Comment continuer à faire la fête quand l’ombre du terrorisme plane ? Pour comprendre, StreetPress a interrogé des artistes libanais, tunisiens et israéliens.
Il est 17h15 le 24 novembre, en plein cœur de Tunis. Sur l’avenue Mohamed-V, une des artères principales de la capitale tunisienne, un attentat vise le bus de la garde présidentielle et fait 13 morts. A deux pas, le rappeur et compositeur DJ Nash sort à peine de son studio d’enregistrement :
« J’étais totalement isolé, je n’ai rien entendu. En sortant, j’ai vu des gens courir, hurler. Je me demandais ce qu’il se passait. J’avais vraiment peur qu’il y ait un autre attentat. C’est vraiment un moment qui m’a marqué. Ça aurait pu être moi. »
L’histoire de DJ Nash, d’autres auraient pu la raconter. Les jours suivants, il est retourné en studio. Des artistes, comme lui, sont remontés sur scènes, ont organisé des soirées, composés de nouveaux morceaux. StreetPress a interrogé des artistes libanais, tunisiens, israéliens, tous confrontés dans leur vie quotidienne aux attentats. Comment continuer à faire la fête ?
La terreur au quotidien
Inès, 27 ans, est une DJ tunisienne. Elle a grandi à Tunis et navigue aujourd’hui entre Paris et sa ville natale. Malgré les attentats qui ont touché ces deux pays, elle assure que son quotidien n’est pas bouleversé :
« On sent plus la présence de la police. Il y a des fouilles à l’entrée de chaque endroit en Tunisie, comme en France aujourd’hui. Le stress et la tension sociale sont présents, mais mon quotidien n’a pas changé. »
Inès en plein mix au Petit Bain à Paris. / Crédits : Petit Bain
Pour Mohamed et Omar Kabbani, deux rappeurs de Beyrouth qui officient sous le nom d’Ashekman, la donne est différente. Nés dans les années 80, ils font la somme des conflits qu’ils ont traversés :
« On a connu deux guerres civiles, des interventions extérieures et plus de 100 attaques terroristes. Pour nous, entendre des bombes c’est comme entendre des feux d’artifice. »
A 420 kilomètres de la capitale libanaise, Tel Aviv et ses fameuses soirées qui attirent des fêtards du monde entier. « On doit toujours se tenir au courant des questions de sécurité ici, explique Amir Gov, organisateur de soirées qui a déjà sévi au Queens à Paris. Pour nous, c’est naturel de faire attention aux sacs, de jeter un oeil sur des gens suspect. »
Même son de cloche pour Ram Mizrahi, DJ à Jérusalem :
« Le terrorisme, ça dure depuis des dizaines d’années ici. J’ai grandi dans l’ombre de la terreur. Quand j’avais 16 ans, il y avait beaucoup d’attentats kamikazes. »
The show must go on
Malgré cette chape de plomb, Ram refuse de changer ses habitudes :
« Si je suis en route pour l’anniversaire d’un ami et qu’il y un attentat, qu’est-ce que je vais faire ? Rentrer chez moi. Non. Je vais y aller et faire la fête. »
Pour le duo Ashekman de Beyrouth, la solution c’est le bras d’honneur en musique. En 2010, ils sont les premiers rappeurs du monde arabe à apposer le sticker « explicit lyrics » sur la cover de leur album Nasher Ghassil :
(img) Explicit lyrics
« A cette époque, les terroristes tuaient les penseurs libres et les civils juste parce qu’ils avaient une opinion différente. Donc on a décidé de les défier et de parler des sujets tabous comme la politique et la religion. »
En Tunisie, la scène électro n’a jamais été aussi prolifique depuis la révolution, même après les récents attentats. « Nos jeunes ont besoin d’extérioriser leur frustration, éclaire Inès. Plus aucune ville n’échappe aux soirées et aux festivals. Ca va du désert jusqu’au nord, des montagnes aux plages. »
En février, la DJ a participé à Sounds of Sahara, un festival en plein milieu du désert au sud-ouest de Tunis. Objectif affichée par les organisateurs : tenir tête à l’Etat Islamique et relancer le tourisme. Malgré la tenue du festival, peu d’étrangers sont venus vibrer dans le désert tunisien :
« Je crois que les gens ont perdu confiance et ne veulent plus s’y aventurer. La guerre commence à l’emporter. »