Cinderella anime des classes d'histoire-géo à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône. Succession de portes-blindées, belles rencontres mais aussi échanges houleux : elle revient sur une expérience qui l'a confrontée à ses préjugés.
Villefranche-sur-Saône, en Rhône-Alpes – On aurait pu croire que c’était un établissement public comme les autres, à la différence qu’il y avait des barreaux aux fenêtres. Et beaucoup trop de portes. Je les compte au fur et à mesure de mon avancée dans les larges couloirs à la peinture correcte, quoique vieillotte et terne. Une, deux, trois… c’est dix portes blindées qu’il faut passer pour arriver au quartier socio-culturel de la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône. C’est dans cette aile de la prison, pourtant une des plus accessibles, que je vais animer un atelier pour détenus.
Je me suis engagée au Génépi en novembre 2013. L’association regroupe des étudiants de toute la France, qui interviennent bénévolement dans les prisons. Un après-midi par semaine, j’anime un atelier « connaissances du monde » – et non un cours d’histoire-géo, les génépistes n’ont pas vocation à remplacer les professeurs de prison – pour une dizaine de détenus. Pour un premier jour, je suis un peu anxieuse. Sur qui vais-je tomber ? Seront-ils respectueux ? Comment les détenus vont-ils considérer une petite meuf de 24 ans, venant de l’extérieur, qui se permet de ramener sa science ? Pendant qu’un gardien passe mes affaires au rayon X, j’essaie de me rappeler les raisons de ma présence : ma volonté d’avoir une vision non institutionnalisée du milieu carcéral.
ATELIER Après cinq années dans un cursus de droit pénal et criminologie, le milieu carcéral m’est familier. Des prisons, j’en ai déjà visitées. Mais rencontrer des détenus, jamais vraiment… La fouille terminée, mon sac plein de livres sous le bras, je me dirige d’un pas décidé vers une salle de cours dans laquelle je tombe nez à nez avec huit détenus. Ils ont entre 30 et 50 ans. Tous plus vieux qu’Angélique, ma binôme, et moi. Par ailleurs, ils sont tous bien habillés, propres sur eux. On est loin des tenues oranges des séries américaines. A côté d’eux, nous avons l’air de sacs : pas maquillées, cheveux attachés, presque en survet’. L’administration nous avait conseillé de ne pas porter de vêtements trop proches du corps, nous les avons pris au mot.
Les gardiens nous laissent ici. Ils ne sont pas autorisés à rester dans la salle durant l’atelier. Mais en cas de problème, ils nous ont confié une alarme portable pour les appeler, accessoire obligatoire lors de toutes nos interventions. Dans la pièce, les tables sont placées en forme de U. Installés autour, les prisonniers nous saluent poliment. Nous nous installons avec eux – et non en face. L’idée est d’avoir un rapport d’égal à égal. L’un commence à nous vouvoyer, nous faisons de même. Nous garderons le vouvoiement pour la suite des ateliers. Un peu plus tard dans l’année, un détenu nous confiera que nous sommes les seules à les appeler de la sorte, les matons les interpellant par leur nom de famille. «Grâce à vous, je récupère mon droit de m’appeler monsieur» ajoutera-t-il.
Nous commençons à distribuer des questionnaires pour évaluer le niveau de culture générale des détenus. Nous avions convenu de ne pas les interroger sur un niveau plus élevé que celui d’un élève de 6e. Nous nous sommes vite rendu compte que c’était idiot. Au moment de la correction, à une question à choix multiples sur les dates de la première Guerre Mondiale, l’un des détenus complète en rappelant que « le conflit a été déclenché suite à l’assassinat de l’archiduc austro-hongrois François Ferdinand à Sarajevo ».
PRÉJUGÉS Je ne pensais pas avoir de préjugés avant de rencontrer les prisonniers. Être surprise par la réponse de cet homme me l’a prouvé. La suite des séances n’a fait que confirmer ce sentiment. J’imagine que la société véhicule un certain nombre de clichés que l’on finit par intégrer à la longue : les gens en prison seraient stupides, voire illettrés, rien ne pourrait les intéresser, ils seraient tous drogués ou toxicos, etc. Tout ça vole vite en éclats.
Des prisons, j’en ai déjà visitées. Mais rencontrer des détenus, jamais vraiment…
Cinderella, devant la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône.
