Martin, 19 piges, a fondé Sans A. Un site d’info pour raconter le quotidien des SDF. Des témoignages récoltés par les journalistes bénévoles, mais aussi des chroniques rédigées par les sans-abris eux-mêmes.
Paris – Gare St Lazare. « C’est ici que j’ai rencontré Guy, le premier sans-abri avec qui j’ai sympathisé, et Jean-Claude, le premier qui a témoigné pour Sans A. », se souvient Martin Besson. A 19 ans, il a fondé ce pure player exclusivement consacré aux sans-abris.
Un média qui ne parle que des SDF
La baseline du petit média associatif : « rendre visible les invisibles ». Les membres de sa rédaction vont à la rencontre des sans-abris pour raconter et partager leur histoire sur le web. Créé il y a à peine un an, le site a déjà connu quelques phases d’évolution. Au début, on n’y trouvait que des portraits de sans-abris. Mais Martin et sa jeune équipe – entre 18 et 35 ans – se rendent compte que la précarité ne s’arrête pas à ça :
« Il y a beaucoup de personnes sans-abris mais c’est important aussi de parler des structures comme les centres d’hébergement d’urgence par exemple, de ce qui fait que ces gens se retrouvent dans la rue. »
Un temps Martin et ses potes se sont même lancés dans les maraudes, avant de lâcher l’affaire :
« Une association caritative avec un média institutionnel, ça n’est pas ce que je veux. On souhaite parler exclusivement de la précarité. C’est un segment de l’info que beaucoup ignorent. C’est un peu le marronnier de l’hiver. Personne n’en parle l’été. »
Martin et sa team
Vidéo Martin présente Sans A avec ses cheveux
Du haut de ses 19 ans, la boule à zéro, casque audio autour du cou, Martin ressemble à n’importe quel étudiant en goguette entre deux cours. Côté cours, après une scolarité plus que tumultueuse, il intègre l’ISCPA, (Institut Supérieur des Médias de Paris). Côté rue, il s’est intéressé très tôt au problème de la précarité bien qu’issu d’une famille aisée. Les critiques sur ce « contraste » le font sourire :
« C’est pas parce qu’on vient d’une famille aisée qu’on est con. »
En août 2014, il imagine une plateforme qui permettrait de référencer les personnes sans-abris en énumérant ce qu’ils font comme travail, leurs compétences, et tout ce qui peut les caractériser :
« Tu vois le site Adopte un mec. Je voulais faire un truc du style Adopte un sans-abri mais bon c’était un peu vulgaire. »
Le projet évolue jusqu’à devenir Sans A. Agy, photographe, rejoint l’aventure. Le média est lancé.
Dans la rue il y a des viols, personne n’en parle
Martin se souvient de son premier témoignage pour Sans A. C’était celui de Jean-Claude. Après un cancer des poumons et deux infarctus, ce tailleur de pierres ne peut plus travailler. Le loyer devient trop cher, il vend ses meubles et finit par partir sur les routes :
« Ça fait longtemps qu’on l’a pas vu d’ailleurs. »
Le plus «hardcore », c’est le témoignage d’un homme qui était près de Denfert-Rochereau :
« Il nous a dit que des gens l’attaquaient “avec leurs zizis” tous les soirs. Ça te marque ! Là tu prends conscience que dans la rue il y a des viols, des agressions et que personne n’en parle. »
Et il y a aussi Pete. Pete était médecin et est devenu chroniqueur pour le média :
« Sa première chronique était sur le froid. La seconde porte sur l’addiction. Il vient de sortir un livre aussi, “Vagabondage jusqu’au bout de l’extrême”. Il bossait dessus depuis longtemps. »
Pour recueillir ces témoignages, il faut gagner la confiance des sans-abris ce qui n’est pas toujours facile. Quand un rendez-vous est pris, il n’est pas non plus toujours respecté :
« Ils n’ont absolument pas conscience de l’espace-temps. Parfois ils disent : “ouais je serai là”. Et ils arrivent en disant, “désolé j’ai pas de montre je pensais qu’il était 10h”. Alors qu’en fait il est 16h . »
« Bonjour. C’est juste un mot mais il fait du bien. » / Crédits : Martin Varret
We need money
Sans A a quelques partenaires qui apportent des fonds comme The Ivory Foundation dont les sommes allaient jusqu’à présent aux maraudes, et la fondation Somfy qui investit dans le média. Martin l’admet, ce n’est pas évident de produire régulièrement sur le site web :
« On est tous bénévoles, moi y compris. Les rédacteurs et rédactrices ne sont pas toujours dispos au moment où on doit recueillir les témoignages. Et ça demande du temps, il faut que la personne soit là, que les photos soient prises, il y a la rédaction, la relecture, les corrections, la réécriture. »
Et lui qu’est-ce qu’il gagne ?
« Ça ne me rapporte pas un Kopeck bien au contraire. Je vais même faire un prêt étudiant de 4.000 euros pour pouvoir développer le média. Mais ça c’est un choix personnel. »
A long terme, Martin voudrait monter un média sous forme d’entreprise à caractère social.
Les SDF en pensent quoi ?
Notre entretien presque achevé, Martin me propose de l’accompagner aux alentours de Saint-Lazare pour me présenter Jean Marc, un des Sans A portraitisé. On se balade un peu, jusqu’à tomber sur Jean Marc en compagnie de Guy. Il me demande : « Tu dis quoi toi quand tu croises l’un de nous ? » – Je lui réponds – « Je dis bonjour ». Jean-Marc esquisse un sourire :
« J’aime bien ça. Bonjour. C’est juste un mot mais il fait du bien. Comme le petit et ses copains. »
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