako, on n’avait pas l’habitude de voir des blancs. Quand le Paris-Dakar passait, on pouvait en voir, mais autrement jamais.
C’était une enfance heureuse ?
Même si tu vis dans la misère, tu es content. Là-bas, le plus important c’est l’humain, jouer au foot ensemble, rigoler ensemble. Ici on voit ce qui est beau, ce qui brille. En Afrique tu ne vois rien de tout ça. Quand les gens mangent, c’est déjà formidable.
A 11 ans, tu es arrivé à Paris, tu te souviens de ce premier jour en France ?
On est arrivés un matin à l’aéroport Charles-de-Gaulle. C’était l’hiver, il faisait froid et nous, on portait des boubous. Quand on croisait des blancs, on se cachait derrière les voitures. Au Mali, on les appelle « toubabou ». Dès qu’on croisait un blanc, on disait : « Toubabou toubabou ! ». On découvrait tout. C’était « gangz ».
Toute ta famille s’est installée à Paris ?
Non, j’étais avec deux petits frères, mon grand frère et ma sœur. On habitait rue Doudeauville (dans le 18e arrondissement de Paris) dans un 1-pièce. Le salon était coupé en deux. C’était la misère, mais nous on kiffait ! C’était mieux qu’au Mali. Les routes, l’électricité, la télévision … Je regardais Starsky et Hutch, les Cosmocats, laisse tomber !
Dawala du 19 / Crédits : -
Ce n’était pas trop dur de s’adapter à l’école ?
Quand je suis arrivé, on m’a mis dans une classe de perfectionnement pour apprendre à parler français. J’ai enquillé sur de l’apprentissage. J’ai été maçon, plombier. J’ai eu mon CAP d’installateur sanitaire. Et là, je suis parti à l’armée.
Wati soldat
J’ai fait mes classes à Reims, après j’étais à Toul. C’était chaud ! Quand t’es chez toi, tu ne ranges pas ta chambre, tu fais le fainéant. Là-bas, ils te remettent à l’heure. Réveil des aviateurs à 6h30. J’étais dans l’armée de l’air. Il y a un exercice qu’on faisait souvent : le caméléon. On avait cinq équipements différents et il fallait qu’en 1 minute 30, tout le monde soit dehors en ligne et habillé pareil. Ils faisaient ça quand on dormait. Ça pouvait durer deux heures. Il y avait toujours une couille ! Le mec doit enlever son treillis, l’autre est en vert, il y a du bleu derrière… Allez on recommence. Laisse tomber, c’était une galère.
Tu t’en sortais comment ?
Moi j’étais fort, je faisais du sport. Je faisais partie de l’équipe de foot de la base aérienne. Dans l’équipe il y avait 15 engagés, et ils ne prenaient que trois soldats en service militaire. Je faisais partie des trois, donc on faisait des déplacements dans les camps pour la Coupe de France militaire.
À l’adolescence, tu as quitté le 18e pour le 19e. Aujourd’hui, il y a souvent des bagarres entre des jeunes de ces deux arrondissements. Est-ce que c’était déjà le cas à ton époque ?
C’était plus entre les quartiers du 19e, Danube, Place des Fêtes, Crimée, Laumière. À chaque fois, ça débute l’été. Un ou deux mecs marchent avec une paire de chaussures Cartier aux pieds. Un autre mec veut la voler. Et parfois, ça va loin.
Dans mon quartier, les grands avaient la tête sur les épaules. Quand il y avait des problèmes, ils nous expliquaient les choses. Et notre vie ne se résumait pas au quartier. Le mercredi, à la loge, on faisait des entraînements de break. Le week-end, au lieu de galérer, on se déplaçait à Beaubourg pour danser. Il y avait le football aussi. C’est ceux qui n’ont pas d’activités qui créent les problèmes. Et quand tout le monde est sur tout le monde, ça arrive vite.
Posé comme Dawala. / Crédits : Michela Cuccagna
Tu as 42 ans aujourd’hui. Comment tu vois cette situation dans les quartiers ?
