Gasface, c’est le blaze de 2 Lyonnais qui depuis 10 piges documentent la culture Hip-Hop. Sur leur CV : un mag culte, plusieurs webdocs et des dizaines d’interviews. Pour StreetPress ils ouvrent la boîte à souvenirs.
Lyon (69), quartier de la Croix Rousse – On retrouve Nicolas Venancio et Mathieu Rochet aka Groswift dans un bar du premier arrondissement. En 2006 les deux compères fondent Gasface. Ce blaze sera leur signature mais aussi le nom d’un mag hiphop devenu mythique.
En 6 numéros, le magazine dessine une autre vision de la culture urbaine. On y croise Booba, Isaac Hayes ou encore le romancier George Pelecanos. Leur dernière Une mettra fin à l’aventure. En couv’, une question pourtant essentielle :
« Faut-il avoir peur de ces enculés de blancs ? »
En 6 numéros, le magazine dessine une autre vision de la culture urbaine. / Crédits : Gasface
Depuis cette mort, le duo a rebondi et enchaîne les webdocs où se rencontrent New York, l’Enfer de Dante et le compositeur de la comédie musicale Hair. Pour StreetPress, ils reviennent sur 10 piges de carrière. De leurs débuts sur une radio militante aux interviews des plus grandes stars du rap US.
(qitw) Vous vous rencontrez à Radio Canut, la radio la moins écoutée de France ?
Nico : C’est dégueulasse de dire ça. C’était la moins écoutée, mais sur notre tranche, on battait des records. Parfois, on arrivait à 4-5 auditeurs et on s’est fait virer parce qu’on était trop bordélique.
Groswift : On organisait des battles de clodo.
N : C’était comme le truc qu’ils font aujourd’hui, les Raps Contenders avec les petits jeunes qui ont des snapbacks, nous on faisait pareil avec des clodos à la radio. On a aussi fait des concerts à cette époque, des mixtapes. On a fait venir à Lyon des artistes qui n’était jamais venu comme Dilated Peoples, j’ai fait le premier concert de rap de la fac de Lyon II avec MC Jean Gab’1.
Gasface in da place
(qitw) A cette époque, comment vous vous débrouilliez pour aborder les artistes ?
(repitw) G : On mentait beaucoup, on disait : « On a parlé à Danny, on a parlé à Johnny, Andy », des noms de managers. On prétendait qu’on venait de leur part. Les gars nous disait : « Ah je suis embêté, je n’ai pas de traces, mais venez ». Ca marchait surtout quand on allait en Suisse, le pays où officiellement le mensonge n’existe pas.
(qitw) Vous auriez aussi traqué Isaac Hayes ?
(repitw) G : C’est vrai, il était en concert à Lyon, on a guetté le moment où il allait partir, et on a fait une course poursuite dans les hauteurs de Lyon pour arriver juste avant lui à l’hôtel. En arrivant on s’est fait passer pour les mecs qui amenaient les sandwichs, ils nous ont ouvert mais on n’avait pas de sandwichs. Il nous a dit que ce n’était pas grave et il a accepté l’interview. On s’est posé, et on est resté un bon petit moment avec lui.
Comment se sont passés les débuts dans l’univers de la presse ?
N : On a tout appris sur le tas. C’est comme un mec qui fait du cinéma au début avec ses potes et la caméra de ses parents. Il n’y a pas vraiment de méthode. On a du apprendre comment marchait l’imprimerie, quel papier on voulait et quel format.
G : Le tout premier magazine, le gars il nous fait : « mais il y a 57 pages ! ». On lui répond : « ok, imprime les 57 pages ». On ne savait même pas qu’il fallait un nombre de pages pairs, on n’avait jamais envisagé la production.
N : On sortait un magazine mais c’était dans l’optique d’en faire un objet à part entière. Ça sortait, mais peux être qu’il n’y en aurait plus après. C’était à chaque fois conçu comme un one shot. On s’est jamais dit : « on va les relier, ce sera la Pléiade du Rap. »
(qitw) Le dernier numéro sort à l’octobre 2008. La couv’ déclenche un mini polémique. Vous prenez ça comment ?
(repitw) N : L’histoire ce n’est pas la taille de la polémique, c’est qu’on vendait un produit qui était devenu interdit à la consommation. [le dernier numéro de Gasface avec son titre : Faut-il avoir peur de ces enculés de blancs ? est boycotté par le syndicat national des kiosques qui refusent de vendre le journal, ndlr] Et vu que de toute façon, on avait eu des plans juste avant pour bosser avec Arte, on s’est dit que c’était magnifique ce qui nous arrivait. Il ne pouvait pas y avoir plus beau, c’était juste le pinacle, autant terminer là-dessus. Ça avait une dimension artistique inespérée.
