13/03/2014

Le burn-out des jeunes médecins

Nus sous leur blues : quand les internes pètent les plombs

Par Elsa Bastien

Encore étudiants et déjà médecins, tenant parfois la vie d'un patient entre leurs mains, les internes ont la pression. Si certains envisagent de « partir élever des chèvres », d'autres craquent.

« Je ne comprenais pas. J’étais très fatiguée, j’ai même fait une prise de sang pour voir si j’avais pas un truc. En fait, c’était comme une dépression qui ne toucherait que le monde du travail. Je voulais tout arrêter ». C’était il y a six ans, et Patricia avait des semaines de 90h ponctuées de trois gardes. Si elle a aujourd’hui du recul, c’est parce que les années ont passé, mais aussi parce qu’elle a couché son expérience sur papier, en écrivant un livre, le bien nommé « Burn-out » (Atlantica, 192p., 17 euros). On a en tête une certaine image du médecin, notamment du généraliste, écrasé par les horaires, les responsabilités et l’isolement qui n’en peut finalement plus. Mais on en oublie les internes, de toutes spécialités, loin d’être épargnés par le phénomène.

D’un point de vue théorique, le burn-out se caractérise par trois manifestations : l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation et une baisse de l’accomplissement personnel. Et peut être mesuré par l’échelle de Maslach (ou MBI). « Il ne s’agit pas d’un outil dichotomique : BO ou pas BO. C’est plus une analyse globale sur le ressenti du sujet à un moment T, souligne Marie, qui a fait sa thèse sur le burn-out des internes en médecine générale.

Plus trivialement, le burn-out, c’est un mal être au travail, un élastique qu’on a tendu tellement longtemps, qu’il finit par claquer. La tension de trop pour Patricia a eu lieu un jour pluvieux. « J’avais tout mon bordel dans la voiture, je changeais de stage. Et bam une durite pète sur l’autoroute, ma roue crève, je suis sous la flotte… Cauchemardesque. Je ne me sentais plus la force, quand j’ai vu le nombre de gardes à faire j’ai fondu en larmes ». Elle tient le coup deux jours. « Je voulais dormir, dormir pendant des mois. J’ai tout envisagé ! La perte de sens était telle que j’étais prête à arrêter la médecine. » Ce sera plutôt une dispo de six mois, qu’elle consacre à l’écriture de son livre après avoir – enfin ! – compris qu’elle faisait un burn-out en se renseignant sur le net. Un « coup de gueule » plutôt salvateur. Elle alterne aujourd’hui médecine générale et journalisme.

CUL ENTRE DEUX CHAISES En fait, le burn-out est la barre la plus haute sur l’échelle de la souffrance au travail. Diane, par exemple, n’a pas fait de burn-out, mais cette interne de spécialité s’est trouvée dans un état de fatigue intense, ponctué de phases de « je ferais mieux d’aller élever des chèvres », surtout pendant les premiers semestres. « Mais on est tellement aliéné par le travail dès le début de notre cursus qu’on n’a pas le recul pour se dire qu’il faut s’arrêter, c’est déjà le lendemain et le réveil sonne », rigole-t-elle. En papotant avec son frère militaire, ils en sont arrivés à comparer la médecine à l’armée. « Tu ne pleures pas, tu ne poses pas de questions. Et quand tu es interne, tu as le poids de la hiérarchie. Il faut arriver à se positionner, entre apprenant et futur collègue », souligne-t-elle. L’interne pâtit donc de ce statut particulier, entre « étudiant et médecin, donc le cul entre deux chaises, balance Marie. Si on n’a pas de seniors avec nous, ce qui est courant, on prend les décisions seuls sans avoir d’oreille. C’est paradoxal pour des gens en formation ! »

Saupoudrez à ça les horaires et surtout de grosses responsabilités… « Il y a des moments où tu te demandes clairement si tu as tué quelqu’un. On a tous plusieurs maccabées sur la conscience », affirme Diane fort sérieusement. « J’ai déjà eu l’impression d’être Mickey Mouse dans Fantasia, un apprenti magicien. Et ça, on n’apprend pas à y être confronté ». Au contraire, bien des jeunes arrivent sur les bancs de la fac en pensant étudier une science exacte… alors que la médecine demande des ajustements constants.

