« Je souffre d’autisme et de dépression, mais je n’ai pas honte de moi », lance Emma, 24 ans, en marge de la Mad Pride. Comme elle, ils étaient 250 à défiler samedi 11 juin pour défendre les droits des malades psychiques.
Hôpital Saint-Antoine, Paris 12e – Devant le rétroviseur d’un char, Bernard réajuste son casque de Don Quichotte. Un petit morceau d’aluminium se fait la malle, à deux minutes du début du défilé. C’est la troisième fois qu’il marche à la Mad Pride et Bernard veut être parfait. Mégaphone à la main, un homme habillé avec une nappe de table et une perruque blonde lui braille dessus : « Dépêche-toi, ça va commencer. » « Je suis un peu fou, mais je ne suis pas sourd ! » lui répond Bernard, en rejoignant le cortège.
Pour cette troisième édition de cette marche pour la dignité des « fous », ils sont 250 à défiler déguisés jusqu’à la place de la République. Devant l’hôpital Saint-Antoine, le lieu de rendez-vous, on compte de nombreux membres d’associations, des médecins et surtout des malades psychiatriques et des handicapés. Pierre, Mounia et Bernard battent le pavé pour leur dignité ou pour demander davantage d’aides financières.
Anissa, 26 ans
« J’ai fait plusieurs bad trip sous LSD. » / Crédits : Pierre Gautheron
« J’ai fait plusieurs bad trip sous LSD et on m’a diagnostiqué une bipolarité. J’ai été hospitalisée cinq fois en psychiatrie, j’y suis restée entre deux et huit mois. Ça fait trois semaines que j’ai quitté l’hôpital et ça se passe beaucoup mieux. Je suis dans un squat en ce moment, où je répare des vélos avec des amis. C’est eux qui m’ont parlé de cette marche. Je dois être suivie tous les jours à l’hôpital, mais j’ai préféré venir ici aujourd’hui : revendiquer mes droits, c’est important. »
Patrick, 49 ans
« Je suis paranoïaque apparemment. » / Crédits : Pierre Gautheron
« J’ai été licencié et ma femme a demandé le divorce. Pourquoi ? Je ne sais pas, je suis paranoïaque apparemment. J’étais dans le marketing et mon patron m’a plusieurs fois traité d’« incapable ». Les médecins, eux, on décrété que je ne pouvais pas gérer seul mon budget. On m’a mis sous curatelle. Tout cela a commencé en 1991. La société n’est pas sympa avec les gens comme moi. C’est pour ça que je suis là. Et aussi, avec mon masque, je veux montrer que chacun a sa part de féminité et de masculinité. Et j’en suis fier. »
Bernard, « bien plus vieux que ça ! »
« J'ai fait ce déguisement moi-même l'année dernière. » / Crédits : Pierre Gautheron
« Je suis Don Quichotte. Comme lui, je ne me bats pas contre des géants mais contre des moulins à vents. J’ai fait ce déguisement moi-même l’année dernière. C’est moi qui ai collé les personnages sur le bouclier. Est-ce que je suis fou ? Je ne sais pas. Ce ne sont pas les médecins qui décrètent que vous l’êtes, c’est l’histoire. J’ai toujours été un peu taré, c’est vrai, mais je n’ai jamais fait de mal à quelqu’un. Comme la plupart des fous d’ailleurs. Je suis le vice-président d’Advocacy France et je suis mobilisé depuis la première marche pour la liberté de chacun. Vous savez, ce ne sont pas les fous qui sont les plus fous. »
Emma*, 24 ans
« Je ne travaille pas, j’en suis malheureusement incapable. » / Crédits : Pierre Gautheron
« C’est la première fois que je viens et je marche avec fierté. Je souffre d’autisme et de dépression, mais je n’ai pas honte de moi. Ça me fait vraiment du bien de venir. Je veux aussi rappeler qu’on manque d’aides. Je ne travaille pas, j’en suis malheureusement incapable. Je vais bientôt recevoir des aides, après deux ans d’attente. C’est beaucoup trop long. »
Paul Cossé, 78 ans, ancien président de l’association « Schizo ? Oui ! »
« Ce que je veux, c’est qu’on soigne les malades le plus tôt possible. » / Crédits : Pierre Gautheron
« Deux de mes enfants sont atteints de schizophrénie. Ils ont été diagnostiqués très tard, car la maladie est encore méconnue. Je suis moi-même un médecin à la retraite et il m’a fallu du temps pour m’en rendre compte. Mes enfants ont donc reçu un traitement trop tard : ils se sont clochardisés, ils ne portaient quasiment plus de vêtements et ils mendiaient dans les métros. Quand mon fils a trouvé du travail, son employeur l’a licencié car il avait peur. Mes enfants vont beaucoup mieux maintenant. Ce que je veux, c’est qu’on soigne les malades le plus tôt possible. »
Mounia, bientôt 40 ans
« On a tous une part de folie en nous. » / Crédits : Pierre Gautheron
« Je suis psychiatre et moi aussi, je suis un peu folle. Le peintre Bacon l’était aussi, c’est un de ses tableaux que j’ai sur mon masque. On a tous une part de folie en nous. Sur certains, cela ressort plus et les médecins en abusent. J’ai vu beaucoup de maltraitance quand j’étais interne en médecine. Ils les attachent au lit et s’ils ne prennent pas leur traitement, ils reçoivent une piqûre dans les fesses. C’est comme s’ils étaient en prison. Toute leur vie, on leur répète de prendre des médocs et de fermer leur gueule. C’est très fréquent à l’hôpital Sainte-Anne. Il y a d’autres alternatives et je suis ici pour les défendre. »
Pierre*, 65 ans
« Les médecins disent pourtant que j'ai des problèmes de mémoire. » / Crédits : Pierre Gautheron
« Je fais cette marche depuis trois ans et je n’ai jamais oublié ma perruque et ma couronne. Les médecins disent pourtant que j’ai des problèmes de mémoire. Et même un handicap. Je trouve que j’ai eu de la chance, je n’ai jamais été licencié. Je suis à la retraite maintenant, à Granville. C’est là-bas que j’habite, je te l’ai dit ça ? Je vais rentrer à une heure du matin ! Mais c’était important de faire cette marche pour demander à l’État d’aider l’hôpital de Granville. Il va fermer et il faut agir. »
*Les prénoms ont été changés
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