C’est finalement assez bizarre, mais les mecs sont toujours souriants. Mine de rien, ils ont dix fois plus de mérite que nous à l’être. Avec ma binôme et moi, ils ont presque une attitude de grands frères, sans être macho ou tomber dans le copinage. Je me souviens qu’une fois, je m’étais fait casser ma voiture en bas de chez moi. L’un des détenus m’avait gentiment proposé de m’en voler une autre. Certes, en termes de réinsertion c’est pas top, mais l’intention était sympathique !
S’ajoute à ça qu’ils sont heureux et valorisés de pouvoir apprendre de nouvelles choses. Ils sont tellement curieux que nous sommes partis sur des sujets beaucoup plus vastes que ce qui était prévu. Des débats sur l’explosion de la bulle internet, sur l’Union Européenne ou sur l’évolution de la notion de guerre au 20e siècle, n’étaient par exemple pas au programme. Les ateliers se terminent d’ailleurs toujours en débat, même s’il est parfois compliqué de gérer treize détenus. Ils crient, se coupent la parole. Sur des sujets comme la religion ou le conflit israélo-palestinien, c’est pas toujours joyeux.
MILITANT Un jour, l’un s’est emporté et le débat s’est envenimé. La discussion portait sur la liberté d’expression et a dévié sur les juifs en France (plus cliché tu meurs). Le jeune homme devait avoir 25 ans. Il est soudainement sorti de ses gonds et s’est mis à crier. Son teint a tourné rouge vif. La violence verbale a suivi. Je me suis faite traiter de sale juive par exemple. Les arguments n’avaient plus ni queue ni tête. Il a fini par sortir de la salle. Plus tard, j’ai appris que l’administration avait eu vent de l’affaire et le garçon a été exclu de notre atelier, sans qu’on ait vraiment notre mot à dire.
Ça m’a contrarié de ne pas avoir pu discuter de cet échange houleux avec lui. J’ai eu des débats très intéressants avec lui, il n’avait jamais été aussi borné. Au fur et à mesure des semaines, je l’ai senti devenir amer, frustré. Il se renfermait sur lui-même, ne participait plus trop. Plusieurs fois il m’a confié avoir fini en isolement (soit enfermé seul). Ça peut durer 24h, 48h, une semaine, on ne sait jamais vraiment. Et un jour ça a pété. Je pense que cette explosion de colère est le résultat d’une accumulation de frustration.
La discussion portait sur la liberté d’expression et a dévié sur les juifs en France (plus cliché tu meurs).
Mais comment lui en vouloir ? Être enfermé 20h ou 22h par jour n’est pas anodin. Et peut être qu’un jour sa famille ne s’est pas pointée au parloir, ça l’a attristé, il s’est ensuite défoulé en s’énervant avec un surveillant. Vient ensuite la sanction disciplinaire x ou y. Et la frustration s’accumule. Et les pétages de câbles se multiplient. C’est normal quand tu es traité comme une bête et qu’on t’enlève tous tes droits, alors que tu devais juste perdre ton droit d’aller et venir. La situation d’isolement, sans la famille, est également dure à vivre.
BISOUNOURS Je suis en désaccord avec les conditions de détention actuelles en France. C’est un fait. Mais je suis également consciente qu’une prison n’est pas le Club Med. Même si les détenus sont adorables et attachants, ils sont là pour purger une peine. Et tu te rappelles que tu n’es pas en face de Bisounours : les mesures de sécurité, les installations spécifiques de l’établissement pénitencier, les tempéraments des détenus parfois. Tu dois être méfiant. Et comme à l’extérieur, il ne faut pas donner ton porte feuille à la première personne qui passe.
Les détenus sont différents avec nous également. Nous, génépistes, nous sommes des interlocuteurs particuliers. Nous sommes de l’extérieur, bénévoles, nous venons bousculer un peu leur quotidien. Ils ont toutes les raisons du monde d‘être cools, aimables, marrants. Ce sont des moments de détente, nous leur ramenons un peu de l’extérieur. L’atelier Génépi est une bulle pour les détenus. Ça les fait sortir de cellule.
Durant cette année au Génépi, j’ai rencontré des êtres humains, pas des délinquants. De ce fait, j’ai envie d’être idéaliste et penser qu’un homme qui a été en prison n’y retournera pas. Mais les statistiques montrent qu’un sur deux y retourne. Et c’est assez triste. J’ai également envie de croire qu’aucun des détenus que j’ai rencontré ne me voudrait du mal. Mais je garde la possibilité de croiser quelqu’un de malveillant. Ça n’est même pas un préjugé, c’est une possibilité. Nous ne sommes pas des imprudents. Finalement, on se retrouve vite le cul entre deux chaises.
bqhidden. Une prison n’est pas le Club Med.
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