Au Brésil, les manifs s'essoufflent plus vite qu'un joueur de division d'honneur. La dernière, ce 29 avril, n'a rassemblé que quelques centaines d'anti-Mondial à São Paulo, loin des millions de manifestants du mois de juin.
São Paulo – Ce mardi 29 avril, ils sont une poignée devant le centre commercial de Tatuapé, encerclés par une forêt de boucliers de la police militaire. Au-dessus de leurs têtes, une banderole rouge sang flotte mollement dans la nuit automnale. Le mot d’ordre y est inscrit en lettres capitales blanches : « Não vai ter Copa ! » – Il n’y aura pas de coupe. Le Mondial de football, ils n’en veulent pas.
Étudiants, anarchistes, militants pour les droits de l’homme ou écologistes. C’est un insolite concentré de tout ce que le Brésil compte de contestataires qui compose ce collectif « contra-copa de São Paulo. » Ils se sont donnés rendez-vous le long de l’axe vital desservant le très contesté stade d’Itaquerão, toujours en travaux à quelques semaines du mondial.
Old School Depuis début janvier, ils en sont déjà à leur sixième manif. Mais l’hypothèse de voir la Copa changer de pays apparaît de moins en moins probable : la mobilisation se désagrège à vue d’œil. En juin 2013, quand un grand mouvement de protestation éclate, ils sont des millions à réclamer un autre usage de l’argent consacré à l’événement footballistique. Aujourd’hui ils ne sont plus que quelques centaines.
La plupart des Brésiliens se sont résignés à payer la facture de cette Coupe du monde – la plus chère de l’histoire. L’écho des manifestations de juin a été peu à peu noyé dans le tintamarre des musiques officielles, des chants de supporteurs et de la ferveur footballistique. A exactement 43 jours du coup d’envoi, grelottant dans le froid à l’ombre du centre commercial géant de Tauapé, les derniers protestataires ne font plus trembler que leur drapeau.
Résistance Pourtant, ceux qui sont là y croient encore, brandissant des pancartes hostiles à la Fifa et au gouvernement, ou soufflant dans les vuvuzelas. Ici, la déception et la colère n’ont pas décru. Wesley Rosa, un étudiant de 26 ans à la coupe afro, nous détaille les raisons de son engagement :
« Les dépenses pour la Coupe du Monde ne devaient pas dépasser six milliards de reales (deux milliards d’euros) et nous en sommes déjà à 38 milliards (12,3 milliards d’euros). Pour financer cela, nous avons laissé de côté de nombreux autres investissements. L’an dernier, nous avons seulement investi 8,7 % du PIB dans ce secteur au lieu des 13 % programmés. »
Autour de lui, les autres manifestants approuvent. Tous dénoncent une grande fête sportive qui a viré au cauchemar économique. « Si le gouvernement peut investir des milliards pour construire des stades, il peut investir dans des hôpitaux et des écoles, poursuit Victor Andrade, un autre étudiant de 21 ans. C’est ça que nous demandons. »
Start Après avoir attendu pendant plus d’une heure de voir grossir leurs rangs clairsemés, les organisateurs du défilé se résignent finalement à donner le départ de la marche. Le petit groupe s’ébranle au rythme d’une batucada, fanfare de percussions brésiliennes. Immédiatement, des centaines de policiers – plus nombreux que les contestataires – se déploient autour du cortège. Chaque manifestation est lourdement encadrée par les unités anti-émeutes de la police militaire. Ce soir, les opposants ont même droit à un hélicoptère et une brigade de motards.
« La Coupe est un risque pour la démocratie du Brésil, assure Tomaz Amorim, un étudiant de 26 ans, qui n’a pas manqué un rassemblement depuis le début de la mobilisation. A partir du moment où vous mettez l’armée dans la rue pour assurer la sécurité de quelques touristes bourrés alors que la moitié de la population vit dans la misère… c’est absurde. »
La batucada anti-Mondial.
