Le manuel de vie du missionnaire Mormon

Paris, 17e, Passage Foubert – Le Manuel du missionnaire est clair :

« Ne regardez pas la télévision, n’allez pas au cinéma, n’écoutez pas la radio et n’utilisez pas internet. »

En direct de chez un assigné à résidence ? Pas vraiment : Elliot, petit brun trapu de 19 ans et Jordan, grand rouquin de 21 ans sont ricains et Mormons. Il est à peine 7h30, mais les deux « missionnaires » sont debout depuis une heure lorsqu’ils nous ouvrent la porte. Sur leur torse habillé d’une impeccable chemise blanche, un badge foncé avec inscrit en lettres capitales, Eglise de Jésus des Saint des Derniers Jours.

La déco de leur coloc est minimaliste. 4 chaises en forme de transat, 4 bureaux. Seules fantaisies, un portrait du Christ et un planisphère placardé au mur. Le « désordre » se résume à quelques Livres de Mormon éparpillés. Le bouquin est une sorte de récit religieux teinté de nationalisme américain. Pour faire simple, Jésus aurait fait un petit voyage aux Amériques, serait apparu aux habitants du coin et leur aurait fait profité de ses enseignements.

Un livre régit leur vie

Sur le mur du fond, une petite bibliothèque en bois, regroupe les ouvrages qui dictent la vie d’Eliott, Jordan et leurs deux colloques Yu Cheng, un canadien de 23 ans et Wen Ho, un taïwanais de 24 ans. Le livre de Mormon donc, la Bible qu’ils reconnaissent comme un livre saint et le Manuel du missionnaire qui régit chaque aspect de leur vie :

« Si vous jouez au basket, ne pratiquez que sur la moitié de terrain pour éviter l’effort inutile… »

Tout est décortiqué dans ce petit guide et la liste s’allonge à l’infini : Interdiction formelle de sortir de l’appartement seuls, ils doivent toujours être à deux minimum, ne doivent pas se perdre de vue pendant les sessions de prêche. Parler à d’autres personnes en dehors de la mission est prohibé, comme les interactions avec le sexe opposé, sauf « les sœurs » en mission comme eux. Un embrigadement qui ne dit pas son nom, une ligne de conduite pour Elliot :

« Il ne faut pas s’éloigner de la voie. La charge qui nous est confié est un honneur. »

Puis le jeune américain s’approche et nous confie, malicieux :

« J’ai eu de la chance, le dernier Star Wars est sorti avant le début de ma mission. Attendre deux ans pour le voir aurait été compliqué ! »

Conversion ratée

Les journées d’Eliot et Jordan sont réglées comme du papier à musique. Encore un fois, le Manuel du missionnaire détaille l’agenda : 6h30, réveil, prière, gymnastique (30 minutes) et préparatifs de la journée. 7H30, petit déj’, puis l’étude des textes jusqu’à 10h. Ce jeudi les missionnaires enchaînent avec une call conférence. A l’autre bout de la ligne, « le frère Babin », le responsable des missionnaires en Ile de France. Les téléphones sont à l’ancienne. Elliot, Jordan et les autres missionnaires se passent le combiné pour exposer le bilan des derniers jours. « Ça nous empêche d’aller sur Internet avec », explique Jordan.

10h30, Eliot et Jordan raccrochent le téléphone et prennent le métro direction le 4e arrondissent. Thierry, chaussures ouvertes, chemise usée les attend devant un hôtel particulier de la rue Saint Merri. Les 3 hommes pénètrent dans une petite salle de réunion. Au mur, le même portrait de Jésus que celui qui décore leur coloc, cette fois entouré de mots d’amour écrit sur des coeurs en papier. D’épais rideaux masquent les fenêtres. Les deux missionnaires s’asseyent de part et d’autre de Thierry qui vient pour la 4eme fois. Jordan commence doucement à cuisiner le quadra:

« Je tenais à vous remercier d’être venu, et je tiens à vous dire une nouvelle fois que nous sommes vos amis. »

