Après moins d’un an d’existence, la Coopérative de la Goutte d’Or compte près de 700 adhérents. Un succès qui va obliger la structure, née sans le soutien des acteurs publics, à déménager dans un local plus grand.
Quartier de la Goutte d’Or – Paris 18ème. Au 38, rue Myrha, au milieu des magasins de confections de robes traditionnelles maliennes et des taxiphones, la Coopérative de la Goutte d’Or. Dans la boutique, Christophe lance à un grand gaillard avec des dreads :
« Vous ne voulez pas prendre des panais ? C’est gratuit ! »
« Les produits en fin de vie, on les distribue », nous explique t-il. Le crédo de la coopérative : consommer bio et local mais surtout proposer des produits avec un rapport qualité / prix imbattable.
La déco de la boutique est minimaliste, des planches en bois en guise de rayon et un grand tableau noir où sont affichés les prix des produits maraîchers. Carottes, échalotes, betteraves, poireaux… Tout est bio, ou presque. « On a environ 80 pour cent des produits qui sont certifiés, mais ce qui nous importe le plus c’est leur qualité, leur goût » nous explique Christophe, artiste-peintre dans la vie courante. C’est l’un des instigateurs du projet. Derrière sa caisse, il jongle entre l’équipe de « coopérateurs », l’inventaire du magasin, son Macbook et les questions de Streetpress.
Bonne surprise quand on découvre l’addition. / Crédits : Mehdi Boudarene
Le fonctionnement
Pour faire ses courses à la coopérative, il faut y adhérer en réglant 15 euros par an. Mais si vous passez dans le coin et que vous tombez sur un pot de confiture qui vous fait de l’œil, vous pourrez quand même l’acheter sans être adhérent, explique Christophe :
« On n’est pas tyrannique non plus à ce sujet, on explique simplement aux gens comment ça marche. Après il y en a qui veulent seulement acheter. »
En parallèle, des assemblées de « coopérateurs » sont organisées chaque mois. Sur le principe un homme = une voix, les coopérateurs sont invités à prendre part à toutes les décisions. Et c’est ce modèle que veut défendre Christophe :
« Le plus important dans le projet, c’est sa gestion par les adhérents. La partie économique, c’est facile. L’autogestion en revanche ça demande beaucoup d’effort, c’est plus compliqué. C’est pour ça qu’il n’y a pas autant de projets autogérés dans le monde !»
« Un club de bobos blancs »
En quelques mois d’existence, la coopérative compte près de 700 adhérents, originaires à 95 pour cent du quartier de la Goutte d’Or comme Nadine, journaliste du dimanche, qui s’y rend « au moins deux fois par mois ». Elle reconnaît que « le bio et le local, c’est cher mais ici on sait que ce qu’on achète tombe directement dans la poche des producteurs ». Consommer local, réduire les intermédiaires, savoir ce qu’on achète, c’est pour toutes ces raisons que Nadia, étudiante en médecine, vient faire ses courses à la coopérative. Cette jeune femme au regard perçant qui milite également pour l’association Survie regrette que le bio soit aujourd’hui « une mode » et que l’on ne se soucie guère de la situation des paysans, que les labels ne prennent pas en compte.
Implanté dans un quartier où le métissage culturel est l’un des plus fort de tout Paname, la coop’ peine pourtant à s’ouvrir sur des populations pas forcément attirées à la base par le bio. Sophie est l’une des coopératrices formées à la caisse. Tout juste quinqua, iconographe de métier, elle nous confie d’une voix douce :
« C’est vrai qu’on a l’impression d’être dans un club de bobos blancs. »
L’accès à des produits bio, en moyenne plus chers, le souci d’une alimentation plus saine, ou chercher à rétribuer de manière plus équitable les producteurs sont malheureusement des préoccupations qui restent peu partagées en dehors des habituels cercles militants ou associatifs. Ce constat, Christophe le partage :
« Effectivement on aimerait s’ouvrir plus, on va être vigilants pour ne pas rester dans un entre-soi mais toucher des populations pour qui s’alimenter est une difficulté. »
Pour trouver une solution, la Coop’ compte sur « un groupe de travail » dédié qui « viendra présenter ses conclusions » lors de la prochaine AG. Christophe en connaît déjà les grandes lignes :
« L’idée, c’est de proposer un tarif différencié sur les produits de base, voire la gratuité. Aujourd’hui on sait que cet effort de solidarité ne mettrait pas en danger la structure sur le plan économique. »
Implanté dans un quartier où le métissage culturel est l’un des plus fort de tout Paname, la coop’ peine pourtant à s’ouvrir. / Crédits : Mehdi Boudarene
De l’Amap à la Coop’
Au départ, il n’y avait qu’une Amap dans le quartier. Et lorsque le 26 janvier dernier, la Coopérative ouvre, elle attire bon nombre d’anciens « amapiens » et d’autres habitants du quartier. Christophe nous raconte :
« Pour démarrer, on a fait une souscription interne pour arriver à environ 8.000 euros, ce qui est rien. Heureusement, les producteurs que l’on connaissait grâce à l’Amap nous ont fait une avance de stocks. »
Pas de subventions
Ce capital de départ, Christophe et sa bande ont essayé de le constituer aussi grâce à des subventions, en vain. Une situation qui agace le militant :
« On a été très mal reçus. Il faut savoir que c’est la région qui prend en charge ce genre de projets, mais en Île-de-France, il n’y a que 0.002 pour cent des surfaces cultivables qui sont bio ! »
Il poursuit, en indiquant que ce n’est pas un problème d’enveloppe mais de directive :
« Le système des subventions est pathétique, tout est normalisé. Tu vas voir un type pour lui expliquer ton projet et une heure après il te demande si tu ne veux pas plutôt faire un potager sur des toits… Parce qu’il y a de l’argent pour ça. En ce moment à Paris c’est les potagers sur les toits ou du café social. Aujourd’hui, on ne finance que des actions, pas des projets. »
Ils ont finalement reçu une proposition d’étude de marché qu’ils ont refusée, « parce qu’on ouvrait un mois plus tard ».
Success-story
Le projet se développe et s’apprête à entrer dans une nouvelle phase puisque d’ici quelques mois, la coopérative devrait s’installer dans un local plus grand. Ce qui n’est pas pour déplaire à Sophie, qui ne vient plus le samedi car il y a « trop de monde, on ne peut même plus circuler ». Une fondation s’est d’ores et déjà engagée à financer une partie des équipements (chambre froide, nouveaux frigos,…) ce qui provoque chez Christophe un élan d’optimisme :
« Moi, je dis toujours qu’on va tuer la grande distribution dans deux ans ! »
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