Les universités privées Chypriotes font tout pour attirer les étudiants africains. Un business juteux pour les uns, le début d'une galère pour les autres. Car la vie à Chypre n'est pas facile pour des ressortissants africains.
Nicosie, capitale de Chypre – Dans sa boutique traditionnelle située au vieux centre, Maureen – la trentaine, cheveux bouclés et large sourire collé au visage – accueille tout le monde :
« J’ai commencé ce petit business pour aider la communauté africaine et parce que je ne voulais pas rester à la maison. »
Elle y vend du sirop de bissap, de la farine de foufou, des tissus et bijoux venus d’Afrique et offre des services de manucure et coiffure. Sa boutique est devenue le lieu de rendez-vous de la communauté africaine. Après avoir achevé des études de management à Nicosie, Maureen s’est lancée dans une thèse, qu’elle a dû arrêter suite à sa grossesse. Depuis cette interruption, Maureen reçoit régulièrement des courriers de son université, lui rappelant sa dette :
« Avec les intérêts, je suis passée de 800 euros à plus de 2.000 euros au cours de deux ans. Pour accélérer le remboursement, ils ont menacé d’appeler le Ministère de l’Immigration. »
Business Depuis 2004 et l’adhésion de Chypre à l’UE, de nombreux étudiants Camerounais sont arrivés sur l’île. Les universités privées organisent régulièrement dans les pays africains des journées rencontres et campagnes d’information à la destination des jeunes.
A 32 ans, Romial Menmogne poursuit des études en gestion de l’entreprise. Le président de l’association des étudiants étrangers à Chypre se souvient parfaitement du moment où il a décidé de quitter son Douala natal et déménager en République de Chypre :
« Ils sont venus au Cameroun et ont fait une conférence pour présenter leur école. Mon père a insisté pour que je parte, même si j’étais embauché à l’époque dans une entreprise à Douala. »
C’est aussi au Cameroun que Line Ngalou a appris l’offre des Colleges chypriotes et qu’elle a pris la décision de venir étudier sur l’île. Elle débarque en 2007, pour entamer des études de tourisme et de gestion d’entreprise. Un rêve qui se transforme vite en gouffre financier. Sa formation lui aurait coûté au total près de 35.000 euros. Et pour cause : une année de licence est facturée en moyenne 4 000 euros. Et même pour recevoir l’imprimé des relevés de notes les étudiants déboursent 5 euros.
« Tout est payant, lance la jeune Camerounaise. Et si on doit de l’argent à l’école, on ne peut pas négocier. On paie même des intérêts. Le système éducatif de Chypre est-il un système bancaire ? »
Line, posée dans la boutique de Maureen.
Papiers ! D’un ton angoissé, la jeune Camerounaise revient sur son quotidien en tant qu’étudiante étrangère à Nicosie : « On ne se sent pas en sécurité. Comment avoir de bons résultats si on a peur chaque fois que le permis de séjour arrive à échéance ? »
Maureen, pourtant mariée à un citoyen chypriote, avoue elle aussi se sentir de plus en plus angoissée dans son pays d’accueil. En 2013, pendant la campagne présidentielle à Chypre, elle se souvient avoir été contrôlée par la police, dans sa propre maison :
« J’étais devant la fenêtre, il m’ont vu et sont venus frapper à la porte pour me demander les papiers. Mon mari était fou de rage ! »
Si à son ouverture en 2012, la boutique de Maureen a connu un certain succès, la situation a changé dernièrement : « Mes clients sont les Africains et d’autres étrangers qui vivent à Nicosie. Mais depuis 2013, la police fait la chasse aux Noirs et aux Asiatiques et ils sont nombreux à avoir été arrêtés. »
Les représentants de l’Ombudsman à Chypre (équivalent dans de nombreux pays, du défenseur des droits) admettent que le pays a besoin d’une « politique migratoire plus clairement définie ». Si après l’invasion turque de l’île en 1974 ce sont les Chypriotes qui ont immigré, notamment dans les pays anglo-saxons, à partir des années 80, l’île a commencé à attirer du monde, grâce à son développement économique.
Aujourd’hui, « les étrangers sont discriminés au cours des procédures administratives. Les délais ne sont pas respectés, et il n’y a que très peu d’information donc il est difficile pour les étrangers de comprendre les démarches de demande de visa ou d’asile », détaille Elena, du Bureau de l’Ombudsman à Nicosie.
Lors d’un contrôle de police en 2013, un jeune ivoirien a eu une jambe cassée et s’est retrouvé ensuite poursuivi pour agression. La video montrant la violence des policiers chypriotes a fait le tour du Web.
«Les contrôles de police sont devenus monnaie courante dans les rues de Nicosie, explique Willy Totoro, journaliste et militant. Ils arrêtent des personnes noires ou asiatiques qu’ils regroupent dans un coin et ensuite commencent à vérifier leurs papiers. Si tu poses des questions pendant ce temps-là, on te met les menottes tout de suite.»
Willy, animateur radio, originaire du Congo, dirige l’association ARRCY, dédiée aux réfugiés politiques sur l’île.