04/06/2014

« C'est un musée de la science. Le terme horreur est totalement désuet ! »

Au musée des pathologies, tout baigne... dans le formol

Par Inès Belgacem

Depuis 1835, le musée Dupuytren recense les pathologies anatomiques. Et depuis près de 10 ans c'est Patrick Conan qui se démène tout seul : conservateur, guide, portier et parfois même homme de ménage.

Odéon, 6e arrondissement – « C’est un fœtus anencéphale. Cette pathologie est le mal du 19e siècle » détaille aux visiteurs Patrick Conan, responsable des collections du petit musée Dupuytren. Dans le bocal qu’il pointe du doigt, un corps chétif, les yeux écarquillés, le crâne enfoncé, conservé depuis plus de deux siècles dans un liquide jaunâtre.

Au 15 rue de l’École de Médecine, entre les murs du centre des Cordeliers, site universitaire de recherches médicales, se cachent squelettes, moulages de cire et autres organes conservés dans des bocaux depuis le début du 19e siècle. Sur les rayonnages, une collection «â€¯de pathologies anatomiques », soit des malformations du corps humain. Mais attention, le maître des lieux se fâche tout rouge quand on lui parle de « maison des horreurs » :

« C’est un musée de la science. Le terme horreur est totalement désuet ! Vous n’allez pas dire à quelqu’un qu’il est horrible parce qu’il a le cancer. »

Solo

MAP Le musée Dupuytren, 15 rue de l'Ecole de Médecine.

Patrick Conan entretient seul le petit musée?: il l’ouvre 5 jours/7 et 4 heures/24, accueille les visiteurs, répond au téléphone, surveille les pièces et va parfois jusqu’à … faire lui-même la poussière. Dévoué corps et âme à son musée, il est même prêt à s’adapter aux visiteurs?: « Le matin je peux faire des visites aussi. Mais il faut réserver. » C’est ce qu’ont fait Nicolas et Alain, père et fils. Après les avoir accueillis, Patrick Conan retourne vers la porte pour la verrouiller à double-tour. « Je ne peux pas être en visite et devant la porte pour surveiller. » explique-t-il en faisant signe d’avancer vers une seconde salle. « Si quelqu’un arrive en retard, il y a la sonnette. » Pas de gardien non plus, juste Patrick.

Une fois dans la pièce principale, les deux visiteurs se retrouvent face à une vingtaine d’armoires où sont exhibés les quelques 6.000 bocaux. Dans la plupart d’entre eux sont conservés des organes et membres humains, des traces d’une riche histoire de la médecine du 19e. « Ce sont presque des reliques qui sont entreposées ici. C’est en 1835 que le musée voit le jour, grâce au premier legs de Guillaume Dupuytren, anatomiste et chirurgien français de l’époque », commence le conférencier. Depuis, grâce aux dons de différents médecins, les pièces et spécimens médicaux se sont accumulés.

Public

Thomas, la trentaine, crâne rasé court et veste militaire, écoute attentivement le guide, se baladant entre les rayons dans le même temps. « Une petite tranche de pâté de foie ? » lance l’artiste en rigolant devant un organe abdominal découpé, avant de poursuivre sérieusement : « C’est une cirrhose c’est ça ? » Il a entendu parler du musée Dupuytren par une amie en école d’art. « Ça m’intéresse de voir comment sont conservées les pièces. Ça peut me servir : dans mon travail il m’arrive d’avoir à conserver des animaux. Momifiés ou empaillés par exemple. » Selon Patrick Conan, il y a de plus en plus d’étudiants en art qui viennent squatter les chaises du musée. Il voudrait d’ailleurs ouvrir l’établissement à un public plus large :

« Avant, c’était un endroit pour les apprentis médecins. Aujourd’hui, c’est d’avantage un lieu destiné à la culture de tout un chacun. Pour que les gens puissent voir et comprendre les maladies.»

L’homme est passionné. C’est avec des trémolos dans la voix qu’il conte l’histoire de la médecine française, « qui est également sociale et politique ». Il a repris le musée il y a une dizaine d’années. Il donne aussi des conférences à l’université, consacrées à l’histoire de la médecine.

No Pub

Malgré la bonne volonté de Patrick Conan, son musée ne déplace pas les foules. Les jours de grosse affluence, le lieu accueille… une trentaine de personnes. Pas énorme mais pourtant bien assez pour l’administration qui chapeaute le musée :

« C’est un petit musée, avec une faible capacité d’accueil. Alors on ne cherche pas vraiment de publicité. »

A croire que l’université souhaite enterrer le lieu, tant la com’ est succincte : deux pages sur le site de l’UMPC et quelques articles dans des revues scientifiques… seuls médias autorisés à prendre des photos dans l’enceinte du musée!

« On veut éviter tout sensationnalisme. L’image que l’on veut donner est celle d’un musée scientifique », se défend l’université