En janvier dernier le Sic Bo, un jeu de dés très populaire dans les casinos d'Asie, débarquait en France. Il devait attirer en masse la communauté chinoise. Sauf qu'en fait, elle s'en fout. Et la crise du secteur continue.
Casino d’Enghien-les-Bains – Val d’Oise. « Rien ne va plus ! » La boule blanche ralentit et s’arrête. « 14, rouge, pair. » Le croupier ramasse les jetons et distribue les gains. Un asiatique, la trentaine, bras tatoués et cheveux ras esquisse un sourire en empochant une jolie somme. Et, immédiatement, dispose à nouveau plusieurs centaines d’euros de jetons sur le tapis.
Sous les boiseries du premier étage, une trentaine de joueurs à peine se presse autour des quelques tables ouvertes ce mercredi après-midi. Cinq roulettes et une table de Blackjack uniquement. Le long d’un mur, trône une grande table rouge décorée de dragons chinois. Personne n’y prête attention. Un employé du casino explique :
« Le Sic-Bo n’est ouvert que le week-end parce qu’il n’y a pas beaucoup de joueurs intéressés. On pensait qu’il y aurait beaucoup d’asiatiques mais ils n’ont pas vraiment accroché. »
Marketing ethnique
Pourtant début janvier, les murs de Belleville, le quartier chinois du 20e arrondissement de Paris, sont couverts d’affiches en mandarin. Estampillées du logo des Casinos Barrière, elles annoncent l’arrivée du « Tai Sai », l’autre nom du Sic Bo, à Enghien. Et, tout un symbole, c’est le 31 janvier, jour du nouvel an Chinois, que la table est inaugurée.
Le Sic Bo est un jeu de dés (voir encadré) qui rencontre un immense succès en Asie. Il serait même le jeu de table le plus populaire dans les casinos de Macao. Un spot qui fait rêver les magnats français du jeu : ces établissements seraient, selon Forbes, sept fois plus rentables que leurs homologues de Las Vegas grâce à des joueurs chinois (les jeux d’argents étant interdits au pays) qui, toujours selon Forbes, ont la particularité de jouer gros.
Avec le Sic-Bo, les casinotiers français pensaient avoir trouvé la nouvelle martingale pour attirer la clientèle asiatique. Au Parisien, qui évoque l’arrivée « d’un des jeux les plus attendus », le directeur du Casino « particulièrement satisfait » expliquait : « Nous avons une importante clientèle asiatique qui devrait être séduite par cette nouvelle offre. » Joint par StreetPress, Christophe Glachant, responsable de la salle de jeux à Forges-les-Eaux, l’autre Casino qui a lancé le Sic-Bo, ne dit pas autre chose :
« C’est des joueurs qui viennent beaucoup au casino, et on souhaiterait en avoir encore plus. »
C’est la crise
Une clientèle qui est choyée donc. « On essaye de développer pas mal de trucs pour eux », nous explique le responsable de salle. Pas de communication en mandarin au casino de Forges-les-Eaux, mais une « importante campagne marketing » pour annoncer l’arrivée du jeu, des événements pour le nouvel an chinois et des petites attentions tout au long de l’année, comme un buffet « juste pour eux ».
On évalue à 600.000 personnes la diaspora chinoise en France. Un vivier de clients important donc, pour un secteur en berne. En début d’année, Enghien annonçait une baisse de chiffre d’affaires de 10 millions d’euros sur la seule année 2013. Inquiétant pour le premier établissement de jeu de France. Et la crise n’est pas nouvelle. Entre 2007 et 2012, le secteur aurait vu son chiffre d’affaire chuter de 20%, rapportent Les Echos. En cause selon les organisations patronales du secteur, la crise économique bien sûr, mais surtout les sites de jeux et de paris en ligne, autorisés en France depuis 2010.
