Dimanche 28 juin, Nesrin, 26 ans, était dans les rues d’Istanbul pour la Gay Pride. Elle raconte les insultes de la police et les jets de gaz lacrymo jusqu'à l'intérieur du bar où elle était allée danser.
Je m’appelle Nesrin. J’ai 26 ans. Je suis née à İskenderun en Turquie, près de la frontière syrienne. Je suis d’origine kurde. Quand j’étais enfant, mes parents et moi avons quitté le pays. Il y a un an, j’ai décidé de revenir à Istanbul. Et ce que j’ai vécu ce week-end m’a montré que les combats que l’on mène ici sont loin d’être finis.
Lacrymo, canons à eaux et insultes
Dimanche, vers 16 h, mes amis et moi sommes arrivés dans le quartier de Taksim pour la Gay Pride d’Istanbul. Le départ de la marche était prévu à 17h. Au point de rassemblement, il y avait tellement de personnes que l’on avait du mal à marcher. Peu après le début de la Marche, les policiers sont apparus. Sans prévenir, ils ont chargé et ont balancé des gaz lacrymogènes. Mes amis et moi, on s’est réfugiés dans un café. Mais ça ne nous protégeait pas des gaz. On a fini par faire comme tout le monde : courir dans la rue. On a marché jusqu’à l’entrée Cihangir, un quartier non loin de Taksim. Le long de la rue principale, les flics insultaient les personnes trans’. L’un d’eux a même dit :
« Oh quel bel animal ! Vous avez envie de venir nous sucer ? »
Malgré tout, les gens dansaient dans les rues de Cihangir. Tout le monde voulait continuer à faire la fête. Dans la foulée, on a appris que les flics avaient déserté la rue Istiklal. Peu après notre arrivée sur place, les policiers sont revenus. Cette fois-ci, ce ne sont pas les gaz lacrymogènes qui nous attendaient mais les Tomas [des canons à eux]. Dans la rue, une femme trans était allongée à même le bitume, blessée à cause de la puissance des jets.
Continuer la fête malgré tout
Vers 22h30 on s’est rendu à The Mekan, un bar sur 5 étages où avait lieu une after gay pride. Vers 23h, j’ai entendu un énorme bruit puis… l’odeur du gaz. Les policiers avaient jeté des lacrymogènes dans l’immeuble. Les gens ont commencé à paniquer. Devant moi une fille pleurait. Elle disait : « espèce de connards, vous voulez nous tuer comme à Sivas-Madimak ». On ne pouvait pas sortir, et il n’y avait pas de fenêtres.
Ma copine et mes amis n’étaient plus là. Je les avais perdus dans la foule. J’ai vraiment cru que j’allais y rester. J’ai fini par m’évanouir. Quand je me suis réveillée, j’étais sur la terrasse du bâtiment. Il y avait 2 mecs à côté de moi. Ils me mettaient du citron dans les yeux et sur le visage. L’un d’eux parlait au téléphone avec ma copine qui nous a rejoint. Quand on est parti de The Mekan, un policier nous a interpellés dans la rue. « Vous voulez que j’appelle une ambulance ? » nous a-t-il dit. Il se moquait ouvertement de nous.
On devient un peuple qui s’habitue à tout
Les médias turcs n’ont pas parlé de ces événements. Le gouvernement a prétexté que les policiers étaient intervenus parce que la Pride se tenait en plein mois du Ramadan. Sauf que l’an dernier aussi c’est tombé aussi pendant le ramadan… et tout s’était bien passé.
Le lendemain, l’ONG Lambda a invité les gens à venir porter plainte afin de constituer un dossier qui sera remis à Amnesty International. Dans les locaux de l’asso LGBT, le jour de l’appel, il n’y avait même pas 6 personnes. On devient un peuple qui s’habitue à tout.
Propos recueillis par Fiona Guitard