ONG et aussi plateforme d'information, l’association Baraka City n’en finit plus de séduire chez les jeunes musulmans. Mais son discours islamique lui vaut la suspicion des banques autant que celle des autorités.
La descente. Février 2015. L’équipe de Baraka City est réunie sur son petit parking de la zone industrielle de Courcouronnes (91), dans le sud de Paris. Aujourd’hui, c’est un grand jour : l’ONG islamique s’occupe des derniers préparatifs d’un gros convoi humanitaire qui doit rejoindre la Syrie. Une vingtaine d’ambulances sont chargées à bloc de matériel médical, prêtes à prendre la route pour un long trajet d’une semaine. Pour cette grande occasion, la team fait voler un drone qui filme le départ de la mission. Quand d’un seul coup, une patrouille de policiers, sortie de nulle part, intervient. « Ils ont menotté le pilote du drone et autre membre de l’association devant tout le monde, au bord de la route. C’était la honte ! » s’offusque Idriss Sihamedi, le patron de Baraka City. Les deux hommes interpellés passeront quelques heures en garde à vue. Le procureur de la République du parquet d’Evry justifie l’intervention de ses hommes dans les colonnes du Parisien : « Ce drone a été utilisé en zone urbaine, à proximité de voies routières et représentait donc un danger. »
Avec 39.000 abonnés sur Twitter, 500.000 likes sur Facebook et plus de 5 millions d’euros récoltés entre 2013 et 2014, Baraka City est l’ONG islamique qui monte chez les jeunes français musulmans traditionalistes. Mais son succès dérange. Depuis le début de l’année 2015, leur avocat doit faire des heures sup’ entre une perquisition, la fermeture de leurs comptes en banque et des gardes-à-vues. Le 11 février, deux heures après l’arrestation du pilote du drone, ce n’est pas une patrouille mais une vingtaine de flics qui déboulent au siège de l’association, dont le chef de la police de l’Essonne himself. Idriss est moqueur : « Il marchait comme Clint Eastwood, sûr d’être sur un gros coup. » A l’intérieur, bénévoles et donateurs sont fouillés. Tout est passé au crible, pièce après pièce. Ils fouillent l’ordinateur, fouinent dans leur compte Twitter ou s’intéressent à un Coran posé sur une table. « Je pense qu’ils ont pris une dizaine de photos rien que de notre boîte aux lettres », continue le boss de l’asso. Comme d’habitude, pas de suites judiciaires :
« On dirait qu’ils veulent nous pousser à la faute. J’en viens à me demander ce que j’ai fait de mal mais j’ai beau chercher, je ne trouve pas. »
De Courcouronnes au Togo
Baraka City, c’est la grosse côte dans le monde des ONG islamiques. 5 ans à peine après sa création, l’association humanitaire musulmane revendique être porteuse de projets dans 20 pays, employer une quarantaine de personnes et posséder 5 bureaux à l’étranger, gérés par des responsables locaux. Derrière cette success story, il y a Idriss Sihamedi, un musulman d’obédience salafiste. Longue barbe et sarouel Adidas aux pattes, le jeune homme de 30 ans nous raconte son histoire de sa voix posée. En 2008, il est à la tête d’une petite boite de communication quand il décide de mettre son savoir-faire « au service des autres ». Deux plus tard, il lance Baraka City avec l’objectif d’allier économie sociale et solidaire et valeurs musulmanes.
Au départ, Baraka City agit à l’échelle locale auprès des familles les plus démunies de la région francilienne en organisant des maraudes. Mais rapidement, Idriss souhaite entreprendre des actions internationales. Leur campagne pour le Ramadan 2013 fait l’effet d’un détonateur après des premières années à tâtonner. Baraka City propose d’installer des puits dans des villages du Togo sans accès à l’eau potable. Bingo ! Le million d’euros demandé est récolté en sept jours seulement, puis largement dépassé. Ils achètent un camion foreuse. 48 puits sont creusés, une clinique sort de terre et 150.000 euros d’aide alimentaire sont acheminés. Idriss Sihamedi vante la qualité du travail accompli sur le terrain et la transparence de l’association :
« Tous nos comptes sont publiés sur notre site. Et à l’étranger, nos salariés s’assurent aussi que tout arrive à bon port. »
Paris - Alep aidé par un GPS / Crédits : Marty
Une com’ jeune et connectée
Mais pourquoi l’asso séduit-elle autant ? Sarah, une étudiante en master d’histoire à la Sorbonne, se souvient du jour où elle a découvert Baraka City. A l’époque, la chaîne de télévision M6 annonce que la prochaine saison de Pékin Express se déroulera en Birmanie, pays où la minorité musulmane Rohingyas est victime de persécutions. Baraka City monte au front et organise une campagne de com’ pour dénoncer l’émission. Le bad buzz est terrible pour Stéphane Rotenberg et son équipe, au point que plusieurs sponsors se désistent, comme le géant du prêt-à-porter H&M. Sarah, une musulmane qui a grandi dans la région de Metz, porte aux nues l’association :
« Baraka, ce sont ceux qui nous aident à ne pas les oublier. Les Rohingyas, personne n’en parle à moins qu’une hécatombe soit signalée, comme-là, avec les boat people. »
ONG 2.0 – Une mini-série sur le web pour suivre les missions
En plus d’être une ONG, Baraka City fait aussi office de média de ré-information pour certains jeunes musulmans qui doutent du travail des journalistes professionnels. « Leurs infos sont données telles quelles. Ça change des médias qui modifient l’information », affirme Myriam une Marseillaise de 20 ans qui a aussi découvert l’association sur Facebook. « J’ai lu deux-trois publications et en voyant leur professionnalisme et leur sérieux, j’ai suivi le mouvement. » L’ONG l’a bien compris. Elle multiplie les canaux de communications : vidéos sur YouTube, un blog pour suivre leur présence sur le terrain et mêmes quelques interventions sur France 24. « Nous avons un rôle politique », rappelle Idriss Sihamedi. « Il est aujourd’hui de notre devoir de prendre position dans certains conflits, d’interpeller les politiques et d’amener le débat sur table. » Sur Facebook, un récent post dénonce le deux poids deux mesures entre le traitement des chrétiens d’Irak et celui Rohingyas birmans.
