12/01/2016

Peugeot, Audi, BMW lui ont fait des gros chèques

Les voitures qui ont fait gagner des millions à Luc besson

Par Geoffrey Le Guilcher

Pour apparaître dans ses films, Peugeot, Audi et BMW ont lâché plusieurs millions d’euros à Luc Besson. Dans la biographie non autorisée, « Luc Besson, l’homme qui voulait être aimé », Geoffrey Le Guilcher révèle notamment les dessous de ces deals juteux.

A l’issue de deux ans d’enquête, Geoffrey Le Guilcher, journaliste indépendant et collaborateur régulier de StreetPress, livre la première biographie du producteur-réalisateur. De l’accident qui a bouleversé la vie du jeune Luc à l’introduction en bourse de sa société Europa Corp en passant par les coups de pouces de la « Sarkozy Connexion » et de Laurent Fabius, ce livre multiplie les révélations. StreetPress publie les extraits consacrés aux contrats passés entre Luc Besson et les marques de voitures.

Taxi lance la machine à cash

« Pour tourner le premier Taxi, Luc Besson a noué un partenariat avec Peugeot. Le deal côté Besson consistait à mettre en avant la voiture dans son film. Le deal côté Peugeot se matérialisait par un gros chèque (de 100.000 à 300.000 euros suivant les épisodes), la fourniture de quatre « Beauty cars », ou « véhicules de jeu » que conduit Samy Naceri, ainsi qu’une quinzaine de « mulets », des voitures sorties des chaînes de fabrication avec des défauts. Les mulets sont découpés pour les séquences en travelling ou explosés lors de scènes de carambolages, inévitables dans toute course poursuite « besssonienne ».

Avec 8 millions d’euros de budget et plus de 40 millions d’euros de recettes cumulées, Taxi a eu une rentabilité de 549 % ! Le cinéaste n’est pas le seul à en bénéficier. « Après la sortie du film, Luc s’aperçoit que les ventes de 406 ont bondi de près de 25 %. Il demande alors à Peugeot un delta [pourcentage] sur les bonus des ventes. Peugeot lui dit : “Non, non, non. Hors de question !” Luc demande alors aux directeurs de production de changer de marque de voiture, on en arrive à une quasi-crise », explique un ancien membre de la branche partenariat d’EuropaCorp :

« Les mecs de Peugeot finissent par céder pour figurer dans Taxi 2, ils augmentent leur chèque à 300 000 euros et fournissent une quinzaine de voitures. Mais ce n’était que le début, les deals ont véritablement explosé quand Audi est entré dans la boucle. »

De larges extraits sont à lire dans L’Express et GQ en kiosque cette semaine.

Luc Besson – L’homme qui voulait être aimé, Flammarion Enquête. Un livre de Geoffrey Le Guilcher, journaliste indépendant et collaborateur régulier de StreetPress. 19,90 euros, dans toutes les bonnes librairies et ici.

L’homme des placements de produits

Au moment où Besson et Le Pogam [co-fondateur d’EuropaCorp, ndlr.] propulse EuropaCorp à des sommets, d’après l’un de leurs employés de l’époque, ils s’appuient alors sur cinq « têtes ».

« Pour comprendre le succès de la major au départ, explique notre homme, il faut tenir compte de la synergie donnée par les cinq têtes qui font tampon entre les soixante-cinq employés puis Luc et Pierre-Ange [Le Pogam]. Il y a Frédéric Monroe à la distribution avec Philippe Kaempf, Emmanuel Montana et Grégoire Melin, sur les marchés internationaux et enfin Jérôme Lateur, en charge de la musique et de certains partenariats. »
Jérôme Lateur dirige l’entreprise Enzymes. Son entreprise est aujourd’hui mandatée par Audi pour gérer, au niveau mondial, ses partenariats publicitaires avec le cinéma. En 2015, il a notamment conclu le deal ayant débouché sur l’apparition de multiples modèles de la marque allemande dans le blockbuster de science-fiction Avengers : L’ère d’Ultron. Produit par Marvel avec un budget de 250 millions de dollars, ce film a généré 1,4 milliard de dollars de recettes mondiales.

