Bienvenue chez Charisma, une communauté évangélique de Seine-Saint-Denis aux prestations all-inclusive : école, aide alimentaire, assistantes sociales, avocats… À sa tête, le pasteur mégalo Nuno Pedro qui promet amour de Dieu et réussite.
Le Blanc-Mesnil (93) – Une foule dense sort du RER et, comme chaque dimanche, s’engouffre dans la quarantaine de bus garés à côté de la gare. Quelques kilomètres plus loin, le bataillon de bus dépose les fidèles dans une zone industrielle anonyme. La foule s’engouffre devant ce qui ressemble plus à un grand hangar qu’à une église.
Le pasteur Nuno Pedro s’avance sur scène. Une dizaine d’écrans géants retransmet en direct sa prédication :
« Si vous ne réussissez pas dans la vie, c’est que vous êtes fainéants. Dieu a placé en vous des dons. Il faut s’en servir pour que Jésus soit fier de vous ! »
Plus de 10.000 croyants, encadrés par près de 500 bénévoles, assistent chaque dimanche à l’un des trois shows de ce pasteur évangéliste. Charisma fait dans la démesure.
Chaque dimanche, plus de 10.000 personnes se rendent aux offices de Charisma. / Crédits : Aurélie Garnier
Dieu, Jésus et Nuno Pedro
Au micro, Nuno Pedro crie son amour de Dieu. Une piété qui donne chaud, à en juger les traces de sueur qui envahissent progressivement sa chemise qu’il part plusieurs fois changer en coulisses. Léger accent, goût prononcé pour les blagues, clins d’œil à l’assistance, le pasteur en costard-cravate fait le show. Dans la bouche du guide spirituel, l’amour de Dieu passe par la réussite professionnelle. Les fidèles posent des questions liées à leur quotidien et le pasteur y répond, façon coach de vie :
« Tu es plombier et tu ne sais pas où Dieu est dans ton travail? C’est Satan qui bouche les canalisations pourtant ! »
À un professeur qui se demande comment concilier son obligation de laïcité et le message de Dieu, Nuno Pedro répond sans sourciller :
« La France est un pays totalitaire qui empêche de parler de religion. »
Le pasteur multiplie les dérapages (in)contrôlés. Il déclare très sérieusement que « les derniers ministres de l’Éducation nationale sont sous la coupe des Francs-maçons ». Les visages des fidèles, fixés sur le grand écran qui diffuse les propos du pasteur, ne cillent pas.
Dans ce quasi-cours de développement personnel, rencontre avec le ciel rime avec réussite. À la fin de la messe, chacun checke son voisin en criant « Tu vas réussir grâce à Jésus ! » S’il y en a un qui a réussi, c’est bien le pasteur Nuno Pedro. Arrivé en France dans les années 1980, il fonde Charisma en 2004. Dans un petit local de Saint-Denis, il commence d’abord par attirer la communauté portugaise, très présente dans le 93, avant de passer à la vitesse supérieure. Son discours qui s’inspire de la théologie de la prospérité séduit des croyants de différentes communautés africaines et antillaises, souvent issus de milieux défavorisés.
À la fin des années 2000, le temple de Saint-Denis se fait trop petit. Charisma se délocalise au Blanc-Mesnil. En guise d’ouvriers du bâtiment, ce sont des bénévoles qui aménageront cet immense entrepôt. Un lieu à la mesure des shows à l’américaine du prédicateur : grande scène, moquette épaisse au sol, ballons gonflés à l’hélium et guirlandes lumineuses en guise de déco. Un orchestre composé d’une trentaine de musiciens et chanteurs accompagne même Nuno Pedro. Pour toucher l’âme des fidèles, il s’adresse autant à la tête qu’au corps. Chants et danses rythment l’office.
Jean-Paul, Alison et Marie ont rencontré Dieu
Sur le quai du RER, tandis que chacun attend le train du retour, on en entend certains fredonner les chansons sur lesquelles ils ont dansé et chanté plusieurs heures ce matin. À voir les sourires sur les visages, le discours de la gagne de Nuno Pedro emporte les esprits dans cette église composée très majoritairement d’immigrés africains et antillais, souvent dans des situations précaires.