« On sortait un magazine mais c’était dans l’optique d’en faire un objet à part entière » / Crédits : Archive Gasface
(qitw) Vous passez ensuite à votre premier projet vidéo, New York Minute. Comment vous vous familiarisez avec ce nouveau format ?
G : Le truc c’est qu’on savait déjà raconter des histoires. Sur le papier, tu vas parler d’un endroit ou décrire un gars en deux traits. Ici, la caméra, c’est ton stylo. C’était les débuts du webdocumentaire, et vu que personne ne savait encore trop ce que c’était, on était comme tout le monde : en déficit d’expérience. On est parti là-dessus et je ne pense pas que ce serait arrivé si ça avait été pour la télé, où il aurait fallu donner tel CV ou tel crédit professionnel.
N : Il fallait une idée de webdoc, nous on leur avait proposé de filmer la série et en même temps de faire une carte interactive de New York. On était nouveau sur ce format là, mais on savait que quoi qu’il arrive, on allait rapporter quelque chose de vrai, de véritable.
(qitw) Pour New York Minute, vous avez confié la photographie à Al Roberts, co-réalisateur du clip « Mac 10 Handle », de Prodigy ? [ Prodigy est l’un des deux membres de Mobb Depp, ndlr]
N : Il a fait le clip de Prodigy quand il était à la fac, on lui a montré que son film de fin d’étude avait été retenu comme un des meilleurs clips des années 2000. Il ne le savait pas. C’est un mec qui s’est retrouvé dans ce milieu par hasard, à tourner tous les clips de 50 Cent. Et pour raconter une anecdote sur lui, il a piqué la console de jeux de Tony Yayo. Du coup Tony a appelé la mère de Al sur le fixe et a menacé de lui briser les jambes pour récupérer sa console.
G : Dans cette histoire avec Tony Yayo, Al s’était plaint du genre : « Ouais Tony il a un peu gueulé, c’est pas cool », et je crois qu’à la fin 50 Cent a balancé une grosse tarte dans la gueule de Tony, pour mettre fin à l’histoire.
(qitw) On aperçoit aussi Raekwon dans les bonus de New York Minute. Comment ça s’est passé ?
N : Il tournait un clip avec Capone-N-Noreaga. On les a rencardé dans le Queens puis on s’est retrouvé à Long Island, où ils filmaient. Ils devaient tourner une scène de baron de la drogue dans une baraque qu’ils avaient loué. Il y avait des groupies sur le tournage qui les suçaient un par un, pendant les pauses. Une fois c’était Capone, après c’était Raekwon, puis Noreaga. Ça nous permettait de recharger les batteries et eux de les vider.
G : Ça se passait à Jamaica, dans un grand terrain vague, avec des herbes folles. Le frère de Raekwon nous fait : « On va aller a Long Island. » Ils roulaient avec les warnings, à 160km/h sur l’autoroute.
N : C’était génial de rouler comme ça. C’est pour ces moments qu’on fait ça en fait, pour pouvoir rouler avec Raekwon ! C’était cool de se retrouver sur le tournage d’un clip, de voir comment ça se passait.
(qitw) Vous rencontrez aussi Prodigy ?
N : Ça, c’était la première vidéo qu’on a faite, la dernière séance de studio de Prodigy avant qu’il parte en prison.
G : Il donnait tout, il était en feu à cette époque-là. Sur cette session-là, il y avait 40 Glocc, le mec qui s’est fait frapper par The Game, et qui était super con. Il y avait un petit blanc californien qui s’occupait d’un label et 40 Glocc n’arrêtait pas de le faire chier parce que c’était le mec le plus faible de la pièce. Je me suis dit : « Il est vraiment con ce mec, il faut que je retienne son nom parce que je ne le reverrais pas. » Et la fois où je l’ai revu, c’était sur une vidéo ou il était en train de se faire taper par The Game dans un buisson, en demandant pardon.
Gasface squatte un shop de baskets
(qitw) Dans Lookin4Galt vous partez à la recherche de Galt MacDermot, le compositeur de la comédie musicale « Hair ». Comment vous vient l’idée du projet ?
G : En fait, ça faisait des années qu’on aimait bien Galt MacDermot, et son œuvre élargi, celle qui le samplait. Du coup on a rencontré son batteur Bernard Purdie, et on a fait un mini docu sur lui. La vidéo tourne, il y a une meuf qui like et qui s’appelle aussi MacDermot. On discute un peu, elle nous dit qu’elle est sa belle-fille et qu’on est convié au Carnegie Hall pour son concert annuel. Et on s’est dit à ce moment-là, qu’on allait pousser le projet.
