06/05/2015

Le gadjo a abandonné son F2 et s'est mis au hérisson

Romain est devenu manouche par amour

Par Yann Castanier

Romain est un gadjo, un sédentaire qui vivait en appartement jusqu’à ses 23 ans. Mais il y a 5 ans, il tombe amoureux d’une manouche qu’il épouse. Depuis, il partage la vie nomade des gens du voyage, dans le sud de la France.

Le camion avance dans la file. Il soulève de la poussière. Dans la benne, 15 jours de ferraille récoltés à deux. Petite combine, les employés d’une carrière voisine laissent accéder les poids-lourds au pesage contre 1,50 euros.

Romain arrive vers la voiture en trottinant. 29 ans, 1 mètre 90, des épaules et des mains de bucheron. Ses yeux rieurs captent l’attention, ses cheveux en bataille évoquent un garnement qui s’est échappé de l’école. Sa voix rassure. Avec sa tenue de sécurité jaune fluo, il a des airs de teuffeur perdu au milieu de la garrigue. Il ouvre la porte du véhicule et s’adresse à son beau-père, Soussounet :

« Tu penses qu’il y a combien ?
– 12 ou 13 tonnes
– 14,7. »

Ca fait 5 ans que Romain a zappé la vie en appartement dans laquelle il a grandi. Le gadjo partage la vie des « voyageurs » depuis qu’il a épousé Mandy, une manouche. Il travaille avec son beau père Soussounet, dans le business de la ferraille.

La vie nomade

Gigean, Hérault. Bordure d’autoroute. Un terrain vague de gravier. Deux pylônes électriques. L’Audi cabossée de Romain arrive par le chemin. La poussière se soulève. Le cligno gauche ne cesse de battre le rythme, car « sans ça, elle ne démarre pas ». Il vit là avec Mandy. Elle : petite, le teint mat, les yeux marron et les cheveux noirs. Un sourire et un regard interrogateur. Elle porte une doudoune au motif peau de vache et des claquettes. Sa fille dans ses bras a le nez qui coule. Elle est malade :

« J’essaie d’appeler les médecins depuis ce matin. Pas un n’a de place. »

La caravane d’en face, c’est celle où se trouve Soussounet et Yvonne, les parents de Mandy. Le père a un ventre énorme :

« On aime bien les pâtes, nous les manouches. »

Yvonnes et Soussounet, les parents manouches / Crédits : Yann Castanier

Soussounet a des tatouages sur les bras comme autant de graffs qui ravivent un mur. « Et t’as déjà mangé du hérisson ? » Entrée en matière. Romain enchaîne :

« C’est trop bon. T’enlèves les piques avec une brosse, tu souffles dedans et tu le fais griller. »

Yvonne, la mère, sort de la caravane : « Je ne suis pas habillée et j’ai pas encore fait le ménage. Attend ». Elle est en robe de chambre. Les cheveux hirsutes, elle secoue le tapis sur la dalle de béton qui leur sert de terrasse. « Tu veux pas des chiots ? Des bichons havanais. 50 euros l’un, c’est un bon prix. La mère est une pure race. Bon, le père c’est un batard ». Il est 9h. Le groupe se lève.

Un gadjo dans la caravane

Ce matin, un gars est venu acheter de la ferraille que Romain et son beau-père ont récupérée. Le café est servi. Il est préparé dans une petite caravane qui fait office de cuisine. Soussounet parle de Romain :

« Au départ, ça m’a pas trop plus. C’était un gadjo. Mais ma fille l’aimait. Ce n’est pas à nous de choisir le mari pour la fille. Maintenant, c’est mon gendre, comme mon fils. De temps en temps, je lui gueule dessus quand il fait des trucs de gadjo. »

Romain et Mandy se sont rencontrés au mariage d’un cousin de la famille manouche. Elle est alors veuve. « Il était gentil. J’en ai vu passer d’autres qui me voulaient. Mais lui, il a demandé en premier comment ma fille allait ». Il trouve son numéro. « Je ne sais pas comment ». Pendant plusieurs mois, ils échangent par téléphone et se voient. Les deux sourient quand ils évoquent ces temps.

Mandy et sa fille dans la caravane de la petite famille / Crédits : Yann Castanier

« On s’est nachave. Nachave ? C’est se marier. On est partis 15 jours à Barcelone ». Romain renchérit : « On a fait 2 hôtels, un dans le centre et un à Port Aventura, le parc d’attractions. » Soussounet explique :

« Dans la tradition manouche, tu t’en vas et quand tu reviens, t’es marié. Pas de cérémonie à la mairie, ni à l’église. Comme Mandy était veuve, on a fait des grillades. Un grand repas, on ne pouvait pas.»

Un deal a été établi au sein du couple. Mandy adopte aussi en partie les habitudes de Romain, « vivre en habitation ne me dérange pas. Mais il faut qu’il y ait un grand terrain. » Ils ont décidé d’acheter une parcelle et de construire une maison à Gigean : « Ce sera une sécurité ».

L’apprentissage du caravane way of life

Debout sur le toit, Christine nettoie l’extérieur de sa caravane au balai brosse et à l’eau. Les hommes regardent. « T’as débranché le courant ? », s’inquiète Wesley, le cousin de Mandy qui vit également sur le terrain. « – Non. – Tu devrais, y en a qui ont pris le jus avec l’eau parce que la terre était mal faîte. » Christine hurle : « Putain ! Et c’est maintenant que vous me le dîtes ! J’aurais pu crever quoi ! Bouge-toi ! » Samuel, son mari gadjo, court débrancher la prise électrique enfichée dans un compteur accroché à un arbre.

Caravane d’à côté, deux chèvres passent par là : « C’est Romain qui les a achetées. Elles servent à rien. C’est pour la déco », rigole Wesley. Il remet les bâches qui couvrent les congélateurs posés à même le sol et vérifie les connexions électriques des machines à laver et à sécher le linge dans un camion. Pour Romain, ce mode de vie fut un apprentissage, raconte Mandy en rigolant :

« Au début, il a dû accepter de quitter le confort d’un appartement. Je lui ai montré comment on branche l’eau et l’électricité… Maintenant, quand il va chez sa mère, il étouffe au bout de deux heures ! »

La mère de Romain a bien accepté ce mariage. Son frère aussi est en couple avec une manouche.

« On a mis le gravier pour qu’il n’y ait pas de boue. On n’est pas des sales. » / Crédits : Yann Castanier

Romain veut être clair :

« Ici, on loue le terrain 350 euros par mois et on a mis le gravier pour qu’il n’y ait pas de boue. On n’est pas des sales. »

Podcast – L’histoire de Romain dans la chronique de StreetPress sur Radio Nova

En comparaison avec un emplacement dans une aire de voyage dont le loyer va de 300 à 400 euros par caravane, ici la présence de 4 familles permet de diviser les coûts. Mandy est amère, « le maire de Gigean a essayé de nous fournir un espace aménagé et bitumé. Les habitants du quartier ont déversé des seaux de clou sur toute la zone. Impossible de rentrer au risque de crever les pneus. »

Aujourd’hui, le couple possède la plus grande caravane du camp et un long fourgon Mercedes. Mandy est fière :

« Romain a ramené tout ça en seulement 5 ans. Il travaille beaucoup. Si mes filles devaient se marier, je voudrais que ce soit avec un gadjo. Ils sont mieux. Plus gentils, moins virils. »