29/04/2016

La team de bénévoles régale la place de la République

Dans les cuisines de la cantine de Nuit Debout

Par Inès Belgacem ,
Par Michela Cuccagna

Place de la République, à côté des commissions et des stands, il y a la cantine. Ses militants préparent des bons petits plats pour ravitailler Nuit Debout.

Place de la République (3e) – « On a des légumes, de la semoule, est-ce qu’on ne ferait pas un taboulé ? », propose d’une voix fluette Stéphane, grand quinqua’ en doudoune rouge sans manches. « Ah si trop bien ! » lui répond en cœur le petit groupe. Autour d’une table, Cécile, Paolo et Arthur, 24 ans de moyenne d’âge, épluchent déjà des carottes et des oignons. Il est 19h et la cantine de Nuit Debout s’active. Ils sont une vingtaine à courir dans tous les sens sous la tente qui leur sert de cuisine ce samedi soir.

La commando des éplucheurs. / Crédits : Michela Cuccagna

La story

A même les dalles de la République, une gazinière a été installée. Par-dessus, une énorme marmite est déjà prête à accueillir la semoule. « On commence à choper un bon rythme à force de squatter là tous les soirs », sourit un apprenti cuisto en enjambant un cageot de légumes. La Cantine tourne depuis le 31 mars, le premier Jour de Nuit Debout. Aux manettes, ou presque, il y a Philippe. Le brun rigole quand on l’interroge sur l’organisation de la cantine :

« Tout le monde fait un peu comme il veut. Comme le reste du mouvement, il n’y a pas de chef. On se décide en commission. »

L’auto-entrepreneur préfère se définir comme un référent. Il a atterri à la cantine le 33 mars :

« C’était la première fois que je mettais les pieds à Nuit Debout. Des copains étaient dans l’organisation et il y avait besoin d’un coup de main à la cantine. Je n’en suis pas reparti. »

Celui qu’on appelle Filou sous la tente a sa liste de bénévoles. Il gère le planning en fonction des disponibilités de chacun :

« Beaucoup ont une activité ou des cours à la fac à côté. »

De la bonne bouffe

« Paolo ! Tu peux me passer les salades s’il te plaît ? » Toujours à son poste, Cécile s’affaire. Le menu s’improvise au fur et à mesure. La brune aux cheveux bouclés attrape de nouveaux gants en plastique et un couteau avant de poursuivre sa découpe des crudités récupérées ce matin. Elle et son pote Paolo ont fait leur marché à La Courneuve :

« On demande les chutes et les invendus. On se présente, on explique qu’on fait ça pour le mouvement Nuit Debout, on discute un peu avec les vendeurs. On a été super bien accueilli aujourd’hui ! »

Que des produits frais. / Crédits : Michela Cuccagna

Tous les produits cuisinés sont frais et récoltés sur différents marchés de la région parisienne. « On fonctionne exclusivement grâce aux dons », renseigne Philippe. Au début, les militants allaient à Rungis, mais c’était trop loin et trop galère. Ils se sont rabattus sur les marchés de leurs quartiers. Au vu du nombre de cageots sur le sol, la récolte est plutôt bonne. Les produits impossibles à récupérer comme l’huile, la semoule ou les ustensiles de cuisine sont achetés grâce aux dons des deboutistes. Les repas sont à « prix libre ». Des petites tirelires sont posées sur le comptoir improvisé qui accueille les clients.

Philippe précise la philosophie des cuisiniers de République :

« On essaie de faire des bons petits plats. Si c’est pour faire des sandwichs et des merguez, on ne voit pas trop l’intérêt. On essaie de faire des plats sains et frais. »

Et pour mener cette entreprise à bien, l’équipe peut compter sur une poignée de pros. Stéphane, en doudoune rouge, a longtemps travaillé dans la restauration, comme Stephanie, petite brune aux cheveux courts, elle aussi diplômée en cuisine. Elle vient de prendre en main la préparation des légumes. Elle n’y va pas de main morte sur les épices.

Un aquarium de radis. / Crédits : Michela Cuccagna

Des galères

20h. Si les plats commencent à prendre forme, tout le monde court toujours dans tous les sens. « On a pris du retard, d’habitude on commence plus tôt », lance Cécile en fouillant dans une glacière pour trouver une louche. Ce samedi l’installation a été un peu compliquée. Quelques heures plus tôt, elle faisait le tour des stands place de la République pour retrouver les bâches et tables allouées à la cantine :

« On fonctionne avec du matériel de récup’ qu’on a ramené ou que des gens nous ont gentiment donné. La journée, on stocke tout ça au stand logistique et le soir dans leurs camions. Ce matin, des gens sont souvent venus se servir sans autorisation et on ne retrouve plus rien. »

Les repas sont à prix libre. / Crédits : Michela Cuccagna

Mais Cécile garde le smile : « c’est le début du mouvement, il faut le temps que ça se mette en place, c’est normal. » Et Philippe d’ajouter : « on aurait des cuisines en dur dans le coin, ça nous ferait gagner un temps précieux ». Les militants de la cantine cuisinent de temps en temps au Freegan Pony, à Porte de la Villette, ou au Jardin d’Alice, à Montreuil. Les énormes marmites et plats sont ensuite acheminés place de la République grâce aux camions prêtés au mouvement. « Ça c’est quand on a le temps d’y passer l’aprem’. Certains cuisinent aussi chez eux et ramènent leur plats », renseigne Philippe.

Stéphane, le chef cuistot de Nuit Debout. / Crédits : Michela Cuccagna

Dans un coin de la tente, ça papote de la veille. Des filles de la cantine se sont faites enquiquiner par des fêtards trop bourrés. « Il y a de tout place de la République », commente Cécile, laconique. A Angela d’embrayer révoltée : « le travail est souvent sous-estimé, il y a des gens qui se donnent ici ! » La jeune femme en veste imperméable et sac à dos a rejoint le mouvement en route. Elle y a vu une opportunité de « réaliser quelque chose de concret ». Elle regrette, comme un paquet de commis sous la tente, que ça soit toujours la même quinzaine de bénévoles qui se bougent :

« On est heureux d’être là, mais on commence à être épuisés. Ici, ce sont toutes les valeurs de solidarité et de partage du mouvement qui s’expriment. Et pour le faire subsister, on a besoin de nouveaux bénévoles qui, comme nous, veulent agir ! »

A la soupe ! / Crédits : Michela Cuccagna