N : L’idée en fait, c’était de faire une mise en scène du sample. On est allé à la recherche de producteurs qui te disent comment ils ont trouvé tout ça. Un des trucs qu’on a toujours préféré dans le rap, c’était quand tu poses le vinyle, de regarder les crédits. Tu apprends qu’ils ont samplé tels artistes. Après tu connais le vrai morceau, et tu te mets à découvrir plein d’autres choses. MacDermot ça nous a accroché parce que c’était le sample de « Woo Hah ! » de Busta Rythmes. Un son complétement dingue.
(qitw) Le film se termine sur votre entrée dans la maison de MacDermot. Du coup vous avez toujours son interview dans vos cartons ?
(repitw) N : On trouvait que le plus bel hommage qu’on pouvait lui faire c’était de rester sur cette logique de sample. A la fin du film, si toi tu as l’envie d’aller chercher plus loin, ça veut dire que c’est exactement le sentiment qu’on avait nous quand on avait un disque et qu’on voulait trouver le sample. Et puis c’était mis en scène comme un jeu de piste. Pour la première fois on te disait qui on était : deux français qui partent à la recherche d’un compositeur.
C’est touchant de voir comment son héritage est éparpillé, c’est Prince Paul qui le dit à un moment : « Si ta musique demeure c’est le plus important. »
(repitw) N : Et c’est pour ça qu’on ne voulait pas faire quelque chose de cliché. C’est ce que dit Prince Paul, on n’allume pas des bougies pour rendre hommage à Galt Mc Dermot, on n’en a rien à foutre, mais on aime son œuvre, et tant qu’elle est là, ça veut dire qu’il vit. Le jour où il va décéder, tout le monde va mettre son RIP, mais quelque part, c’est une connerie, parce qu’il est déjà immortel.
(qitw) C’est quoi ce passage dans Lookin4Galt où vous filmez des mecs qui descendent d’un escalier en gueulant Baisodrome ?
N : On est allé filmer dans un quartier de Staten Island où il y a beaucoup d’enfants soldats dans le quartier dont est originaire le Wu-Tang. On trainait par la bas et on a trouvé Inspectah Deck qui était avec ce groupe d’enfant du Sierra Leone qui rappaient.
G : Baisodrome c’est le seul mot qu’ils connaissaient et en repartant, on s’est dit que c’était trop marrant leur truc. Du coup on est remonté et on leur a dit : « Alors les gars, baisodrome, baisodrome ? » Et là, ils sont devenus fous.
N : La caméra était là, ils étaient chauds, et ils ont déliré dessus. Et ces mecs là, ce sont les mêmes qui ont organisé le comité de soutien à Eric Garner, parce que c’était un de leur pote et qu’il venait aussi de Staten Island. Tout est relié.
(qitw) Hell Train est votre dernier sujet. Il est beaucoup plus libre, tant au niveau du fond que de la forme. Comment s’est-il construit ?
N : Notre propos avec ce projet, c’était de traiter de l’Enfer. C’est pour ça qu’on a repris la trame de Dante, qui visite des cercles de l’Enfer. Par ce biais, on voulait évoquer des aspects infernaux de la culture qu’on connaissait et qu’on documente depuis longtemps. C’est comme ça qu’on a choisi de prendre tous ces personnages là, un dealer, un boxeur, un graffeur et de faire ce voyage là avec eux pour raconter l’enfer.
Hell Train, c’est aussi une autre manière de filmer New York qui devient plus froide, plus glacée.
N : C’est une ville cinégénique, où il y a la ferveur et le mal, une salle pour prier et a coté une épicerie pour te défoncer. La dimension mystique est présente partout. Tu n’as pas besoin de filmer des moines perdus dans le fin fond de l’Algérie et faire le film le moins mystique de tout les temps. Tu regardes « Sous le Soleil de Satan » de Pialat, ça c’est un film mystique. Tu peux filmer de la religion et ne jamais être mystique. Même « Mean Streets » de Scorsese c’est plus religieux que « Des Hommes et Des Dieux. »
De quoi parlera votre prochain projet ?
N : C’est une fresque pop sur le premier français qui a revêtu un maillot NBA. On te ramène en 84, au moment où Jordan, Nike, David Stern qui va être le patron de la NBA arrivent. En 84, le monde va changer et il y a un français surnommé Dub qui va se retrouver dans cette aventure biblique qu’on te raconte. Il est passé à peu de chose de la renommée mondiale. On vit dans l’époque du buzz et on te parle de l’histoire d’un mec qui n’a jamais buzzé. On le tourne en France et aux Etats-Unis, on verra à qui on le vendra.
Merci à Shoez Gallery pour nous avoir laissé sa remise et ses boites de baskets le temps du shooting.