17/07/2015

Cette année, ils étaient 135 participants pour 2.250 litres de bière

La grande beuverie des 24 heures de la bille

Par Thibaud Delavigne ,
Par Yann Castanier

A Bayonne, ils ont les taureaux et la féria, à Courbeveille, ils ont la bille et la bière. Depuis 27 ans, ce petit village de Mayenne devient, le temps d’un week-end, la capitale mondiale de ce jeu d’une autre époque. Voyage en terre inconnue.

Jean-Pierre Janvier lève les poings. Sous son chapeau imitation peau de vache, le regard est fier. D’une pichenette nerveuse, JP vient d’envoyer sa bille en terre cuite plus loin que celle de ses poursuivants et prend la tête de la course d’endurance des 24h de la bille. Le vainqueur de la manche pose pour le photographe quand survient le drame. JP trébuche et se retrouve les 4 fers en l’air. Il reste 17 heures de course quand il est évacué sous le regard amusé de la centaine de spectateurs. La sono crache un mauvais David Guetta, les manèges installés sur le parking de la place des fêtes se remplissent et l’odeur des galettes-saucisse flotte sur le circuit.

Le cadre est parfait pour la 27e édition des 24 heures de la bille de Courbeveille.

Sur la ligne d'arrivée / Crédits : Yann Castanier chez hanslucas.com


Jean-Pierre Janvier, "pilote" aguerri / Crédits : Yann Castanier chez hanslucas.com

Les 24 heures du Mans, version billes

La course bat son plein autour du circuit, une boucle de sable de 70 mètres posée à hauteur d’homme et truffée d’obstacles. Le speaker, short et débardeur blanc, commente chaque action des 45 équipes de 3 joueurs présentes au départ. Et comme aux 24h du Mans, la célèbre course d’endurance de voiture, chaque participant appelé pour l’occasion « pilote », doit jouer au moins 7 heures. Ainsi, les pilotes tapent chacun leur tour dans une bille en terre cuite, le même modèle pour tous, et marquent leur position avec un modèle réduit de bagnole. Pour le reste, le principe est celui d’une compétition classique. Il s’agit de faire parcourir à sa bille plus de chemin que les autres.

La course est divisée en 9 manches de 2 heures et 1 manche de 3 heures. A chaque manche le 1er gagne 45 points, le 2nd 44 et ainsi de suite. Au terme des 10 manches, l’équipe avec le plus gros score remporte la course. Mais sous une apparente facilité, la bille, c’est hyper technique. « Faut choper le coup de pouce, en plus le circuit est roulant cette année », détaille Jean, quinqua aux doigts de bûcheron. Il faut maîtriser sa force pour éviter la sortie de route, imprimer la bonne trajectoire dans les virages et négocier en finesse les obstacles du circuit. La méthode de Jean, c’est d’utiliser l’index comme viseur et le plat de l’ongle pour projeter la bille. Il y a aussi des mouvements indispensables dans l’arsenal du pilote, comme le lob. Là, en plus de l’ongle solide, il faut avoir le poignet ferme pour imprimer ce petit mouvement en cloche qui enverra le projectile au-dessus des autres concurrents et qui permettra de passer les difficultés du circuit.

24 heures du Mans ou de la bille ? / Crédits : Yann Castanier chez hanslucas.com


Une tradition en Mayenne / Crédits : Yann Castanier chez hanslucas.com

Courbeveille, capitale mondiale de la bille

135 participants et 80 sponsors alignés, 2015 est un record. L’événement est un vrai succès local. Patrice Lefèvre, président du comité des fêtes de Courbeveille qui organise le tournoi, nous assure que pour participer, il faut s’inscrire dès le début de l’année. « 45 équipes c’est le maximum, si on en prend plus, on perd l’état d’esprit de la course », explique-t-il.

