Tous les jours, Kamara, sans-papier mauritanien, se poste à la sortie du métro Château Rouge pour vendre ses épis de maïs chauds. « Si je gagne 25 euros par sac, je suis content », confie le vendeur ambulant, une salière à la main.
Paris 18e – A la sortie du métro Château Rouge. « Maïs chaud, maïs chaud, les derniers de la saison », scande à tue-tête un grand mauritanien d’une trentaine d’années. Rapidement, les clients débarquent et encerclent Kamara :
« 50 centimes pièce, ils sont encore chauds et tendres ! »
Kamara vient ici tous les jours dès 10h pour vendre ses épis / Crédits : Emile Costard
Comment ça fonctionne ?
Salière dans la poche gauche de son jean, serviettes en papiers sous le bras, il extirpe de son cabas à roulette les épis de maïs encore fumants. En un éclair, il les épluche et les fourre dans de petits sacs plastiques noirs qu’il met à disposition de sa clientèle. Cheveux grisonnants et fine barbichette, Kamara vient ici tous les jours depuis trois mois pour vendre ses épis.
S’il ne se poste sur le trottoir que vers 10h, ses journées commencent en fait bien plus tôt. Chaque matin, Kamara se fait livrer à domicile la marchandise : son grand cabas, qui contient une centaine d’épis de maïs, il l’achète 15 euros à un grossiste bengali. Il faut ensuite faire cuire le maïs à la vapeur. Une opération laborieuse qui lui prend près d’une heure et demie. D’autant que la minuscule kitchenette du studio qu’il partage avec un ami, n’est pas vraiment conçue pour.
Et ça rapporte de l’Argent ?
L’investissement n’est pas bien lourd, mais à en croire Kamara les bénéfices non plus :
« Si je gagne 25 euros par sac, je suis content, car il y a des épis que nous ne pouvons pas vendre : trop abîmés ou trop petits. »
De quoi payer sa part de loyer (150 euros), ses cigarettes et de quoi manger. « Je dois aussi envoyer de l’argent au pays et payer mes dettes au passeur », soupire le vendeur de maïs. Le voyage depuis la Mauritanie lui aurait coûté près de 7.000 euros.
Road trip
Kamara se souvient :
« J’ai pris la mer depuis le Maroc direction l’Espagne où je me suis fait arrêter et placer en centre de rétention. Ensuite je me suis installé à Paris. C’était le 11 septembre 2001, je me souviendrai toute ma vie de ce jour. Aujourd’hui mon seul objectif, c’est d’avoir des papiers pour pouvoir enfin commencer à penser à demain et pouvoir trouver un vrai boulot. »
En attendant, le maïs chaud est sa seule source de revenu et les fins de mois sont souvent difficiles. Mais Kamara jure ne rien regretter :
« En Mauritanie, je n’avais aucun avenir, aucune perspective. Ma perspective c’était l’Europe, la France. »
Est-ce légal ?
Chaque jour, il se dépêche de vider son cabas, toujours sur le qui-vive, prêt à décamper si la police pointe le bout de son nez. Son business est illégal et il le sait :
(img) Les épis de Kamara, tout beaux tout chauds
« En France, tout ce qui ne rapporte rien à l’Etat est illégal. Mais comment voulez-vous que je déclare cette activité ? »
Avec la police, Kamara comme les autres vendeurs, joue au chat et à la souris. A quelques mètres de là, un policier en civil interpelle d’une voix forte un collègue de Kamara :
« Alors tu ne m’avais pas vu cette fois, hein ?! Hein ?! »
Ses deux équipiers rappliquent dans la seconde. Avec trois flics agrippés à son bras, la journée se termine prématurément pour Djaar, un malien de 24 ans. Ma présence interpelle les agents :
« Police nationale, vos papiers Monsieur. »
Une fois l’atmosphère apaisée, le fonctionnaire me dresse en quelques phrases un tout autre tableau du petit business des vendeurs de maïs :
« Comprenez Monsieur, ici, on parle de réseaux, d’exploitation d’êtres humains et d’exploitation de la misère. Je vous assure que ces petits trafics cumulés représentent de grosses sommes d’argent pour ceux qui tirent les ficelles. »
Djaar lui, sera relâché quelques minutes plus tard. Sa cargaison a été saisie et son cabas jeté aux ordures.
« Lorsque les contrôles se passent bien, que les vendeurs ne sont pas agressifs, nous nous en tenons à la verbalisation. »
Les amendes, elles, varient et peuvent aller de 100 à 300 euros.
Attention aux flics : la cargaison est parfois saisie et le cabas jeté aux ordures. / Crédits : Emile Costard
Beaucoup de vendeurs ?
Malgré les risques d’interpellations et les conditions de travail difficiles, les candidats sont nombreux. Au détour d’une rue, Moussa, la vingtaine, chemise à carreaux et chaussures de ville, s’approche de Kamara d’un pas hésitant. Il cherche du travail. Après quelques hésitations quant au choix de la langue pour amorcer la discussion, la conversation se poursuit en Soninké, une langue répandue dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Moussa est malien, un pays frontalier de la Mauritanie.
Comme Kamara, il ne trouve pas d’autre job. Alors vendeur de maïs, pourquoi pas ? Kamara accepte son aide pour écouler son stock. Moussa, salière en main, propose tout sourire d’assaisonner le maïs des clients. Quelques heures pour apprendre le business. Grâce au contact du grossiste que Kamara lui a donné, Moussa devrait commencer dès le lendemain.
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