La phrase semble faire son petit effet sur Thierry qui, détendu, se joint à la prière d’ouverture de réunion. Ensuite le premier acte s’ouvre. Chaque prise de parole a été répété le matin même par les deux missionnaires. Les questions sur la foi, la vie, les envies de Thierry s’enchaînent. Mais le prospect semble résister. Elliot lance une première attaque :

« Si nous sommes là c’est que nous pensons que c’est pour votre bien. »

Thierry parle de religion, tergiverse, et refuse de lancer de lui-même une prière. Le temps commence à être long. Mais le duo est patient et entraîné. Soudain, Elliot se décale et pique :

« Je suis le représentant de Dieu et je peux vous assurer qu’il veut que vous priiez. »

Silence. Les visages enfantins des deux jeunes mormons se sont brutalement durcis. Ils sont à deux doigts d’accueillir un nouveau fidèle et… c’est le fail. Thierry refuse de prier. Jordan se lève. Si il reste agréable, l’amertume pointe dans sa voix. « Bon, on ne va pas prendre toute votre après-midi, le choix est votre. » Après une pause sandwich-sncf, les deux missionnaires prennent le métro et migrent vers le 16e.

« Nous ne sommes pas une secte »

Elliot baisse la tête et réajuste son badge. Le vieil homme ivre et boitillant qui les suit depuis la sortie du métro continue de hurler :

« Ben alors, qu’est-ce qu’ils font ici les mormons ? ‘Sont perdus ? Retournez dans votre pays avec votre putain de religion, on n’en veut pas ici ! »

En guise de réponse, Elliot se fend d’un « bonne journée à vous aussi Monsieur » et trace sa route, suivi de près par Jordan qui précise :

« Attention, nous ne sommes pas une secte. Le gouvernement français nous reconnaît en tant que religion. »

Certains jeunes missionnaires se trimbalent même avec un papier officiel à montrer en cas de doute de la part du passant alpagué dans la rue :

« Les gens nous confondent souvent avec les Témoins de Jehovah. Mais eux, c’est une secte aux yeux de l’Etat, du coup, ils n’ont pas le droit d’aller vers les gens, c’est pour ça qu’ils restent statiques dans la rue avec leur présentoir. »

Prosélytisme

C’est parti pour une heure de prosélytisme. La technique d’approche du duo est bien rodée. Ils ont repéré de loin un jeune garçon, lunettes de soleil et casquette, l’air détendu. D’abord la mise en confiance. Pour Elliot, c’est une question de feeling :

« Il faut toujours aborder la personne en lui parlant d’elle-même. C’est vrai que deux mecs qui tombent sur une personne, ça peut être effrayant ! »

Ensuite, les missionnaires cherchent à savoir si l’interpellé est croyant, histoire de voir si le terrain est favorable. Et inévitablement la question tombe : « Connaissez vous l’Eglise de Jésus des Saint des Derniers Jours ? » Elliot montre son badge :

« A partir de là, ça passe ou ça casse. Mais généralement, le nom de Jésus Christ met en confiance. »

A l’issue de la conversation, les deux VRP de Dieu tentent de caler un rendez-vous pour une discussion plus approfondie. Ici, c’est raté, le mec avait un « truc important à faire ». Elliot garde le smile :

« On a l’habitude, mais il faut passer à autre chose et persévérer. Rependre la Vérité n’attend pas ! »

Ce jeudi après-midi, les deux compères feront choux blanc. Le coin n’est visiblement pas très réceptif. Peu importe. A l’origine, Elliot et Jordan sont ici pour déposer un Livre de Mormon dans la boîte aux lettres d’une personne rencontrée la semaine précédente. Souci, l’entrée est bloquée par un digicode. Ils tentent de passer un coup de fil. Coup du sort le numéro donné par l’éventuel intéressé est un faux. Jordan ne se démonte pas et glisse le bouquin sous la porte.

37.000 membres en France

« La bonne parole doit être propagée et les gens se rendront compte que nous détenons la vérité », explique Jordan avant de compléter :

« On invite les gens à aller vers le Christ et la vérité. »

La méthode a fait ses preuves. L’église de Jésus Christ des Saints des derniers jours revendique 37.000 membres en France.