Assis dans le wagon, Jean-Paul, la vingtaine, est le premier à raconter son parcours. Comptable dans l’Essonne, il raconte le destin de nombreux fils d’immigrés :
« Moi, ma mère a grandi avec la guerre au Congo. Elle n’en parle jamais mais ça a brisé sa vie. On est partis quand j’étais petit mais je garde des images très dures dans ma tête. À Charisma, on apprend à rencontrer Jésus. Ça m’aide à accepter cette histoire. »
Les adeptes de Charisma sont très prosélytes. / Crédits : Aurélie Garnier
Son amie Alison, collier de perles noires autour du cou et tissage coloré aux cheveux, est née en France. Elle parle d’une adolescence difficile à Aubervilliers, entre sa mère qui ne s’occupait pas d’elle, les garçons qui lui faisaient tourner la tête et les embrouilles au lycée. Charisma a changé sa vie :
« Grâce au pasteur, j’ai réussi à faire sortir toute la colère de mon cœur. J’ai appris à accueillir tout l’amour que Dieu a pour moi. »
Face à ces jeunes déboussolés, Charisma offre un nouveau cercle d’amis, une nouvelle famille. Tous les fidèles racontent comment, un jour de déprime, une voisine, un cousin, un copain leur a proposé de venir à l’église. Alison, avant de descendre à Gare du Nord, rembobine son entrée dans Charisma :
« C’est une copine du lycée qui m’a dit de l’accompagner. Elle voyait bien que ça n’allait pas. Depuis, j’ai fait venir presque toute ma famille ! »
Chaque dimanche, c’est la même démarche. Alors que les fidèles sont encouragés à venir avec leur entourage, le pasteur demande qui sont les nouveaux venus. Une fois identifiés, Charisma ne les lâche plus. Ils remplissent tout d’abord un questionnaire très détaillé qui demande de parler de leurs problèmes personnels, de leur famille et de leur rapport à Dieu. Puis un mentor leur est attribué. Ils pourront l’appeler jour et nuit, le contacter par texto ou Facebook.
Marie, la petite trentaine, en parle d’ailleurs en riant pendant qu’elle se dirige vers la sortie à la fin du culte :
« J’ai abusé au début. J’ai harcelé mon mentor de questions. C’est grâce à elle que j’ai compris que j’avais rencontré Dieu en venant pour la première fois ici. »
Jean-Paul, rencontré dans le train avec Alison, est devenu à son tour mentor, après un an à Charisma. « On donne un peu de tout ce qu’on a reçu en arrivant » dit-il, très heureux de se sentir utile au sein de la paroisse.
Charisma, un service all inclusive
Ce guide spirituel n’est pas le seul à faciliter la vie. Nadia, rencontrée sur le parking de Charisma, est ravie de raconter comment l’église l’a aidée dans sa nouvelle vie en France :
« À Yaoundé au Cameroun, j’avais une bonne situation. Quand je suis arrivée à Paris, il y a cinq ans, c’était très dur. Ici, vous n’êtes personne. »
D’une voix ferme, elle explique :
« On m’a aidé à comprendre les papiers dont j’avais besoin pour renouveler mon titre de séjour. On m’a aussi orientée pour avoir un logement. Si vous n’avez pas d’argent, vous pouvez même recevoir un colis plein de nourriture chaque dimanche. »
Armada d’avocats, assistante sociale pour trouver un HLM, banque alimentaire pour ceux qui peinent à joindre les deux bouts… Charisma fait office de facilitateur pour ceux qui galèrent. La communauté offre aussi de la chaleur humaine dans un quotidien souvent gris. « Ici, j’ai trouvé des amis et une famille. J’étais seule et Charisma m’a comblée », confie une jeune femme entre deux chansons aux rythmes RnB.
À Charisma, après le mentor et l’aide sociale, ce sont les groupes familiaux qui occupent les journées. Une fois par semaine, un fidèle accueille chez lui un groupe de prière qui dure cinq ou six heures. On peut aussi étudier la Bible. Des cours qui se tiennent tous les après-midis, dans une annexe de l’église. Coût de la formation : 600 euros l’année. La cérémonie de remise de diplôme fait penser aux facs américaines, avec ces toges de couleur et ces coiffes de fin d’études. Nadia s’enthousiasme en évoquant ces cours bibliques :
« J’ai eu l’impression de retourner à l’école une deuxième fois. C’est formidable parce qu’on apprend tous ensemble à aimer Dieu ! »
Cours de fitness, chorale, groupe scolaire qui va de la maternelle au lycée, tout est pensé pour pouvoir passer le plus clair de son temps dans le giron de Charisma. Pas question de rater un groupe familial ou de faire la grasse matinée un dimanche. Ici, on « veille » les uns sur les autres. Ou se surveille. « On me mettait la pression pour venir tous les dimanches. On voulait que j’arrête mon travail d’aide-soignante le weekend», évoque ainsi les yeux dans le vague Catherine, une ancienne fidèle.
