Rue Dénoyez (Paris 20e), les riverains lancent une mobilisation pour sauver ce bastion du street art. Un move qui arrive un peu tard : les appels d’offre ont déjà été lancés et les artistes sont divisés.
MAP Rue Dénoyez
Depuis quelques jours, une grande banderole traverse la rue Dénoyez (Paris 20e) de part en part : « Sauvons la rue Dénoyez »
Depuis le début de l’été, ce haut lieu du street art à Paris est en ébullition : « avec son projet immobilier ; la mairie va détruire la spécificité de cette rue », tonne Cédric Bordery, de l’asso de quartier Fais ta rue. La résistance s’organise, mais surtout au travers d’une pétition . En ligne depuis la mi-septembre, elle totalise plus de 2.600 soutiens et « environ 1.000 signatures collectées dans la rue », détaille Cédric. L’atelier de la photographe Silvia Minni sert de QG improvisé aux opposants au projet. L’artiste est directement concernée par l’affaire :
« Au mois de juin, la mairie nous a envoyé un courrier pour nous dire qu’on allait devoir vider les lieux. »
La photographe Silvia Minni dans son atelier, le QG / Crédits : Mathieu Molard
Elle n’est pas la seule à être invitée à faire ses valises : les assoc’ Traces , Friches et nous la paix et La maison de la plage sont également priées de prendre le large. Toutes ont signé un bail précaire : contre un loyer d’à peine 200 euros, elles ont pu occuper les lieux de nombreuses années, mais sont tributaires du bon-vouloir de la mairie.
Logement Social
La mairie du 20e a de grandes ambitions pour l’artère. En farfouillant sur la toile, Cédric Bordery découvre le pot aux roses : deux appels d’offres disponibles sur des sites spécialisés détaillent un projet immobilier.
> La destruction du 18bis au 22bis pour y construire en lieu et place 18 logements sociaux ainsi qu’une crèche pouvant accueillir 50 enfants, sur une surface totale de 1.750 m2.
> La rénovation d’un bloc d’immeuble comprenant les 24 et 26 de la rue Dénoyez et le 10 rue de Belleville en vue d’y installer 29 logements sociaux et un local d’activité. La surface n’est pas précisée.
Au total, c’est un bon tiers de la rue qui devrait changer d’occupants. Pas vraiment du goût de Cédric :
« Attention, on n’est pas contre les crèches et les logements sociaux. Mais pourquoi ici ? Dans cette rue on a réussi à construire quelque chose d’exceptionnel. Ici tout le monde se parle, toutes les communautés se mélangent. Et les artistes sont très importants. Ils créent du lien social. »
La rue Dénoyez, petit coin de paradis que veut sacrifier la mairie / Crédits : Mathieu Molard
Joint par StreetPress, Hélène Vicq, adjoint au maire en charge de l’urbanisme, semble en avoir un peu ras-le-bol des protestations de ses administrés :
« Initialement la crèche devait être installée au 36 rue de Belleville, mais il y a eu une forte mobilisation des riverains. Là, c’est le dernier espace aménageable qu’il reste dans l’arrondissement, donc on n’a pas vraiment d’autres choix. »
Et de jurer que la rue peut garder ses spécificités, même sans les artistes :
« C’est surtout le street art qui fait son identité. On leur laissera des murs où graffer. »
Delanoë friendly
Même s’il n’est pas à leur avantage, le projet de la municipalité compte quelques alliés du côté des artistes. « Si on est là, c’est aussi grâce à la mairie », rappelle Pedro tout en tirant sur sa clope électronique. De sa galerie, gérée par l’asso « Frichons nous la paix », il a une vue imprenable sur les graffs qui couvrent le mur d’en face. Pedro tente le parallèle :
« Les artistes viennent, posent une œuvre, la prennent en photo et quelques jours plus tard elle est recouverte par une autre. Le mur n’appartient à personne, cette rue non plus et puis on ne va pas s’opposer à des logements sociaux. »
Lui a posé ses pinceaux rue Dénoyez début 2001, grâce au soutien de Bertrand Delanoë. Son association regroupe des anciens du squat de l’Ecole de la rue Blanche :
« L’équipe Tibéri avait demandé à la justice notre expulsion. Le procès en appel se tenait le lendemain de l’arrivée à la mairie du PS. En moins de 24 heures, ils nous ont trouvé une solution. Ça a été leur première décision. Alors je dis plutôt merci M. Delanoë. »
Bisbilles entre voisins
La mobilisation pour sauver la rue Dénoyez a du plomb dans l’aile. La faute à des bisbilles qui parasitent les relations entre artistes. Une habitante reproche à ses voisins de « Friches et nous la paix » de ne pas s’impliquer :
« Ils ont obtenu un deal avec la mairie qui leur a promis un autre lieu. C’est pour ça qu’ils la jouent solo ! »
Sadi Sami, le patron du Vieux Saumur / Crédits : Mathieu Molard
Au vieux Saumur, le café qui fait l’angle entre la rue de Belleville et la rue Dénoyez, Sadi Sami, le boss, dénonce l’amateurisme des artistes :
« Ça fait 5 ans qu’on est prévenus et eux ne se réveillent que maintenant. »
Comme ses deux voisins, des commerçants chinois dont la devanture donne sur la rue de Belleville, il a reçu une lettre d’expropriation dès 2009. Le bistrotier n’est que propriétaire d’un bail commercial. Pour sauver sa peau, il a bien tenté de battre le rappel des riverains, mais sans grand succès. Les trois patrons se sont finalement tournés vers la justice, multipliant les procédures :
« On fait traîner au maximum. On vient de passer en appel, mais on a peu de chance de gagner… »
Expropriation et relogement
Déjà, des commerçants ont lâché le morceau, comme ce couturier thaïlandais, installé au début de l’allée. « Il n’avait plus le courage de se battre, il a accepté l’argent qu’on lui proposait. Des clopinettes », croit savoir Sadi Sami. Le patron du bistrot, lui, aurait reçu une offre de la mairie bien en deçà du marché : 500.000 euros, le prix auquel sa famille aurait acheté le bail en 1990 :
« Depuis les tarifs ont flambé ! »
Silvia et Daria, une photographe et une plasticienne qui partagent le même atelier, affirment qu’elles n’ont pas reçu d’offre de relogement de la mairie. Elles sont aussi persuadées que la mairie veut les pousser dehors parce qu’elles seraient un peu trop alternatives :
« La mairie a déjà tenté de récupérer notre fête de quartier pour qu’on en fasse quelque chose de plus grand avec leur logo. Sauf qu’on n’a pas voulu. »
Interrogée sur la question du relogement, l’élu de la majorité botte en touche :
« La question est compliquée, d’autant qu’ils ne payent presque rien et qu’ils ont des exigences assez élevées. Mais on va faire notre maximum. Après pour avoir des réponses plus précises, adressez-vous plutôt au service culture. »
Contacté à plusieurs reprises, ce dernier ne donnera pas suite à nos demandes d’interview.
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