Aurel vient de décrocher un CDD comme technicien d’entretien à la RATP. Mais pendant 2 ans, avec sa femme et ses 3 enfants, il a campé place de la République devant Go Sport. Vous l’avez forcément croisé, StreetPress vous raconte son histoire.
26 janvier 2010. Ca commence sur un petit air de carte postale. Pour leur dixième anniversaire de mariage, Aurel et Luminita*, 32 ans tous les deux, débarquent à Paris, avec leurs trois enfants, Elena, Mihai et Victor :
« Je ne connaissais personne à Paris. On débarque aux pieds de la Tour Eiffel, mais sans argent et avec la barrière de la langue, c’est bien compliqué. »
Quatre mois plus tard, la petite famille repart pour la campagne roumaine. Une fois sur place, de retour dans le sud du pays, Aurel « se rend compte qu’en France, c’est mieux, malgré tout… » Retour à Paname.
Répu.
Aurel, tenue sportive décontractée et large sourire, rembobine :
« Quand on est revenus en France, on a passé l’été sur un Platz [un campement] à Juvisy (91) puis plusieurs mois dans un hôtel social près de Roissy. »
Puis à partir d’avril 2012, la famille est une des premières à s’installer sur la place de la République, à Paris. Luminita, robe noire et longs cheveux en chignon, raconte comment ils sont arrivés à Répu :
« C’est un de mes neveux qui m’a proposé de venir à République, on n’était que trois familles au début. »
Les deux années suivantes, Aurel et Luminita les passeront à camper devant le Go Sport. Hormis quelques semaines passées dans des hôtels sociaux après un coup de fil au 115, Luminita raconte son quotidien, de 2012 à 2014 :
« J’avais pris mes habitudes dans le coin – faire la lessive dans une laverie du quartier, cuisiner dans la rue, aller aux bains-douches. Tous les commerçants sur la place nous connaissaient et on s’était même fait des amis ! »
La police accuse Elena, 15 ans, d'avoir volé un portable / Crédits : Clément Quintard
Là, Aurel et Luminita mendient avec leurs enfants. Quelques euros de récoltés chaque jour, mais ce qui les aide sont les dons de nourriture et de vêtements. L’endroit au cœur de Paris attire rapidement plus de familles sans domicile et l’ambiance se tend. Tous les jeudis matins, la police passe ramasser les affaires sur les trottoirs : matelas, couvertures, vêtements et jouets des enfants Roms. Un jour, Elena, 15 ans, la fille aînée d’Aurel, se fait contrôler et les flics l’accusent d’avoir volé un portable : « Tu l’as chipé où celui-ci, à Montreuil ou à Barbès ? »
Paris way of life et petits boulots
A force de vivre sur les trottoirs à République, la famille d’Aurel apprend petit à petit le français et fait la connaissance des gens du quartier :
« Les gens s’arrêtaient pour nous demander si on avait de quoi manger, d’autres nous insultaient ou nous crachaient dessus. Pendant la nuit, certains demandaient si ma fille ne voulait pas se prostituer. »
Avec les Roumains, c’est à double tranchant : le chef cuistot du Café du Temple approche la petite famille et devient rapidement un des meilleurs amis d’Aurel. Mais d’autres compatriotes [non-Roms] ne se privent pas d’insultes :
« Ils nous disaient : “Vous faites honte à notre pays” ! Mais ces gens ont oublié d’où ils sont partis et surtout ils ne connaissent pas mon histoire et se permettent de me juger. »
Aurel décroche ses premiers petits boulots au black, d’abord pour des artisans roumains. Il n’en a pas gardé de bons souvenirs :
« Pour eux, j’étais “le gitan” et ils disaient qu’il n’y a que nous, les Roms, qui pouvions faire le travail physique. J’étais content d’avoir un job, mais c’était toujours compliqué quand il fallait qu’ils me paient… »
Puis, courant 2013, des entrepreneurs israéliens sympathisent avec Mihai (aujourd’hui 14 ans) sur la place, et finissent par lui demander où est son père :
« Il est assis, là, en train de mendier. »
Les entrepreneurs proposent à Aurel de bosser pour eux comme chauffeur. Et voilà le jeune brun qui transporte des chargements de gadgets électroniques et de téléphones portables. Depuis, ils ont gardé contact.