Good muslim, bad muslim
Quand je rencontre Idriss Sihamedi pour la première fois, ce dernier se débrouille pour ne pas me serrer la main car je suis une jeune femme. Puis il met une distance de plusieurs mètres lorsqu’il m’invite à le suivre dans les couloirs de l’ONG. Sur Twitter il rappelle des préceptes, selon lui, chers en Islam :
Que notre jeunesse prenne garde à la fornication.
Si Allah l'a interdit c'est assurément pour préserver l'honneur et la société.
— Sihamedi Idriss م (@IdrissSihamedi) 2 Mai 2015
L’équipe de Baraka City ne cache pas ses convictions islamiques°. Le conférencier Nabil Ennasri, engagé contre « la théorie du genre » au côté des cathos intégristes de Civitas ou de la soralienne Farida Belghoul, compte parmi leurs intellectuels chouchous. L’ONG affiche aussi un soutien à l’imam controversé Abdelfattah Rahhaoui.
Idriss Sihamedi insiste, lui, sur le rôle de Baraka City auprès des jeunes français qui seraient tentés de rejoindre l’Etat Islamique en Syrie. Présent à Alep lors des premiers combats entre l’Armée syrienne libre et Daech, il jouit d’une certaine aura qu’il met à profit pour éviter leur radicalisation :
« On n’est pas dans la politique du ‘Stop Djihadisme’ du gouvernement qui n’essaie pas de discuter avec ces jeunes. Nous, on essaie d’avoir une certaine pédagogie. »
Idriss Sihamedi renchérit en donnant sa définition du « vrai Djihad » :
« Il y a deux éléments de bases : la préservation de la religion et la préservation de l’humain. Quand ceux qui sont tentés d’être violents ont compris que Dieu les punirait s’ils font couler le sang, tout est remis en cause. »
Mais ça ne marche pas à tous les coups. Peu avant la décapitation du travailleur humanitaire Alan Henning, Baraka City publie un communiqué pour exiger la libération de l’otage. Sur Facebook, certains ne suivent pas et l’ONG est accusée de trahir la cause. Tandis qu’un jeune sur qui Idriss exerçait sa pédagogie finit par rejoindre la Syrie.
Des banques qui ferment leurs comptes en banque
Fail – Lcp illustre un reportage sur le Jihad en Syrie avec Baraka
Le discours islamique° de Baraka City passe mal auprès des journalistes. Au mois d’avril, la chaîne LCP se sert d’une vidéo de l’association où l’on voit Idriss apporter des couvertures en Syrie pour illustrer une enquête sur le jihad 2.0. Tollé général dans les médias communautaires. Mais ce n’est pas la première fois que l’ONG est stigmatisée. En décembre dernier, c’est RTL qui estime dans un sujet consacré au « jihad business » que Baraka City pourrait servir à « financer le terrorisme ». D’autres journalistes, comme Rabha Attaf auteur du livre Place Tahrir, une révolution inachevée, dénoncent la communication communautariste de l’association :
« Ça peut s’avérer dangereux quand on connait le ressentiment qui existe à l’égard de la France et de l’Occident en général chez les plus fragiles d’entre eux. »
« Ce n’est pas parce que Baraka City a une identité islamique engagée qu’elle est suspecte. Ce devrait être le contraire », lui répond Nabil Ennasri pour qui la foi est gage de bonne conduite. Pour faire preuve de sa bonne volonté, Idriss Sihamedi joue la transparence auprès des autorités. Lors de leur dernier départ en Syrie, il prépare un dossier avec les photocopies des passeports de tous les participants, leur itinéraire et les devis qu’ils envoient aux services de renseignements.
Mais le climat de suspicion est pesant. A l’été 2014, leur compte en banque à la Société Générale est fermé, « sans explication » selon eux. Bis repetita quelques semaines plus tard, cette fois avec le CIC. Joint par StreetPress, la banque n’a pas répondu à nos sollicitations. Pour Idriss Sihamedi, il ne fait pas de doute qu’on essaie de leur mettre des bâtons dans les roues. Depuis, l’association est au Crédit du Nord au titre du « droit au compte » mais travaille sans chéquier, ni carte de paiement et avec des délais de virement peuvent prendre jusqu’à un mois. De quoi ralentir sévèrement la collecte de fonds.
L’association ne se laisse pas abattre : Pour le printemps 2015, Baraka City organise un événement consacré à « l’Afrique authentique » avec au programme une lecture du Coran et une stricte séparation entre hommes et femmes. Myriam, la jeune musulmane qui les suit sur Facebook, promet de leur donner de l’argent dès qu’elle aura décroché un premier emploi. « Et puis il y a aussi des footballeurs pour signer les gros chèques », continue le fondateur, sans que l’on sache pour autant l’identité des donateurs.
°Edit du 18.05.15 à 14h40: Replacement de l’adjectif islamiste par islamique