06/07/2016

Il achète des livres à Paris, les revend en Algérie

Amine, marchand de livres à la sauvette

Par Juliette Redivo

Devant la librairie Gibert Jeune de Saint-Michel, Amine rachète les livres d'occasion pour les revendre à un bon prix en Algérie. Pour définir les prix, il utilise une appli conçu par son frère.

15 heures, place Saint-Michel, Paris 5e – Amine est posté derrière un transformateur électrique, à deux mètres de l’entrée de la librairie Gibert Jeune. De son repère, il observe un jeune sortir avec deux gros sacs toujours bien remplis. Amine lui tombe dessus :

« Tu as des livres que tu n’as pas vendu ? Je te les rachète ! »

Il l’entraîne derrière le transformateur et commence à évaluer la marchandise. Une vingtaine de bouquins, quelques vieux romans… Amine prend et tourne les livres. Il rentre les références sur son smartphone et donne son prix : 4€ pour le tout. Le deal est fait, l’acheteur lui donne les piécettes, le jeune disparaît.

« Je pense pouvoir les revendre à une cinquantaine d’euros au bled. »

0,10 centimes le bouquin

Chaque jour, des dizaines de personnes tentent de revendre leurs livres à Gibert Jeune. / Crédits : Juliette Redivo

Chaque jour, des dizaines de personnes tentent de revendre leurs livres à Gibert Jeune. Mais la librairie n’accepte ni reliure craquelée, ni couverture tachée ou cornée, ni tranches gondolées ou jaunies. Alors Amine en profite et il les rachète pour presque rien :

« Je négocie souvent un livre à 0,10 ou 0,20 centimes, mais rarement à plus de 1 euro. Les gens veulent s’en débarrasser donc ils acceptent. »

Et pour fixer son prix, il s’aide d’une application sur son smartphone. Il n’a qu’à entrer la référence de l’exemplaire :

« C’est mon frère qui a créé l’appli, il est ingénieur. »

Des valises de livres gratuites

Vient alors l’étape des négociations, où Amine est assez doué :

« J’ai déjà racheté des œuvres complètes de la Pléiade pour rien. Il y a même des gens qui me déposent des valises de livres gratuitement. La technique, c’est de leur sourire. »

« Il y a même des gens qui me déposent des valises de livres gratuitement. » / Crédits : Juliette Redivo

Le trentenaire d’origine algérienne aborde également certaines personnes directement en arabe. « Tu viens d’où ? Du Maroc ? Moi je suis né à Alger », lance Amine à une jeune fille qui a trois romans sous le bras. Il discute un peu et, parfois, il laisse même son numéro de téléphone. C’est sa manière à lui de fidéliser les clients. « J’ai reçu un texto d’une fille hier. Regarde, elle me dit qu’elle a 200 livres chez elle et que je peux venir les prendre gratuitement ! » s’enthousiasme Amine, téléphone en main.

700 euros par mois

Il y a trois ans, Amine lâche son boulot de routier. Il décide alors de monter la petite affaire avec son cousin. Ils se partagent les frais et le butin. Pendant qu’il rachète les livres à la sauvette de 10h à 17h, son cousin s’occupe de les revendre. Il fait quelques brocantes parisiennes et envoie « 2-3 conteneurs » en Algérie tous les deux mois. Les deux acolytes ont leurs « contacts » et traitent surtout avec des écoles, leurs meilleurs acquéreurs :

« Les livres se vendent très chers en Algérie. Un bouquin à 2€ peut se marchander à 7€ au bled. »

En une journée, Amine peut trouver une centaine d’œuvres, parfois un peu plus, parfois un peu moins. Les bons mois, Amine peut se faire jusqu’à 700€. « Hier on a vendu pour 150€ de livres, c’est super. Mais il y a des périodes où on ne vend pas beaucoup. » Il a de quoi payer son loyer à Porte d’Orléans, à près de 400€. « J’y vis seul, c’est tout petit, mais au moins je suis près de ma famille. »

D’ailleurs, ce soir, Amine a prévu de les rejoindre pour le ramadan. « Qu’est-ce qu’on y mange bien ! » Ses parents et sa tante vivent désormais à Vitry-sur-Seine, depuis qu’ils ont quitté le centre d’Alger. Amine avait 16 ans.

La récolte a été bonne. / Crédits : Juliette Redivo

Il salue les policiers

Ses journées ne sont pas toujours simples. Amine n’est plus le seul vendeur à la sauvette, il doit désormais partager le spot avec sept autres marchands. Chacun bosse de son côté mais aujourd’hui Amine s’accroche avec l’un d’eux. Ils s’embrouillent en arabe et Amine lui tire un sac des mains :

« C’est un Marocain, il a cru que c’était à lui. Ça arrive qu’on se mélange les bouquins entre nous. »

Et parfois ça dérape. Un homme âgé, qui attend le bus à côté, renchérit : « Un jour il y a eu une petite bagarre et les policiers ont dû les séparer. » Amine, lui, est rarement dérangé par les flics.

« Les flics passaient beaucoup par là au début. La première fois ils m’ont emmené au poste pour un contrôle d’identité. J’ai mon passeport donc je n’ai rien eu et ils me laissent tranquille maintenant. »

Ils se saluent même de temps en temps.