En décembre 2015, la détention de Moussa Ibn Yacoub avait suscité une forte mobilisation en France. Six mois plus tard, l’humanitaire de 28 ans est toujours bloqué au Bangladesh, en liberté conditionnelle. Par Skype, il raconte son histoire.
C’est un jeune homme combatif que StreetPress a pu avoir au bout du fil. “Moussa Ibn Yacoub”:http://www.streetpress.com/sujet/1452012656-moussa-baraka-bengladesh-libre, humanitaire français de l’ONG islamique “Baraka City”:http://www.streetpress.com/sujet/1431943695-baraka-city-l-ong-islamique-qui-cartonne-autant-qu-elle-derange, est retenu au Bangladesh depuis six mois. Mais il s’est remis d’aplomb :
« Ça ne sert à rien de se morfondre. Ce n’est pas en me lamentant sur mon sort que je vais avancer. »
Le jeune homme travaille d’ailleurs à un nouveau projet de solidarité dans la ville de Cox’s Bazar où il est retenu.
En France, la détention de Moussa, 28 ans, avait suscité un élan de solidarité autour du hashtag #FreeMoussa. Pourtant, même s’il est sorti de prison début mars, sa situation est toujours bloquée. En liberté conditionnelle, il ne peut pas quitter le pays dans l’attente du verdict d’un tribunal qui doit intervenir d’ici un ou deux mois. Une procédure en appel est déjà dans les tuyaux en cas de jugement défavorable.
Sur Skype et avec 5 heures de décalage horaire, il revient sur ses six mois de galères au Bangladesh.
Pourquoi es-tu parti au Bangladesh ?
Pour aider les Rohingyas. Au Bangladesh, j’ai l’habitude de travailler avec les quelques associations locales qui agissent pour cette communauté [c’était son 4e voyage, ndlr]. Ma mission était programmée depuis longtemps. Nous devions faire un projet éducatif et un audit sur le terrain afin d’évaluer les besoins précis.
Je devais aussi travailler avec une ONG française pour qui j’ai déjà servi de guide en Birmanie. Cette fois, je devais me rendre avec eux au Bangladesh mais ils se sont rétractés à la dernière minute. Je me suis retrouvé seul sur place.
(img) Moussa au Bangladesh
Comment s’est passée ton interpellation ?
J’étais à Teknaf, à la frontière du Bangladesh et de la Birmanie. C’est une ville où il y a des camps de réfugiés. A l’entrée, j’ai été arrêté à un check-point par des militaires. L’un d’eux a trouvé de l’argent birman dans mes effets personnels. Il a appelé son supérieur et à partir de là, le calvaire a commencé
J’ai eu droit à un premier interrogatoire qui a duré des heures. Puis un deuxième, puis un troisième… Je me suis fait arrêter à 8h30 du matin et les interrogatoires se sont terminés vers minuit. Comme il était tard et que j’étais loin de chez moi, les policiers m’ont dit de dormir au commissariat.
Le lendemain, l’un d’eux m’a dit que j’allais faire un dernier interrogatoire puis que ce serait terminé… Mais pour cela, il fallait revenir en ville. Une fois revenu, aucun interrogatoire n’a eu lieu ! Vers 19-20h, ils m’ont fait monter dans un camion. Je ne savais pas où ils m’emmenaient. J’ai finalement compris que c’était en prison. Ils m’ont expliqué que je n’avais rien à me reprocher, m’ont dit de leur laisser mes affaires et que je les récupérerai le lendemain, à ma sortie.
Le soir même, j’ai dormi avec les détenus. On était 140 dans la cellule. Le lendemain, j’ai été convoqué par le chef de la prison. Il m’a dit que je serai jugé le 15 janvier. J’ai alors compris que je ne sortirai pas de si tôt.
Qu’est-ce qu’on te reproche ?