Un vrai CDD pour Aurel
En janvier 2014, le marché du travail français s’ouvre aux Roumains et aux Bulgares. Ana, une bénévole de Share, une asso du quartier de République, coache alors Aurel pour une opération recherche d’emploi acharnée : il crée son compte sur Pôle Emploi, ouvre une boîte mail et se met à appeler les entreprises de transport et de livraison. Il dépose son CV dans les supermarchés et décide même de participer à un Forum pour l’emploi, en espérant que « ça va donner quelque chose et qu’on va m’appeler… »
Aurel crée son compte sur Pôle Emploi, ouvre une boîte mail et démarche les entreprises. / Crédits : Clément Quintard
Fin 2014, Aurel décroche une courte mission en tant que chauffeur dans la distribution de journaux. D’un coup, il rentre dans un nouveau monde : Avec l’aide d’Ana, il apprend par coeur les formules de politesse. Ana se souvient :
« Pour les coups de fil et les entretiens, je lui ai appris à ne jamais dire “je suis à la rue”, de ne pas laisser comprendre qu’il demandait la charité. Les mails reçus de Pôle Emploi lui faisaient peur au début, il n’avait pas l’habitude avec ce langage administratif, qui ne dit pas les choses clairement. »
Aujourd’hui, Aurel est employé à la RATP en tant que technicien d’entretien. Un boulot qu’il décroche grâce au bouche à oreille :
« Un ami portugais qui passait souvent à République m’a parlé de cette opportunité. Je suis allé voir le chef d’équipe tous les jours pendant deux semaines, avant qu’il m’annonce que j’étais pris. »
Ana, la bénévole se souvient :
« Aurel n’arrivait pas à croire que c’était un vrai travail déclaré. J’ai essayé de lui trouver un costume, car il se faisait des soucis pour sa tenue. On a fini dans une friperie, où il s’est acheté des vêtements de ville. »
Depuis, le CDD de 3 mois d’Aurel a déjà été renouvelé 2 fois. En charge de transporter le personnel et les produits de nettoyage des trains sur la ligne 8, il se dit maintenant sûr de lui et pense avoir trouvé sa place. Il raconte, non sans fierté, avoir surmonté rapidement sa plus grande crainte – écrire en français :
« Pour remplir la feuille de présence, j’ai regardé ce que la personne avant moi avait écrit. En Roumanie, j’ai étudié le français pendant trois ans, tout ce dont je me souvenais c’était “je suis, tu es…” »
Parmi les 300 employés du service, Aurel est le seul Roumain :
« Même s’ils me côtoient tous les jours au boulot, leur image des Roumains est toujours la même – celle de voleurs ou mendiants. »
A l’école, « tiens 5 euros pour ta mère. »
Depuis septembre dernier, Elena, 15 ans, et Mihai, 14 ans, sont inscrits au collège à Goncourt, et Victor (7 ans) en primaire à Voltaire. Léo Larbi, bénévole de l’asso École dans la rue, se rappelle de leurs parcours du combattant :
« A la Mairie du 11e, on nous a dit que la scolarisation n’était pas du tout possible, parce que les parents n’étaient ni domiciliés, ni hébergés. Au rectorat de Paris, une notice indiquait même qu’il fallait apporter deux attestations d’hébergement pour constituer le dossier – ce qui est totalement illégal, selon le Code de l’éducation ! »
Léo Larbi a créé l’asso « l’Ecole dans la rue » qui propose une heure de cours de français et de maths tous les mercredis soir sur la place de la République, ainsi que des cours d’alphabétisation pour les parents.
La petite école de fortune est aussi un lieu de vie et de rencontre pour les enfants déjà scolarisés et qui ont besoin du soutien des bénévoles. C’était le cas d’Elena, la fille d’Aurel, victime d’harcèlement répété à l’école : « Clocharde », « sale Rom », « tiens 5 euros pour ta mère », « vas faire la Roumaine dehors »… des façons de parler qu’Aurel a du mal à comprendre. A plusieurs reprises, il demande à rencontrer les enseignants et les parents de ces élèves :
« J’ai voulu discuter avec les parents de ces enfants, pour comprendre comment ils ont été éduqués et pourquoi ils nous parlent comme ça… »
A la rentrée prochaine, la fille d’Aurel intégrera un lycée pro dans le 14e. Là, Elena essaiera de poursuivre son rêve : « travailler comme vendeuse chez Zara. »
Hôtel social
Depuis 3 mois, Aurel et Luminita ont posé leurs bagages dans un hôtel social de la Porte de Vanves. Dans la chambre, des lits superposés et un grand bureau rempli des cahiers et des classeurs des enfants. Aurel apporte un café filtre, qu’il sert dans des gobelets. C’est la seule préparation qu’ils aient le droit de faire ici, dans cet hébergement d’urgence géré par le Centre d’action social protestant. Faire la cuisine dans l’établissement est strictement interdit et les cabines de douches sont ouvertes de 5h jusqu’à midi.
Pour Luminita, l'hôtel social, c’est « pire que dans une prison » / Crédits : Clément Quintard
Pour Luminita, c’est « pire que dans une prison », alors que son mari nous confie son plus grand souhait :
« Nous sommes prêts à payer pour avoir notre petit chez-nous, pouvoir préparer notre chorba comme on a été habitués en Roumanie, recevoir des amis et mener une vie normale. »
Avant d’enchaîner le travail, Aurel passera à Répu. Il a gardé le contact avec les commerçants du quartier. Mais surtout, les beaux-frères du technicien de la RATP y campent toujours. Ils ont repris sa place devant le Go Sport.
* Les prénoms ont été modifiés