Les jeunes, ils se battent pour le quartier. Mais demain, si t’es mort, le quartier, lui, il est toujours là. Beaucoup de gens sont décédés pour rien. Le quartier ne fait rien pour toi. Le pire c’est que tu t’embrouilles souvent avec le cousin du cousin. Nos parents se connaissent entre eux, on a des familles nombreuses, donc on connaît beaucoup de monde. Ton ami finit par planter ton cousin. C’est du n’importe quoi.
Comment tu es arrivé dans le milieu du rap ?
J’étais éducateur à Chaumont pour la Ville de Paris. Les petits de mon quartier voulaient enregistrer un morceau, donc je les ai emmenés en studio. On a fini par faire une mixtape : Pur Son Ghetto. Je connaissais beaucoup de monde à l’époque.
Sur ta première mixtape, il y avait Lino, Oxmo Puccino, Rohff… Comment tu t’es construit ce réseau ?
J’ai un cousin qui habite dans le 9-4. C’est Papou, un membre de la Mafia K’1 Fry. Oxmo Puccino est aussi un cousin. Ce sont des Maliens comme moi.
Tu as beaucoup tourné autour du label Time Bomb.
Time Bomb c’était Oxmo. Il nous donnait des places pour les concerts et on y allait à plusieurs. Descendre à Marseille, c’était l’animation du week-end. Ça t’évite de faire des conneries. On partait de Paris pour 8h de voiture. Ça mangeait à la station essence, du thon à la catalane. On se baladait au vieux port et après on allait au concert. Ensuite, ils montaient à Lyon, nous on suivait. On était en mode « gangz ».
L’autre collectif que tu as beaucoup côtoyé, c’est la Mafia K’1 Fry.
Dawala et Intouchables
Intouchables [un groupe de la Mafia K’1 Fry, ndlr] était sur la mixtape Pur Son Ghetto. Ils m’ont demandé d’être leur producteur donc j’ai commencé à fréquenter la Mafia K’1 Fry. C’était le groupe numéro 1 à l’époque. Les mecs du ghetto se reconnaissaient en eux. L’un des premiers concerts que j’ai vus, c’était Kery James à Pantin. Il y avait aussi Rim’K du 113.
Est-ce que la Mafia K’1 Fry t’a inspiré pour la Sexion d’Assaut ?
Non, déjà parce que la Mafia K’1 Fry était connue à l’époque. Ils faisaient rêver toute la banlieue. Alors que la Sexion d’Assaut, je les ai trouvés dans une cave parisienne. En plus, la Mafia K’1 Fry et la Sexion d’Assaut, ce n’est pas la même rue. D’un côté, il y a la rue « gangz », celle où des quartiers affrontent d’autres quartiers. Celle où des mecs viennent et tirent sur d’autres. Et puis il y a la rue où les gens essaient de s’en sortir, d’inscrire leurs enfants dans des écoles supérieures. Des jeunes qui ouvrent des restaurants, qui parlent avec des avocats. La Sexion d’Assaut, c’est plutôt ça.
Pourtant tu as été à la fois producteur de la Sexion d’Assaut et du groupe Intouchables, dont 3 membres ont été assassinés.
Je ne suis pas né dans les roses donc je sais m’adapter. J’ai vu passer pas mal de choses sombres. Intouchables était déjà « gangz » quand j’ai commencé à les produire. En maison de disques, les gens ne les connaissaient pas vraiment. Ils croyaient que c’était des golgoths, des mecs qui coupaient des têtes. Après, quand ils voyaient Dry parler calmement, ils changeaient d’avis. Demon One [membre d’Intouchable, ndlr] était côté à cette époque, donc il a sorti un album solo. Avec Dry, on est reparti dans les caves. J’étais son backeur sur scène. Je ne pouvais pas payer quelqu’un pour le faire à ma place. On faisait tout tout seul.
Comment tu es passé de backeur de Dry à producteur à succès de la Sexion d’Assaut ?