Wasabi /

Avant de fréquenter assidûment la ligne Los Angeles-Paris, Jérôme Lateur a débuté chez Luc Besson en 2001. Il était en charge de la musique des films et des produits dérivés. Son ascension au sein de la major reflète la façon de fonctionner de Luc : laisser un peu de marge de manœuvre à des jeunes très motivés et observer le résultat. Pour son premier dossier, Jérôme est en charge du deal musique sur le film Wasabi, sorti en 2001. Il doit prévendre la musique du film à la major du disque Universal. Luc espère que son poulain va dealer autour de 60.000 euros.

En réalité, Jérôme Lateur survend le film comme la reformation, après des années de séparation, du trio gagnant « Luc Besson, Jean Reno et Éric Serra ». Le petit jeune revient de son rendez-vous avec Pascal Nègre, le patron d’Universal, avec la promesse d’un chèque de 950.000 euros ! Luc hallucine. Wasabi ne sera pas un succès et Universal garde en travers de la gorge les quelque 6.000 albums vendus…

Les dessous du deal avec Audi

La musique va mal, il faut chercher du placement de produits dans d’autres secteurs. Comme sur Taxi 3, où Jérôme Lateur ramène Nokia et fait gagner sur Skyrock des téléphones avec la sonnerie de la musique du film à télécharger. Grâce à ces deals fructueux, Jérôme intègre la garde rapprochée du patron. Le jour où il propose à Luc de rencontrer le directeur général d’Audi France réputé « fan de Luc Besson », le cinéaste acquiesce sourire aux lèvres. Début 2004, va se nouer ce qui restera l’un des plus importants partenariats de l’histoire d’EuropaCorp. Dans la salle de réunion du premier étage du « petit Élysée » [siège à l’époque de l’entreprise de Besson, ndlr], dans le 8e arrondissement, le patron d’Audi France et deux de ses assistants s’installent autour de la maquette du projet de la Cité du cinéma. L’un des employés d’Audi se souvient de cette réunion fondatrice.

« Nous avions une vingtaine de minutes de retard, Luc Besson, lui, est toujours à l’heure paraît-il. On s’assoit face à monsieur Besson et monsieur Lateur, il y a aussi Jean-Luc Bravi à nos côtés (coprésident du groupe publicitaire DDB Paris) en se demandant si cela va bien se passer. »

Luc Besson lâche d’emblée aux commerciaux :

« À titre personnel, j’ai une A8 W12 [la plus grosse berline Audi, elle développe 450 chevaux], et j’ai acheté un Q7 [4×4 Audi]. Je voulais une RS6 [la plus puissante des sportives Audi] mais elles sont tellement volées que je suis resté sur ma W12. »

Instantanément, le patron d’Audi France fond.

« Monsieur Besson, qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ?
— Je suis en train de tourner Taxi 3, si vous voulez je vous mets une Audi TT… »

Le publicitaire Jean-Luc Bravi le coupe.

« Pas Taxi monsieur Besson, cela ne colle pas avec l’image de notre marque.
— Je sais que ce n’est pas Taxi qui vous conviendrait, reprend le plus tranquillement du monde Luc. Mais il y a une séquence haut de gamme de 3 minutes devant un hôtel de luxe, si vous voulez je gare une Audi TT devant. Et c’est cadeau ! Par contre, dans les deux ou trois prochaines années, j’ai du super lourd pour vous.
— Qu’est ce que c’est ? demande le patron d’Audi toujours aussi fasciné.
— Ça s’appelle « Transporter », on vient d’exploser tous les records français [44 millions de dollars box-office monde] avec le premier opus. On est actuellement en deal avec BMW mais ils n’ont pas été très gentils avec nous, si vous voulez prendre leur place pour les suivants… »

Taxi /

1 million d’euro par an

Selon nos sources chez EuropaCorp, un premier deal de trois ans ferme se conclut dans la foulée. Audi fournit uniquement des « Beauty cars » car la marque allemande, faisant la chasse aux malfaçons, n’a pas de mulets. EuropaCorp se voit donner, chaque année sur trois ans, un chèque d’un million d’euros. En plus, Audi prête 15 à 20 voitures sur chaque tournage à rendre sans éraflure. Et 250.000 euros de voitures à garder. En échange, Luc s’engage à proposer un minimum de trois scénarios par an. Le pôle français de la marque allemande se réserve ensuite le droit d’accepter ou de refuser d’apparaître dans tel ou tel film. « Il y avait un boulevard à prendre », nous explique une ancienne collaboratrice de Besson qui travaillait sur les partenariats.

