Il y a 32 ans, dans la banlieue lyonnaise naissait la « marche des Beurs ». Ce 17 octobre, Arbi Rezgui, l’un des marcheurs de l’époque, a repris la route, toujours pour dénoncer le racisme, l'exclusion, et la précarité.
Vénissieux (69), le 15 octobre – « Ho Arbi ! Ca va ? T’es avec qui là ? France TV ? » Le petit manège intrigue dans le quartier. Depuis quelque temps, Arbi Rezgui reçoit les journalistes à la terrasse d’un café, au pied des tours du quartier des Minguettes. C’est d’ici que le lendemain de notre rendez-vous, il est partit pour la Marche pour l’égalité version 2015. Et c’est ici qu’il y a 32 ans naissait la « marche des Beurs » de 1983.
Arbi avait 19 piges quand il a rejoint le mouvement. Aujourd’hui, il en a 52, et il reprend la route pour les mêmes raisons qu’à l’époque : dénoncer le racisme, l’exclusion, et la précarité. Le cortège doit arriver à Paris, sur la place de la Bastille, le samedi 31 octobre.
La marche de 1983
« La marche », c’est un peu l’histoire de sa vie. Fils d’immigré, il grandit dans un quartier populaire de la banlieue lyonnaise. Au début des années 80, la police cogne dur, les boîtes de nuit ne veulent pas de lui, il se sent citoyen de seconde zone :
« J’avais beaucoup de rage. Les flics avaient presque le droit de nous tirer dessus. Je pensais que la France entière était raciste. »
Alors quand un groupe de jeunes des Minguettes décide de traverser le pays à pied pour dénoncer le racisme et demander l’égalité, Arbi s’en mèle. Quand le cortège passe par Lyon, il rejoint l’aventure.
« A ce moment, j’ai découvert que la France n’était pas raciste en passant dans les villages. Les gens venaient vers nous, ils nous apportaient des chaussures, nous accueillaient chez eux, marchaient un peu à nos côtés. »
Arbi Rezgui chez lui à Vénissieux / Crédits : alban elkaïm
La récup’
Le 3 décembre 1983, 100.000 personnes se réunissent à Paris, étape finale de ce pèlerinage laïque, pour accueillir la quarantaine de « marcheurs permanents » dont Arbi fait partie. Une foule euphorique défile de Bastille à Montparnasse en scandant :
« Français, immigrés, solidarité ! »
Une délégation de marcheurs sera même reçue à l’Élysée, par François Mitterrand.
« C’était très fort. On croyait que tout allait changer après ça. On était crédule, ignorant peut-être », rembobine le quinquagénaire. Mais le bouleversement tant attendu ne viendra pas. L’association Sos – Avenir Minguettes est mangée par Sos – Racisme. Pour Arbi, c’est à ce moment que le rideau tombe :
« C’était une marche pour les jeunes des quartiers populaires. Ils ont été oubliés pendant trente ans. Rien n’a changé depuis. C’est peut-être même pire. »
Le jour d’après
Plus de trente ans après,l’ex-marcheur reprend la route « pour remettre les pendules à l’heure ».Toujours indigné mais pas amer pour un sous, Arbi n’a jamais cessé de prêcher pour le « vivre ensemble », la tolérance, et d’exhorter les jeunes à agir « sans violence ». C’est essentiel à ses yeux, il le répète à l’envie. Et sa page Facebook reprend volontiers les slogans de Martin Luther King.
Au début des années 1990, l’ancien pèlerin s’installe aux Minguettes. Engagé dans le milieu associatif, il s’occupe des jeunes en difficultés :
« Je leur parle de la marche, tout le temps. Je les ai peut-être saoulé avec ça. Mais pour moi, l’important est de montrer qu’il faut rester positif. Qu’il y a toujours moyen de faire bouger les choses. »
Il se heurte pourtant à des murs de pessimisme. « Ça sert à rien. Vous avez marché, il y a trente ans. Qu’est-ce que ça a changé ? », répondent parfois les jeunes. « Je ne crois pas que ça fonctionnera. Arbi, il rêve », glisse cet autre habitant du quartier, à propos de l’événement à venir. Mais l’intéressé y croit dur comme fer.
« Au fond, je suis toujours resté un marcheur. J’ai toujours gardé cet espoir en moi, quoi qu’il arrive. Au moins, j’ai essayé de faire quelque chose. »
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