Quand j’ai pris la Sexion d’Assaut, personne ne les connaissait. On est resté sept ans avec eux, aucune chanson ne tournait. Beaucoup de gens me disaient : « Mais qu’est-ce que tu fais avec eux, ils sont trop nombreux ». On mangeait toujours du thon à la catalane. On faisait des réunions à Danube : « Comment on va faire à la fin du mois ? Il n’y a pas d’argent qui rentre. » On allait taper aux portes des maisons de disques, mais les gens mangeaient des sandwichs sur notre gueule, ils ne nous respectaient pas.
C’était quoi ta stratégie pour que le groupe explose ?
Le premier concert à la Boule Noire, tu rentrais avec ton T-shirt Wati B, il n’y avait pas de ticket. Comme ça ensuite à Châtelet, tu voyais les gens habillés avec ces T-shirts. Ça faisait son effet. Tu te disais : « Qu’est-ce qu’il se passe ? » On faisait des concerts sauvages aussi. Il y a même eu des émeutes. Le but c’était de réunir dans un secteur le plus de monde possible. Beaubourg, c’est la terre du milieu. C’était au moment où internet explosait, ça avait fait un buzz de malade. On avait mis une scène, un micro. On mettait la baffle en l’air. J’avais chaud, ça kickait ! Il fallait tenir les artistes pendant le show. Pour partir, on a été obligés de se séparer. Tout le monde partait de son côté avec un ou deux mecs de la sécu pour l’accompagner. Le seul que les fans continuaient à suivre, c’était Black M. Il n’était pas balaise en ce temps-là !
Dawala, Maître Gims, Lefa et Black M / Crédits : -
Comment tu as vécu cette réussite ?
Quand je faisais les Pur Son Ghetto, des rappeurs comme Sefyu explosaient. Ils avaient des disques d’or. Je me disais : « Quand est-ce que nos sons vont tourner en radio ? » Et quand ça arrive, tu souris tout seul. Tu mets le son, t’es heureux. Depuis c’est devenu une habitude.
En 2013, Maître Gims a fondé son propre label chez Universal. Wati B est chez Sony. Est-ce que tu étais au courant ?
Oui. Au départ, j’ai voulu qu’il développe son label chez Sony. C’est mieux d’être dans la même maison. Ça évite les malentendus. Quand t’es chez des concurrents dans une grosse industrie comme ça, c’est compliqué. Maître Gims a son label indépendant et Wati B a toute la Sexion d’Assaut et les artistes du Wati B. D’ailleurs, la réédition de l’album de Maître Gims est sortie chez Wati B.
Il est encore signé chez Wati B ?
Tous les artistes avec qui on a commencé sont toujours chez nous.
Il lui reste un album à réaliser dans son contrat ?
Non ! Encore deux projets.
Est-ce que la création de ce label a changé vos relations ?
Les relations ont changé avec tous les artistes. Quand on s’est connus, on était célibataires. Maintenant, tout le monde a une famille et des contraintes. Forcément, on ne va pas tous dans le même sens. Mais je ne connais pas un label où il n’y a pas de problèmes.
Avec les succès énormes de Black M et Maître Gims, est-ce que l’harmonie de la Sexion d’Assaut peut encore durer ?
Ç’a trop duré déjà. Quand je parle aux artistes, je leur dis que c’est comme pour un joueur de foot : tant que tu es joueur, tu ne peux pas devenir entraîneur d’un club. Tu brilles au Barça, tu ne vas pas prendre un club de foot en Allemagne. Si le club ne marche pas trop, les gens vont dire « Ah, mais lui il n’est bon qu’en tant que joueur. » Alors que si tu finis ta carrière, que tu te prépares bien avant d’être entraîneur, là tu peux réussir. Tout ce que je fais, je le compare au football, c’est ma philosophie.
Restons sur la métaphore alors. Maître Gims va être transféré ou non ?
Ici personne n’est transférable. Mais ils peuvent prendre leur retraite ! (rires)
Moquette années 70 / Crédits : Michela Cuccagna
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