MANQUE DE RECONNAISSANCE Le burn-out est loin derrière Patricia, la médecin-journaliste. Miriam elle, ne s’en est pas vraiment remise. En vérifiant, un peu fébrile, que tout est prêt la veille de l’ouverture de son cabinet, elle reconnaît qu’elle a « un dégoût maladif et intense de l’hôpital ». Au début de son internat, elle était décidée : elle ferait de la néonatalogie, mais un burn-out plus tard, elle n’avait qu’une hâte: ne pas suivre un cursus classique d’interne en pédiatrie, « quitter l’hôpital ou j’avais fait ce stage, et quitter au plus vite l’hôpital tout court ». « Je garde toujours des traces très marquées de cette période : le moindre contact avec un autre médecin (pour un avis ou une hospitalisation) est difficile. »

A l’époque, elle est en 6e semestre de pédiatrie, en stage de réanimation néonatale et clairement, ça ne va pas fort. Comme Patricia, elle ne pense pas au burn-out. « Je n’en avais jamais entendu parlé. Ou de loin. Je ne me sentais pas concernée ». Elle pense simplement que le stage est long, que l’hiver est long, et que tout ça va passer bien vite. Les trajets en train, chaque jour, grignotent sa journée, et elle rentre tous les soirs pour trouver son bébé en pleurs, à l’heure du coucher. Sur ce terrain « fragile », « ma vie professionnelle est devenue ma maladie », résume-t-elle.

Un matin, son chef lui tend un post-it : il y avait inscrit un rendez vous chez un psy pour le lendemain. « J’ai été surprise et soulagée qu’il y ait un mot pour décrire la pente de tristesse sur laquelle je glissais depuis plusieurs semaines. Travailler était fatiguant, mais donner l’impression que tout allait bien et savoir que je n’y arrivais pas était épuisant. » A l’époque, elle se sent mal reconnue, isolée, jugée, finit par perdre du poids et la non fumeuse achète ses premiers paquets. Une « zombie ! » dit-elle aujourd’hui.

Le manque de reconnaissance est un des principaux points évoqués par les internes, qu’ils aient vécu un burn-out ou pas. « On ne saluera jamais un effort, appuie Diane, interne en dermato. Tu es une interne comme une autre, ça fait partie du bizutage médical, faut que t’en chie. Ceux qui ont le pouvoir de faire avancer les choses partent du principe que c’est la norme de bosser comme un chien ». Il y a sûrement moins de médecins prêts à sacrifier jours et nuits pour leur métier aujourd’hui. Pas parce que les nouveaux internes sont des feignants mais parce qu‘« il y a un malentendu ! Il y a un équilibre effort / récompense. C’est normal. Or les médecins ne sont pas du tout reconnus comme avant », conclue-t-elle.


« Ma vie professionnelle est devenue ma maladie »

NO LIMITS S’il y a une chose qui ne change pas, c’est qu’aller mal, et le dire, n’est pas une option pour un interne. « A peine savait-on qu’untel était en arrêt de travail. Et puis en parler ? Mais à qui ! On ne peut pas montrer qu’on n’est pas capable, ça voudrait dire qu’on n’est pas capable d’être médecin », explique Patricia. D’autant qu’à la fin de l’internat, il faut encore faire valider son stage. « J’avais honte » renchérit Miriam. Ça fait partie du boulot du médecin d’être le réceptacle de la souffrance, de la mort, et de rester cet être altruiste qui résiste à tout. Je culpabilisais aussi parce que j’avais l’impression que je ne vivais rien de grave, à côté des familles dont je m’occupais ». Des décès d’enfants, des diagnostics lourds.

Son psy lui demande de s’arrêter six semaines et de prendre des anti-dépresseurs pendant six mois minimum ? Ce sera trois semaines d’arrêt et quatre mois sous médicaments. Une manière d’accepter à moitié le diagnostic. Mais surtout, prendre un arrêt de travail est impensable vu que pour peu qu’un interne manque à l’appel, les autres se retrouvent complètement surchargés… et pas forcément à l’écoute, du coup. Du moins c’est comme ça que l’a vécu Miriam. « Avec le recul, j’étais ce bon petit soldat qui peut faire tout ce qu’on attend de lui, je ne pouvais pas concevoir l’idée d’un épuisement. Mes co-internes étaient comme moi avant : des bons petits soldats qui n’ont pas de limites, et n’acceptent pas que d’autres puissent en avoir. »

En parler ? Mais à qui ! On ne peut pas montrer qu’on n’est pas capable

Et même si la première année est loin derrière, la pression est toujours là. Beaucoup rêvent de postes d’assistant ou de chef de clinique, et pour ça, pas de secret « il faut être “mieux” que les autres », balance Diane. « Du moins, montrer une force de caractère, écrire plein d’articles, des présentations pour le service… Il y a une petite surenchère. Il m’est arrivé deux fois de refuser mon repos de garde, et de faire ma visite du lendemain. J’étais jeune », rigole-t-elle. Ne pas s’autoriser de limites, cela peut aussi impacter sur la qualité des soins. Si Miriam était consciencieuse, « la prise en charge d’un patient occupait nettement moins mon esprit que l’effort que je devais faire pour être la ». Un sacerdoce !