18/07/2016

Les enseignants doivent organiser des simulations d’intrusion terroriste

Face au risque d’attentat, les écoles se préparent

Par François Rieux

Suite aux attentats de novembre 2015, le ministère de l’Education nationale a demandé aux écoles d’organiser des simulations d’intrusion terroriste avec exercice de confinement. Certains enseignants jugent la mise en situation anxiogène.

C’est en janvier que Lucie*, enseignante dans le sud de la France, organise un « exercice de confinement » dans sa classe de CE1-CE2, dans le cadre d’une simulation d’attentat sur l’école. Pendant près d’une heure, les enfants doivent rester calfeutrés dans leur classe.

Quelques semaines plus tôt, l’ensemble des directeurs des écoles de France, dont la boss de Lucie, reçoit un mail. Elizabeth*, directrice d’une école de Midi-Pyrénées, détaille :

« On a reçu une directive ministérielle par mail. Elle expliquait qu’on devait faire une simulation d’attentat une à deux fois par an dans chaque classe »

Pour accompagner ce mail, un document également en ligne sur le site du ministère, qui détaille la marche à suivre.

Un extrait du document envoyé aux écoles. /

La décision prise par le ministère de l’Éducation nationale, fait suite aux attentats commis à Paris le 13 novembre 2015. Quelques jours après ces évènements, le magazine de l’État Islamique Dar Al Islam appelait ses sympathisants à « combattre et tuer » les professeurs qui enseignent la laïcité aux enfants.

Une simulation anxiogène pour les enfants

Pour se préparer à l’éventuelle intrusion d’un terroriste dans l’école, « on a poussé les tables et les chaises pour bloquer les fenêtres et la porte », détaille Lucie :

« La salle de classe était plongée dans le noir total. Certains enfants tremblaient, une en particulier sanglotait… »

L’enfant inquiet demande à Lucie si lui et les autres élèves sont en sécurité. « Je n’ai pas répondu. J’ai préféré laisser ses camarades réagir afin de créer une discussion saine que je supervisais. » Ce à quoi un élève aurait répondu :

« Bien sûr qu’on est en sécurité ! La maîtresse est là pour nous. S’il y a un terroriste, elle va nous protéger. »

Même si les enfants ont conscience qu’il s’agit d’une simulation, le scénario inquiète, rappelle Lucie :

« Une fois les conversations lancées, il est important de répondre à toutes leurs questions afin de ne pas créer de nouveaux traumatismes. Transformer la situation délicate sous forme de jeu où tout le monde participe aide à calmer les enfants. »

Chaque enseignant fait comme il peut

Elisabeth, la directrice, juge la mesure du ministère de l’Education incomplète :

« On se retrouve tout seul face à la situation. La directive est un mode d’emploi mais on n’a pas les outils. Nous ne sommes pas formés à ce genre d’exercice et nous ne sommes pas forcément supervisés par les forces de l’ordre. »

Alors, chaque instituteur adapte l’exercice. Pour Lucie, « une heure c’est trop long ! Les enfants ne sont pas habitués à rester inactifs si longtemps. Surtout allongés sur le sol. » L’enseignante a donc privilégié une position assise, ses élèves pouvant se blottir plus facilement les uns aux autres.

A Paris, les écoles primaires ont carrément renoncé à la simulation, affirme Jérémie Lambert, secrétaire départemental du SNUipp-FSU (syndicat des enseignants du premier degré français, ndlr) de Paris :

« La capitale ayant été le centre des événements de novembre et de Charlie Hebdo, il est assez impensable de faire revivre, même dans le cadre d’une situation simulée, ces attentats-là. A la fois pour les parents et les enfants. »

Contacté par StreetPress, le ministère de l’Education Nationale précise que sa directive donne un cadre, mais que les enseignants sont libres d’adapter la mise en œuvre à leur guise. Quant aux écoles qui ont reçu la consigne de mettre en place un confinement d’une heure, il s’agirait, toujours selon le ministère, d’une interprétation d’une académie.

Manque de moyens

Certains enseignants dénoncent aussi le manque de moyens. Chaque classe est censée avoir une trousse de secours, un téléphone permettant d’entrer en contact avec les autorités et chaque établissement est censé disposer d’un système d’alerte distinctif de l’alarme incendie. Parfois, on fait avec les moyens du bord, comme en témoigne Lucie :

« Dans cette école, nous n’avons pas de téléphone spécifique, du coup c’est chacun avec son portable perso. Mieux vaut ne pas l’oublier le matin et l’avoir chargé à fond la veille. »

Et en guise de signal d’alerte, la mairie leur à fourni… une vuvuzela.

*Les prénoms ont été modifiés.