Sabrina Hamoudi est contre-enquêtrice pénale. À la demande d’avocats ou de proches d’accusés, elle traque les erreurs judiciaires. En France, ils ne sont qu’une dizaine à exercer ce job.
Paris 19e – Elle possède le petit kit du parfait inspecteur. Matos pour faire des prélèvements, gants en caoutchouc et petit carnet. Blazer bleu marine à la doublure rayée, Sabrina Hamoudi, 35 piges, n’a pourtant pas le dégaine d’un détective privé, imper et clope au bec.
Et pourtant, la jeune femme installée à Lyon est l’une des rares détectives privées pénalistes agrées en France. Son job ? Enquêter à la demande de la défense ou de l’avocat pour faire éclater la vérité dans des affaires troubles. Un sacré sacerdoce : « On est un peu le bras armé de l’avocat », explique t-elle devant un thé vert.
Faites entrer l’accusé
Discuter avec Sabrina Hamoudi, c’est un peu comme mater un épisode de Faites entrer l’accusé. Lors de notre entretien, la jeune femme rembobine ses dossiers les plus fameux. Comme son premier coup d’éclat à Lyon en 2009 :
« C’était une affaire où 6 lycéens avaient été accusés de viols par une femme de ménage. On a auditionné des témoins qui ont ensuite témoigné à la barre. La victime déclarait que le viol s’était passé dans les toilettes à midi. Or selon d’autres lycéens ce n’était pas crédible. »
Pour le coup, la jeune femme s’est aussi faite profiler :
« On avait fait des recherches sur cette jeune femme. Elle avait déjà accusé quelqu’un de viol et avait une tendance à l’affabulation »
Dans un autre dossier, Sabrina intervient après qu’un père de famille a été mis en taule pour le meurtre de sa femme. Ici, toute l’accusation tient sur des témoignages de voisins faisant état de tensions dans son foyer :
Sabrina Hamoudi avec Omar Raddad
« Ce qui était extraordinaire dans ce dossier, c’était la manière dont les prélèvements avaient été faits sur la scène de crime. Des cheveux avaient été ramassés mais jamais expertisés. »
Et d’ajouter :
« Des témoins avaient des alibis moyens que personne n’a cherché à vérifier. Et après le meurtre, on a même demandé à la famille de nettoyer la maison alors que les prélèvements n’avaient pas tous été faits. »
L’homme a été condamné à 20 ans de prison. Sabrina l’a toujours en travers de la gorge.
L’imper plutôt que la robe
Ado, Sabrina ne se voyait pas vraiment endosser l’imper gris : « Je ne savais pas que détective privé, ça existait comme métier ». Pourtant, elle rêvait déjà de scènes de crime et d’enquêtes au long cours :
« Je m’intéressais déjà à la littérature policière. Je lisais Sherlock Holmes, Alice… Mais je ne me disais pas que je voulais en faire ma vie. »
Plus tard, à la fac de droit de Saint-Etienne, Sabrina excelle mais se détache peu à peu de la robe, contrairement à ses camarades :
« C’est au moment de préparer le barreau que je me suis rendu compte que quelque chose n’allait pas dans le système judiciaire ».
Elle rejoint alors l’école de Nîmes, spécialisée dans la formation des agents de recherches privées. Là-bas, elle se familiarise aux techniques d’enquête : trouver de l’info, chercher de nouveaux témoins pour construire un récit alternatif à celui proposé par l’accusation. A la sortie de l’école, elle rejoint pour un temps le cabinet Roger-Marc Moreau, l’un des pontes de la discipline, avant de se lancer en indé. C’était il y a 7 ans.
Ils ne sont pas plus d'une dizaine en France à exercer. / Crédits : Tomas Statius
Militantisme
Commune chez les Yankees, la profession d’enquêteur spécialisé dans le pénal est plutôt confidentielle en France. Pas plus d’une dizaine exercent dans l’hexagone. « Les gens qui font appel à nous, c’est souvent à cause des séries américaines », s’amuse la jeune femme aux grands yeux bruns.
« C’est un métier très militant », confie finalement Sabrina :
« Aujourd’hui, quand la police a quelqu’un dans le collimateur, elle a plutôt tendance à le construire en tant que coupable. Nous, on travaille pour la révélation de la vérité. »
Et selon elle, c’est en partie aux enquêteurs privés de ramener l’équilibre dans le système judiciaire :
« Les avocats n’ont pas le droit d’enquêter et d’ailleurs, ils n’en ont même pas le temps. Nous, on peut le faire et prendre le risque de s’opposer au système. »