Les militants du collectif « contra-copa » de São Paulo, en formation tortue.
Dîner sous les réverbères, pour les opposants au Mondial et la police.
Anarchie Pour cette nouvelle marche, les manifestants ont décidé de frapper un grand coup. Leur projet ? Marcher en direction du stade et bloquer les centaines de milliers d’automobilistes qui regagnent chaque soir les quartiers Est de la ville. Un projet qui n’est pas du tout du goût des forces de l’ordre. Des les premières minutes, les policiers anti-émeutes bloquent l’accès à la rocade Est. Malgré leur infériorité numérique, les manifestants viennent au corps à corps. La tension monte d’un cran et la branche dure de la contestation passe en tête du cortège.
Cagoules noires, pantalons de treillis, masques à gaz et casques. Ces petits groupes d’anarchistes ne parlent pas aux médias. Pendant quelques minutes, policiers et manifestants se font face dans un silence pesant. Les deux camps n’attendent qu’une occasion pour laisser s’exprimer la rancœur accumulée après des semaines de lutte âpre. Ici et là, on joue des coudes, on se pousse et on se tire, sans jamais franchir la ligne rouge synonyme d’interpellation.
Compromis A quelques mètres, les organisateurs s’empressent de négocier une sortie de crise, un drôle de compromis : les manifestants peuvent s’emparer de l’avenue radial Leste – la fameuse rocade est – mais seulement des quatre voies desservant le centre-ville. Pas question d’interdire aux employés de rentrer chez eux en périphérie. La barrière de boucliers s’écarte et la marche reprend sous l’œil mi-rieur, mi-incrédule des badauds.
Enfin arrivés à leur objectif, les contestataires se ruent sur un pont pour déployer une bannière géante :
« Mauvais joueurs, Police, Fifa, Dilmalckmin » (mélange des noms de Dilma Rousseff, présidente du Brésil, et Géraldo Alckmin, gouverneur de Sao Paulo, ndlr)
Le Brésil, ses plages, ses anars…
Les manifestants ont droit aux troupes de choc.
Vu de là, le groupe de résistants paraît encore plus dérisoire. Une goutte de protestation dans un océan de vie quotidienne. Pourtant, Rodrigo Oliveira, un des leaders du mouvement Territorio Livre – à la pointe de la contestation – n’en démord pas. Le changement est encore possible :
« La Fifa et le gouvernement fédéral ont des plans B et C pour faire jouer le Mondial aux États-Unis et en Allemagne. C’est la rue qui va décider si la Coupe du Monde va se dérouler au Brésil ou pas. »
Charge Un groupe de policiers caparaçonnés, bien protégés derrière leurs boucliers d’assaut, envahit soudain le pont pour en déloger les manifestants. Visiblement, la bannière qui les cible directement, n’est pas à leur goût. Les militants refluent en toute hâte vers le cœur du cortège. Après deux heures de marche en direction du centre-ville, les 200 survivants du parcours d’endurance déboulent finalement à proximité de la très centrale avenue du 23 mai.
Une nouvelle fois, la police militaire tente de bloquer les manifestants. Comme un air de déjà vu : les deux camps se font à nouveau face. Mais cette fois-ci, les irréductibles de la contestation décident de passer en force. Quelques coups pleuvent de part et d’autres. Les policiers se dégagent à l’aide d’une grenade lacrymogène. Un des manifestants sort de la mêlée avec la tête ensanglanté.
Lorsque le tumulte s’apaise, les militants ont atteint l’avenue. Ils s’emparent des accès du centre-ville. Toutes les sorties sont bloquées. Seul bémol à presque minuit, la circulation en direction du cœur économique du Brésil est quasi-inexistante et l’action des manifestants ne dérangent que quelques noctambules égarés et… les policiers anti-émeutes pressés de rentrer chez eux. Satisfaits de leur victoire symbolique, les manifestants finissent par atteindre la Praça do Sé et son arrêt de métro bien pratique pour regagner leurs pénates.
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