« En France, personne ne faisait de films permettant de conclure de tels deals. Et aux États-Unis, quand Audi voulait figurer 5 minutes dans un film, la marque devait débourser 12 millions de dollars… Là, dans Transporter 2, la voiture apparaît près de 40 minutes à l’écran, c’est carrément un personnage du film ! »

Un contrat qui mettra le pied à l’étrier à Jérôme Lateur :

« Quand les Allemands ont eu vent de ce deal super avantageux, ils ont tout simplement proposé à Jérôme Lateur de lui refiler en exclusivité leur stratégie mondiale pour le cinéma s’il montait sa boîte. Ce qu’il a fait.»

De l'Audi en veux-tu en voilà dans Le Transporteur Héritage et Hitman /

Depuis ce rendez-vous de 2004, Luc place des Audi partout : dans Le Transporteur 2 et 3, Taken 1, 2 et 3, mais également Hitman ou encore Go Fast. Dans Le Transporteur “Héritage” (2015), le quatrième opus de la série, pour jouer le héros, Ed Skrein remplace l’acteur Jason Statham dans le rôle de Frank Martin. Et l’Audi A8 W 12 du Transporteur 3, le même modèle que Luc possède dans sa vie privée, est remplacé par l’Audi S8 de 520 chevaux.

Quand l’acteur est interrogé par la presse, l’une des premières choses qu’il évoque c’est naturellement la voiture.

« On m’a demandé de conduire aussi vite que possible au volant de cette voiture sublime qui vaut quand même 175 000 dollars !, s’exclame Ed Skrein avant d’en remettre une couche […] L’Audi est équipée d’un ordina- teur de bord tellement intelligent qu’elle refuse de faire des dérapages ou quoi que ce soit qui n’est pas totalement sûr. Les cascadeurs ont dû retirer certaines pièces de l’Audi pour lui faire exécuter les acrobaties qu’ils avaient prévues. »

Tant que le partenariat durera, tous les héros bessoniens sèmeront les méchants à bord des grosses cylindrées allemandes. Le plus amusant dans tout ça, c’est que ce deal a été conçu à partir d’une campagne publicitaire du concurrent direct BMW.

Le Transporteur, un film inspiré d’une pub

En l’an 2000, rue Ampère, le téléphone sonne sur le bureau de Luc. Le cinéaste décroche. « Allô ! Hi Luc ! This is David Fincher ! » Le réalisateur américain (Alien en 1992, Fight Club en 1999) lui propose de participer à une grande campagne publicitaire mondiale qu’il produit pour BMW. Il s’agirait pour Luc de filmer un seul épisode de la série, comme le feront d’autres réalisateurs connus tels Ang Lee (Tigre et Dragon, 2000), Alejandro González Iñárritu (Birdman, 2014), Wong Kar-wai (In the Mood for Love, 2000) ou encore John Woo (Broken Arrow, 1996).

Intitulée The Hire, la série de courts-métrages a connu un tel succès sur le web que BMW décide par la suite de la distribuer en DVD. Dans ces pubs d’une dizaine de minutes, l’acteur Clive Owen pilote à chaque épisode un modèle différent de la marque allemande. Lors d’une course-poursuite systématique, il transporte tour à tour un enfant bouddhiste, un reporter de guerre ou Madonna en personne. Luc apprécie l’offre de David Fincher, mais la décline.

En revanche, il en conserve l’idée. Non seulement il en extrapole le scénario du Transporteur, mais il noue lui aussi un partenariat avec BMW. L’acteur principal sera Jason Statham dont le métier est de transporter des gens d’un point à un autre. Le chauffeur a des règles, pas de question et pas de retard. Avec sa BMW 735i équipée d’un moteur V8, il sème n’importe qui après de longues courses poursuites. Le premier opus aura un succès mitigé en Hexagone – seulement 500.000 entrées – mais il rapporte près de 44 millions de dollars au niveau mondial. Une franchise est née, comprendre une marque permettant de tourner des suites extrêmement rentables. Le Transporteur 2 (2005) et 3 (2008) ont rapporté à eux deux près de 200 millions de dollars. Le Transporteur Héritage, quatrième opus, est sorti en septembre 2015.