Charisma propose même des leçons de fitness pour les fidèles. / Crédits : Aurélie Garnier
Donner 10% de son salaire
« Appartenir à Charisma, c’est vouloir que la parole de Dieu pénètre tous les cœurs », raconte Jean devant le bâtiment qui accueille les enfants pendant la messe. Barbe rousse aux joues, il est l’un des rares blancs au sein du staff. Il raconte :
« En arrivant ici, j’ai décidé d’en finir avec l’alcool et les bastons dans la rue. Forcément, j’ai envie que les autres aussi arrêtent leurs bêtises. »
Pour gagner les cœurs, chaque fidèle doit parler de Charisma autour de lui. Les techniques sont variées : prospectus, appels téléphoniques à des amis perdus de vue, discussion avec la voisine sur le palier. Sita Malonda, une Congolaise au visage marqué par les épreuves de la vie raconte comment Charisma est entré dans sa vie :
« Ma voisine avait remarqué que mon fils avait un grave handicap, des problèmes psychomoteurs. Elle est venue me voir en me parlant des miracles du pasteur Pedro. »
Sur son canapé en skaï noir, elle confie :
« C’est comme ça que je me suis retrouvée à Charisma. J’ai cru qu’on pourrait guérir mon fils. »
Au rez-de-chaussée de cet immeuble d’une rue tranquille de Sartrouville, la colère de l’ancienne fidèle est évidente :
« Vous donnez chaque mois 10% de votre salaire. Vous devez aussi faire des offrandes. »
Si la dîme est courante dans les églises évangéliques, elle ajoute qu’il « faut aussi donner de l’argent à la fin de chaque groupe familial ». En nous montrant l’épais tas de documents qui décrivent ses années à Charisma, elle ajoute :
« Mon fils qui était fragile psychologiquement a contracté plusieurs crédits pour pouvoir payer ce que réclamait Charisma. »
Linda Caille, auteure des Soldats de Jésus, parle d’un « service tarifé des groupes familiaux, très éloigné des fonctionnements habituels des évangélistes ». « C’est une forme de pression qui doit pousser à atteindre l’excellence. » continue-t-elle par téléphone :
« Donner signifie que vous avez une santé financière et religieuse sérieuse. »
« Vous donnez chaque mois 10% de votre salaire. Vous devez aussi faire des offrandes. » / Crédits : Aurélie Garnier
Surveillé par les organismes de lutte contre les sectes
La question de l’argent focalise toutes les interrogations autour de Charisma. Le pasteur Nuno Pedro aurait aimé rejoindre la fédération protestante, gage de reconnaissance. L’organisation religieuse qui accueille plus de 500 communautés a refusé car Charisma était incapable de présenter un budget. Alors que l’immense majorité des fidèles a des petits revenus, la domiciliation dans le 16ème arrondissement de Paris des Éditions Charisma, que dirige Nuno Pedro, interpelle.
Au-delà des soupçons d’enrichissement du pasteur, encadré de gardes du corps depuis plusieurs années, les récits des associations de lutte contre les dérives sectaires inquiètent. Elles décrivent les difficultés à quitter Charisma, les familles et les couples brisés quand l’un décide de partir et l’autre de rester. À demi-mot, Michaël, peau claire et élégant costume noir, reconnaît qu’il est presque impossible de garder sa vie d’avant si l’entourage ne rejoint pas les bancs de l’Eglise :
« Charisma a apporté de la lumière dans ma vie. Mais j’ai dû laisser de côté ma copine. Elle ne comprenait pas vraiment ce qu’on faisait ici. Elle était tout le temps mal à l’aise quand elle venait le dimanche. »
Pour la Miviludes, l’organisme public en charge de la lutte contre les dérives sectaires, Charisma n’est pas considérée comme un danger. Elle reconnaît cependant « être attentive et vigilante » à la vie de l’église. Son fonctionnement est opaque et il ne fait pas bon poser des questions. Si notre présence est tolérée, les responsables de Charisma n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien. En sortant de la messe un dimanche, un responsable bénévole de la sécurité nous glisse :
« Faites attention à ce que vous écrivez. Un journaliste qui est venu ici et qui a écrit un mauvais article a divorcé de sa femme quelques semaines plus tard. Sa fille est morte un peu après. »
Dieu n’aime-t-il pas la presse ?
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