D’avoir falsifié mon identité et de vouloir commettre des attentats terroristes au Bangladesh. Mais officieusement, c’est mon implication pour les Rohingyas qui dérange. Ils me l’ont fait savoir à plusieurs reprises lors des interrogatoires. Leur apporter de l’aide est pratiquement interdit dans ce pays. Mais c’est impossible pour les autorités de me juger pour ça puisqu’au moment où j’ai été interpellé, je n’avais encore rien fait.
Le gouvernement du Bangladesh est très hostile envers les Rohingyas. Ces derniers ne cessent d’être persécutés partout où ils vont. Depuis quelques années, bon nombre d’ONG veulent leur venir en aide, mais sans s’occuper des autres locaux. Tout ça provoque la frustration du gouvernement.
T’emprisonner a attiré l’attention et provoqué un tollé…
Ce qu’il faut savoir, c’est que le Bangladesh est un pays souverain. Malgré toutes les pressions extérieures, ils agissent selon leur bon vouloir. Ici, on assiste d’ailleurs souvent à des exécutions de prisonniers politiques sans que cela ne choque personne.
Pour mon cas, cela a certes fait du bruit mais ce n’est pas pour autant que leur politique sur les Rohingyas va changer. Bien au contraire, en agissant ainsi, ils envoient un message clair aux humanitaires qui voudraient s’aventurer ici comme moi.
Combien de jours as-tu été emprisonné ?
70 jours.
Comment se déroulaient tes journées en prison ?
C’était difficile car ça reste le Bangladesh. C’est un pays très pauvre. Le début de mon incarcération a été très difficile. Après je me suis fondu dans la masse. Certains matons m’ont adopté. Quand je leur ai raconté mon histoire, ils ont été touchés. Ils ont compris que j’étais victime d’une injustice et ils se sont liés d’amitié avec moi.
Dans quel état d’esprit étais-tu ?
Le premier mois a été difficile car j’ai été traversé par beaucoup d’émotions. Je n’ai jamais eu peur ou été stressé. Le plus dur, c’était l’isolement. Et je savais que je n’avais rien fait, que tout cela était ridicule.
Je ne savais pas non plus quand je verrai l’ambassade. Le lendemain de mon interpellation, ils m’ont dit qu’ils avaient réglé l’histoire puis je n’ai plus eu de nouvelles. On te dit que tu n’as rien fait, que tu sors le lendemain et au final tu sors 70 jours après ! Huit jours après l’interpellation, lorsque la mobilisation a commencé à prendre de l’ampleur, le consul est venu me voir en prison.
As-tu pris conscience de la forte mobilisation sur les réseaux sociaux avec le hashtag #FreeMoussa ?
Impossible pour moi de mesurer l’ampleur de la mobilisation car j’étais cantonné à l’isolement. Mais j’en ai entendu parler par le consul. En tout, j’ai eu quatre ou cinq contacts avec l’extérieur durant mes 70 jours de détention.
Tu es désormais en liberté conditionnelle. Où dors-tu ? Que fais-tu de tes journées ?
Je dors dans un hôtel modeste. Depuis ma sortie, j’ai rencontré des enfants de rues qui s’avéraient être des Rohingyas. Je lis beaucoup pendant la journée et le soir je vais à leur rencontre pour leur donner un peu de nourriture. Avec une association locale, nous travaillons à un projet afin qu’ils puissent avoir une éducation.
Financièrement, comment fais-tu pour organiser ces maraudes ?
Je n’ai pas besoin de beaucoup. Et il y a beaucoup d’âmes charitables qui m’envoient de l’argent. Je m’en sors très bien.
Quel conseil donnerais-tu à des gens qui voudraient aider les Rohingyas ?
Aller en Birmanie est plus simple qu’aller au Bangladesh. J’encouragerais aussi les gens à ne pas partir seul. Il faut être accompagné d’une asso’ qui maîtrise le terrain. Et encore ! Là, je maîtrisais le terrain et j’ai quand même été envoyé en prison !
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