Ce film amorce la pompe pour les suivants. Une recette dont les ingrédients sont : un scénario minimal coécrit par Luc, une star, un jeune réalisateur pas cher, de l’action, le marché américain dans le viseur et un budget « modeste ». Évidemment, 21 millions de dollars du point de vue français c’est énorme, mais avec des lunettes américaines cela relève de la prouesse commerciale.

Les Guignols et Mozinor se moquent des voitures de Besson

Dans les années 2000, Les Guignols de l’info caricaturent Luc Besson en train de distribuer des scénarios dans un fastfood. De son côté, un certain « Mozinor », habitant de Montreuil et créateur anonyme de vidéos aux millions de vues sur le web, se penche sur le cas du cinéaste. En 2008, Mozinor poste une vidéo parodique intitulée « EuropaCorp, la méthode Besson ». On y voit, sur le plateau du Grand Journal, Michel Denisot et Luc Besson dont les voix sont doublées.

« Le Taxi, les putes, les Audi, ce sont des thèmes qui vous sont chers ? interroge la doublure de Denisot.
— Non pas particulièrement, rétorque la fausse voix de Luc. Y’a aussi les Yamakasis. Ouais, les jeunes ils aiment bien ça alors j’en mets un peu partout. […]
— Mais vous pouvez faire des combinaisons à l’infini !
— Exactement ! Dans Les Rivières pourpres [Le second volet est scénarisé par Luc Besson et produit par EuropaCorp] par exemple eh ben c’est Léon qui pète la gueule à des Yamakasis, dans Nikita, il protège une pute qui est devenue agent secret et dans Wasabi il protège une Chinoise.
— Je crois que c’est vous qui faites les scénarios ?
— Bah j’me sers d’un ordinateur.
— Ah ouais ?
— C’est un générateur de scénarios aléatoires. Ça vient des States. »


Vidéo – Mozinor vs Besson

Une sorte de machine à sous apparaît alors avec des cases « un Chinois », « un Yamakasi », « un Taxi », puis « protège » ou « pète la gueule », puis « un flic », « un Yamakasi » ou « une pute », et enfin « en banlieue » ou « en Audi »… Luc réfute jusqu’au terme de « film commercial ». Pour lui, il y a des films, c’est tout. Il n’a pas renoncé à son statut d’artiste, de créateur. Si les journalistes le poursuivent avec cette histoire de film commercial c’est parce qu’ils lui en veulent d’avoir autant de succès. Point.

Besson, « cinéaste-auteur »

En juillet 2014, fidèle à lui-même, Luc précise même sa théorie sur le sujet au journaliste Benoît Duquesne, sur le plateau du magazine Complément d’enquête de France 2.

« Je ne sais pas ce que ça veut dire “un film commercial”, s’agace Luc. Parce que, à ma connaissance, quand on va dans un cinéma, même un film intellectuel dans une salle de bains, ça coûte le même prix. Ça coûte douze euros. Maintenant quelqu’un qui dépense 200 millions pour faire un film et vous payez 12 euros et un metteur en scène qui va dépenser 200.000 euros et vous allez payer 12 euros, je pose juste la question : quel est l’escroc ?
— Bah ça va dépendre du film, rétorque sceptique Benoît Duquesne.
— Ça va dépendre du film, on est bien d’accord, donc le commerce n’a rien à voir.
— D’accord, mais il n’y a pas parfois la volonté d’aller chercher des recettes un peu faciles, des scénarios un peu… ?
— S’il y avait des recettes faciles, le coupe Besson, on serait tous riches ! Donc si vous avez des recettes, donnez-les-moi, parce que moi j’en ai pas. Je connais pas… »

Luc se trouve coincé entre sa personne idéalisée, « le cinéaste-auteur », et la personne réelle qu’il est devenu, « le producteur de films en série ». Mis à part la recette caricaturale « flingue + taxi + méchants + Chinois », Luc maîtrise mieux que quiconque la façon de faire de l’argent avec un film. Outre-Atlantique, il est même respecté pour ça. »

Luc Besson – L’homme qui voulait être aimé, Flammarion Enquête. Un livre de Geoffrey Le Guilcher, 19,90 euros, dans toutes les bonnes librairies et ici. %

Les intertitres et certaines précisions entre crochets ont été ajouté par la rédaction de Streetpress.