Chaque mercredi et samedi après-midi, depuis près de 20 ans, les fans de cartes Magic se retrouvent à la sortie du métro Jussieu. Sur un coin de trottoir, ils échangent et vendent les cartes les plus rares.
Métro Jussieu – samedi midi. Une trentaine de personnes sont attroupées à la sortie de la station, profitant d’un temps clément pour mener leur petit biz’. « Tu peux me la mettre sous plastique ? » demande un vieux jeune à un jeune vieux à t-shirt après lui avoir filé un billet de 20. Pas de paradis artificiel à la clé mais une carte « Cobra de Lotus » permettant à son propriétaire d’accumuler des manas dans le jeu de cartes Magic. Ici les cartes se troquent mais surtout se vendent de 1 à 250 euros pièce, en fonction de leur rareté ou utilité dans le jeu.
Le "hot spot" des années 1990 / Crédits : Yacine Salem
Ce jeu multi-joueurs imprégné d’heroic-fantasy existe depuis 1993. L’objectif est simple : battre l’adversaire en réduisant ses points de vie à coup de cartes offensives. Une ou deux parties permettent de maîtriser les règles et le fonctionnement du jeu de base. Mais c’est sans compter les éditions spéciales et les extensions qui permettent de nombreuses nuances. La communauté compte des joueurs « casual » (occasionnels), mais surtout des passionnés et même un circuit professionnel.
La fan-base
Ici, tout le monde, ou presque, se connaît. Il y a l’ancien : Gérard, 72 printemps, initié au jeu par son fils « il y a vingt ans » et qui se décrit comme « la bible des cartes Magic ». La plupart affleurent la trentaine, comme William. A 29 ans, ce consultant en génie civil vient occasionnellement depuis moins d’un an pour vendre ou acheter des cartes. Un autre habitué interrompt notre conversation avec William pour savoir si un certain Frank doit passer :
« Non il viendra pas, il a une copine en ce moment. »
Ici pas mal sont célibataires, affirme Alex, 27 ans, consultant environnement habitué de longue date du spot. Joint au bec, il lance :
« C’est clair que la femme plombe le joueur. »
Si la punchline est un peu rapide, de fait la discipline semble principalement masculine et la petite place est peuplée quasi exclusivement d’hommes. Souvent des étudiants ou anciens étudiants de la fac voisine.
Money, money…
Pour ces passionnés, le jeu représente un budget conséquent. Michael, boulanger de 23 ans, est venu parfaire sa collec’ d’une centaine de cartes :
« Les cartes sont parfois chères, le budget est forcément limité mais il y a toujours des decks (sélection de carte utilisée par chaque joueur pour une partie, ndla) accessibles. Ça m’arrive de dépenser entre 200 et 300 euros par mois. »
Et les prix sont en hausse, ce qui a le don de mettre en colère Alex, qui s’indigne de la dérive « petite bourgeoise » du jeu. Plutôt une aubaine pour Raphaël. Le barbu à lunette de 30 ans a ouvert des boutiques à Montparnasse et Annecy.
Ce samedi après-midi, il est venu vêtu d’un t-shirt aux couleurs de son site internet , une plateforme de vente de cartes Magic :
« On est obligés de vendre sur internet pour faire face à la concurrence des sites de vente entre particuliers. »
C’était mieux avant
Ici beaucoup regrettent le bon vieux temps où la place était noire de monde, lorsque des provinciaux étaient capables de faire des centaines de kilomètres le week-end. Pour Gérard, la vente par internet est en train de tuer le lieu :
« A l’époque il y avait facilement plusieurs centaines de personnes sur la place, c’était noir de monde ! Aujourd’hui on est quoi ? Une trentaine ? »
(img) THE banc où tout se passe
Car Jussieu est le hot-spot du troc de cartes depuis 20 ans déjà. En 1994 la boutique L’oeuf cube commercialise pour la première fois sur le vieux continent le jeu de cartes Magic qui fait fureur aux USA depuis l’année précédente.
Et pour des raisons commerciales évidentes, la boutique qui vend les cartes par deck et qui organise des tournois bannit tout échange ou achat/vente dans son enceinte.
Dès lors, le troc et l’achat entre joueurs s’organise sur le trottoir de la boutique tous les mercredis et samedis, bloquant le passage des piétons sur ce côté de la rue. Sous la pression des riverains et de la police, le marché informel se déplace à moins d’une centaine de mètres plus loin : à la sortie du Metro.
Une communauté
Aujourd’hui au marché de Jussieu, tout le monde ou presque se connaît depuis une bonne dizaine d’années. Avec un noyau dur d’habitués qui communient en petites assemblées lorsqu’un vendeur dévoile l’étendue de sa collection ou lorsqu’un joueur parle stratégie de jeu ou nouvelle extension à venir. Pour Fabio, ancien joueur de 32 ans et habitué du coin, ce jeu a créé une vraie communauté :
« Je me suis fait des potes grâce à ce jeu et après toutes ces années on se retrouve toujours ici les samedis. Magic, plus qu’un jeu de carte c’est devenu un prétexte pour se voir un jour du week-end. »
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