La passion de Courbeveille pour la bille commence au bar, comme souvent dans les bonnes histoires. En 1988, quelques potes aidés par quelques verres ont une idée folle. Le Mans, métropole locale, a les 24 heures de la voiture, Courbeveille aura les 24 heures de la bille. Mêmes règles – 3 pilotes par équipe et obligation d’avoir un sponsor financier – mais sans le bling-bling des sports mécaniques. Les strass et les paillettes ce n’est pas pour Courbeveille, exception faite des déguisements chatoyants arborés par certaines équipes. On peut croiser Tintin, des bigoudènes et même un Polnareff aussi fatigué que le vrai. Les 600 habitants de ce joli petit village aux allures de carte postale l’assurent, les 24 heures c’est une fête. « Ici, tout le monde se connaît », se félicite Thierry, un grand type sympathique, ouvrier dans une scierie du coin. Il n’y a qu’à regarder la composition des équipes pour s’en rendre compte. La plupart sont composées de frangins et de neveux, de maris et de femmes, d’oncles ou de petites-filles. Mais attention ! « On se marre bien OK, mais y’a la compète aussi… faut la gagner la course », ajoute Thierry.

La bille n’est pas une discipline évidente comme le montre l’écart technique important entre les participants. Dans la 3e manche, une pente de bois hyper raide bloque le peloton alors que les leaders s’envolent vers la victoire. Les joueurs s’énervent et charrient ceux qui sont en tête. « Les mecs devant ils ne sont pas drôles, parce qu’en fait moins tu bois, plus tu gagnes », râle Antoine, 20 ans, déguisement de pompier et grosse lance à incendie cousue sur la braguette…

Jean-Paul Rouve ? / Crédits : Yann Castanier chez hanslucas.com


C'est la fête au village / Crédits : Yann Castanier chez hanslucas.com

Prizpool : un banc de jardin en plastique

Patrice Lefèvre, le boss du comité des fêtes, tout sourire, ne cherche pas à nier l’évidence : « c’est vrai que ça picole pas mal ». 45 fûts, pour un total de 2.250 litres de bière, ont été consommés dans le weekend. Soit près de 3,5 litres par habitants du village, nourrissons compris. Le gérant d’un bar de Cossé Le Vivien, bled à 5 kilomètre, ironise : « Aux 24 heures de la Bille… c’est un peu des soulards. » Soulards ou bons vivants, tout est question de point de vue. A 21h30, la course est arrêtée, c’est l’heure du repas. La place des fêtes s’est remplie et maintenant, les auto-tamponneuses et la pêche aux canards tournent à fond. Nous recroisons Thierry à la buvette. Visiblement, la plupart des 135 pilotes y sont accoudés. Passé la surprise de voir débarquer des journalistes, ils semblent vouloir nous offrir plus de verres que ce que peuvent contenir nos estomacs. Nous décidons alors de manger un morceau. Le menu proposé : jambon, jambonneau, saucisse. Amis des légumes, passez votre chemin. 23 heures, la nuit est suffisamment tombée pour le feu d’artifice, tiré depuis le fond du stade de foot, au-dessus des maisons et de la foule. 15 minutes de délire. C’est une expérience à vivre que d’avoir des fusées multicolores qui vous explosent pile au-dessus de la tête et qui retombent autour de vous, en nuages de poudre. Patrice Lefèvre ne sait pas si le feu d’artifice répond à toutes les normes, par contre, il explique que le comité des fêtes embauche des maîtres-chiens.

« En général, ça se passe bien mais il y a 10 ans, des skins du coin ont débarqués. Les gars étaient armés avec des barres de fer, des chaînes, y’a eu un blessé qu’a fini à l’hôpital. »

Mais pour cette 27e édition, pas de descente de skins. Au milieu de la nuit, la course reprend. « Putain, je suis fumé, c’est grave », confie un pilote de l’écurie « Boucherie D’avesnières » avant de jouer son premier coup. Il loupera la bille et finira en sortie de piste. Il reste 14h de course.

Les premiers carreaux de la fête de bille / Crédits : Yann Castanier chez hanslucas.com


Impossible is nothing / Crédits : Yann Castanier chez hanslucas.com

Bastien, le speaker, assure le show une dernière fois. Après 24 heures à commenter la course, il marque le coup. Le débit est moins assuré, la voix fatiguée. D’ailleurs, pour la remise des prix, la plupart des pilotes sont passés à l’eau et semblent sur le point de s’endormir sur place. Chacun vient chercher son lot car tout le monde gagne un petit quelque chose. De la lampe frontale à la glacière. Pour la 4e année consécutive, c’est l’équipe des frères Janvier qui a remporté la course. Les favoris ont honoré leur statut et repartent avec un banc de jardin en plastique. Pour la gloire et la bille.