Super Ayrault
Vu à Belleville
Quand on sait que les casinotiers emploient près de 15.500 personnes, on comprend mieux pourquoi sauver les casino est devenu un enjeu national. Le 20 décembre 2011, les trois organisations patronales du secteur adressaient une lettre au premier ministre Jean-Marc Ayrault (révélée par l’AFP), pour tirer la sonnette d’alarme. C’est la crise, et le gouvernement leur mettrait des bâtons dans les roues : les casinotiers se plaignent des réticences des ministères de tutelles à autoriser les nouveaux jeux.
Un appel visiblement entendu puisque depuis, les « phases de test » et les agréments se multiplient. Sic Bo donc mais aussi bataille, multiples variantes du Blackjack, roulette électronique ou bingo, ont depuis débarqué dans les casinos. Autant de jeux, pas forcément très rentables – 90% des revenus des jeux viennent des machines à sous – mais qui peuvent contribuer à attirer un nouveau public.
Phase de test
Le Sic Bo avait six mois pour faire ses preuves, comme nous l’explique Christophe Glachant :
« Pendant cette période de test, tous les mois on envoie un rapport à la police des jeux. Détaillant ce qui fonctionne ou pas, si les croupiers trouvent que la taille de la table est trop grande, les remarques des clients, etc… »
Une fois la phase de test terminée, la table est retirée pendant trois mois. Période durant laquelle la Commission consultative des jeux de cercles et de casino, décide d’accorder ou non l’autorisation définitive. Une formalité en fait : « Je n’ai pas d’exemple de jeu autorisé en phase test, et interdit ensuite », nous détaille un bon connaisseur du secteur.
Le site du casino d’Enghien annonce le nouveau venu.
La commission se contente d’affiner ou de modifier les règles à la marge et de les transcrire en droit. La fonction principale de ces rapports est de permettre aux autres établissements de choisir – en connaissance de cause – s’ils vont installer le jeu dans leurs salles. Et pour le Sic-Bo les tests ont été effectués par un casino propriété du groupe Barrière (Enghien-les-Bains) et un autre appartenant au groupe Partouche (Forges-les-Eaux). Sans doute une manière de permettre à chacun des deux poids lourds du secteur de posséder son propre jeu de données.
Echec…
« Circulez, il n’y a rien à voir », c’est en substance ce que répond le groupe Barrière à nos demandes d’interview au sujet du Sic-Bo. Son concurrent Partouche, décide de jouer la transparence. C’est Christophe Glachant, responsable de la salle de jeux à Forges-les-Eaux, qui à un mois de la fin de la phase de test accepte de nous dresser un premier bilan :
« Pour l’instant ça n’accroche pas. On pensait que les asiatiques, qui représentent une bonne part de notre clientèle, allaient adorer mais ils restent au Blackjack. Et quand on leur propose, ils se marrent et nous expliquent qu’ils ne jouent pas à ça. »
Quant à savoir pourquoi, Christophe Glachant s’interroge toujours. Le lanceur de dés automatique serait peut-être en cause :
« A Macao, ils sont lancés par le croupier ou directement par les joueurs. Ce qui leur permet de faire passer la chance aux dés. Et le fait de ne pas voir les dés se mélanger fait penser aux clients qu’il peut y avoir tricherie de notre part. Même si c’est évidemment impossible. »
Selon un bon connaisseur du secteur, interrogé par StreetPress, l’erreur serait plutôt… générationnelle : « La clientèle asiatique, en dehors des machines à sous, est relativement jeune et née en France. Ils n’ont jamais joué au Sic Bo. » Et de suggérer un autre jeu, le Majong :
« Même les jeunes y ont joué à la maison, donc ça pourrait être plus fédérateur. En Angleterre, où il est autorisé, ça cartonne. »
Bons baisers d’Enghien…
Et mat !
En attendant, Christophe Glachant ne pense pas prolonger l’expérience :
« Je pense qu’après le test on va enlever la table et qu’on ne la remettra pas. »
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